Chapitre 6

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Sagitta, Douzième Royaume.

Valyar, capitale de Sagitta et de la Fédération des Douze Royaumes.

Satia s’éveilla avec les premiers rayons du soleil. Sa nuit avait été agitée, perturbée par de nombreux cauchemars où elle devenait la marionnette des Djicams, ou pire encore, était enlevée par les soldats de l’Empire des Neuf Mondes et livrée à l’Empereur Dvorking.

Il était plus que temps pour elle d’aller prendre le recul nécessaire à sa prise de décision.

La jeune fille dissipa ses mauvais souvenirs sous un filet d’eau froide. Rien de tel pour s’éclaircir les idées, décida-t-elle en s’essuyant.

Elle enfila une tenue pratique, pull et pantalon, puis descendit pour le petit déjeuner. Son père était déjà là.

–Bonjour. Tu as bien dormi ?

–Ça va oui, répondit-elle en l’embrassant sur la joue.

Il y avait des jours où elle bénissait Eraïm de ne pas être née massilienne.

–Que comptes-tu faire aujourd’hui ? demanda-t-il prudemment.

–M’aérer l’esprit. Je ne rentrerai que ce soir.

Lisko s’assombrit.

–Je n’aime pas ça.

–C’est toi qui tient tant à ce que je sorte et profite des festivités, s’énerva-t-elle.

–Satia…

–Je ne suis pas d’humeur.

La jeune fille croisa les bras.

Rien ne la ferait changer d’avis. Ne devait-il pas admettre qu’elle avait grandi et devenait apte à prendre ses propres décisions, même contraires aux siennes ?

Lisko soupira. Il aurait aimé avoir Sylvia à ses côtés, ne pas être seul pour décider de l’éducation de leur fille. Il devait au moins lui laisser une chance.

–Très bien. Fais comme tu veux. Montre-moi que je peux te faire confiance.

Le sourire qui illumina son visage le récompensa davantage qu’un long discours.

–Merci, papa, dit-elle en venant l’enlacer.

*****

Une heure plus tard, elle était dans les petites rues de Valyar, contournant les grandes artères toujours encombrées, et bien décidée à semer ses pseudos gardiens ailés. Elle allait leur faire ravaler leur arrogance sans limite, décida-t-elle avec un sourire.

Elle arrivait au marché couvert du quartier Nord. Là, elle était certaine de perdre celui – ou ceux ? – qui s’imaginaient la surveiller.

Elle se fondit du mieux qu’elle put dans la foule, supportant avec stoïcisme les nombreux contacts inévitables, abandonnant même au détour d’un étal la cape supplémentaire qu’elle avait pris soin d’emporter.

Elle acheta des pommes et trois poignées de fruits secs qu’elle glissa dans son sac, et fit aussi provisions de quelques tourtes à la viande après avoir dévoré la première. Les odeurs d’épices étaient si alléchantes qu’elle ne savait pas où donner de la tête.

Elle ne résista pas à la tentation d’emporter un bon morceau de fromage et une belle miche de pain croustillante.

Elle s’imaginait déjà déguster le fromage fondu sur de larges tranches de pain, au coin du feu, sous les étoiles.

Son sac considérablement alourdi, elle décida qu’il était temps pour elle de quitter les lieux. Elle choisit la sortie la plus évidente, où noyée au sein de la foule elle aurait de bonnes chances de passer inaperçue. Elle s’arrêta dans la première boutique qu’elle croisa ; des chapeaux et toutes sortes de coiffes. Satia joua le jeu de la jeune étudiante en vadrouille et essaya plusieurs modèles avant de quitter la boutique en compagnie d’une jeune fille qu’elle ne connaissait pas. Autant brouiller les pistes au maximum.

Elle risqua un coup d’œil vers les cieux, mais elle aurait été bien en peine d’identifier un Massilien en particulier. Avaient-ils éventé sa ruse ? Elle n’en serait certaine qu’une fois qu’elle aurait quitté la cité.

Elle arriva à la porte nord de Valyar après de longues minutes de marche, et s’occupa d’aller louer un cheval à l’un des nombreux relais à disposition des citadins.

Une fois à l’intérieur du relais, elle scruta de nouveau le ciel par la fenêtre. Personne à l’horizon. Parfait. Elle s’autorisa un sourire et rajusta son sac sur son épaule. Cette fois, elle en était certaine, nul ne la suivait.

Elle attendit patiemment son tour avant de demander un cheval au gérant, un homme affable et corpulent nommé Mindol. Elle régla deux jours d’avance et l’homme la guida jusqu’aux écuries. Des box s’alignaient et de nombreux palefreniers et garçons d’écuries s’activaient entre les montures.

Mindol la mena vers une fringante jument à la robe grise.

–Voici Rosie. Elle est douce et d’un caractère facile. Gourmande donc n’hésitez pas à vous montrer ferme. Restez sur les chemins et vous n’aurez pas de problème.

–Merci pour le conseil, répondit Satia.

Elle présenta sa main ouverte à la jument pour faire connaissance, avant de lui tapoter l’encolure.

–Je la prends, confirma-t-elle.

–Parfait. Thaïs, viens préparer Rosie pour la jeune demoiselle. Je vous laisse aux bons soins de Thaïs. Bon voyage !

Satia le remercia de nouveau et patienta le temps que Thaïs selle et harnache sa monture. Il lui tardait de galoper à tombeau ouvert et de laisser la ville derrière elle. La jeune fille avait tout prévu ; des provisions en quantité, une tente légère… Il lui restait une pointe de culpabilité d’avoir menti à son père, mais après tout, que risquait-elle en bordure de la capitale ? Elle ne craignait pas de dormir à la belle étoile ; ce serait loin d’être une première.

Thaïs lui remit enfin sa jument et elle se saisit des rênes, impatiente de se mettre en selle. Satia quitta les écuries et savoura le soleil qui réchauffait son visage, avant d’enfiler ses gants de cuir et d’enfourcher Rosie. L’hiver touchait à sa fin.

–Bonjour Satia.

Elle se figea. Impossible.

La jeune fille se retourna pour découvrir l’Émissaire Lucas, impeccablement sanglé dans son uniforme gris. Les rênes d’un hongre noir enroulés dans sa main gauche, il la salua en s’inclinant légèrement, poing droit sur le cœur. Ses ailes à dominante blanche étaient piquetées de plumes marron et noires.

–Que… comment, balbutia-t-elle.

–Prévisible.

–Tu m’as suivie ? questionna-t-elle, incrédule.

–Je t’attendais, répliqua-t-il.

Il était sérieux, réalisa-t-elle comme la colère s’emparait d’elle. Elle serra les poings. Tous ses plans, réduits à néant !

–Tu sembles contrariée, nota-t-il de sa voix impassible.

–Je n’avais pas prévu que tu me retrouves. Où sont tes petits copains ?

–Le Djicam de Massilia m’a ordonné de veiller sur toi le temps que tu prennes ta décision.

–Je vois, murmura-t-elle entre ses dents serrées.

Et avant qu’il ne puisse répondre, elle talonna sa jument. Qu’il la rattrape, s’il était si fort !

Elle ralentit en arrivant à la lisière de la forêt de Tyrion. Inutile de risquer de blesser sa monture parce qu’elle était en colère. Elle passa à un trot léger pour permettre à Rosie de reprendre son souffle, et essaya de caler sa respiration sur la sienne pour se calmer. Elle risqua un coup d’œil derrière son épaule. Lucas n’était nulle part en vue pour le moment, mais il ne lâcherait pas l’affaire. Elle mit Rosie au pas et en profita pour détailler le paysage. La neige avait déjà fondu ; les bois préservaient davantage la chaleur que les pierres de la cité. Sans leur feuillage, elle était bien incapable de différencier les chênes des hêtres qui constituaient l’essentiel des arbres de la forêt.

–Ton comportement est puéril.

Satia ne put s’empêcher de frissonner au son glacé de la voix derrière elle et tira sur les rênes. Elle serra les dents en silence pour s’éviter de répondre.

–Lancer ta jument au galop sans échauffement… qu’est-ce qu’il t’est passé par l’esprit ?

–J’étais contrariée, maugréa-t-elle. Comment as-tu deviné où j’allais ?

–Quand tu as disparu sous les arches du marché Nord, c’est devenu évident. Tu n’allais pas perdre un temps précieux à choisir une autre sortie.

Maussade, elle relança sa monture tandis que Lucas lui emboitait le pas. Autant pour la solitude.

Elle soupira tout en laissant Rosie suivre le sentier. La voie était bien entretenue et régulièrement empruntée ; sur la terre tassée les feuilles mortes de l’automne précédent rendaient par endroit le terrain glissant. Le gérant du relais ne lui avait pas menti, sa jument avait le pas sûr.

Ils chevauchèrent de longues minutes en silence.

–Tu comptais vraiment fuir jusqu’à la Porte ? finit par demander l’Émissaire.

Ah, il cédait enfin à la curiosité ! Elle jubila en silence un court instant avant de se rendre compte qu’il fronçait les sourcils face à son manque de politesse.

–Non, répondit-elle. Je veux juste un peu de tranquillité. J’en ai assez que tout le monde cherche à me convaincre du choix de vie idéal.

–Tout le monde ?

–Mon père, concéda-t-elle. Et ce Luor.

–Il t’a parlé ? s’étonna Lucas. Surprenant de sa part.

–Oh, il est agaçant, comme de nombreux Massiliens. Tu ne m’as pas parlé de ce que tu avais fait ces trois dernières années ? dit-elle pour changer de sujet.

Le jeune homme se raidit instantanément.

–Entrainement, murmura-t-il de façon évasive.

Tiens donc, le terrain était sensible. Satia n’avait qu’à pousser son avantage.

–Mais encore ?

Lucas retint un soupir et lutta pour rester impassible. Comment lui faire comprendre qu’il ne souhaitait pas en parler ? Son apprentissage n’avait rien de comparable avec les études académiques qu’elle avait suivies. En tant qu’Envoyé, il avait suivi partout le Messager qui s’occupait de sa formation, y compris sur les champs de bataille. Les Portes, ces édifices qui permettaient de circuler d’une planète à l’autre, restaient le lieu principal des escarmouches contre les soldats de l’Empire ; et malgré la paix qui régnait dans les Douze Royaumes, les territoires étaient suffisamment vastes pour permettre le regroupement de brigands, ou pire, de mercenaires qui offraient ensuite leurs services à ceux qui avaient des comptes à régler.

S’imaginait-elle qu’il n’avait jamais connu les combats ? Comment lui expliquer que son quotidien était bien plus complexe que ce qu’elle imaginait ?

Il est sûr que si tu ne dis rien, elle ne pourra pas savoir, intervint Lika dans ses pensées.

Et si elle demande à te rencontrer ?

Le choix m’appartient, tu le sais.

Je ne saurais pas par où commencer…

Reste vague, alors. Elle cherche seulement à parler de choses et d’autres.

Magnifique, songea le jeune homme.

Les mots étaient loin d’être sa spécialité. Le rire de Lika fit écho à ses pensées maussades.

Tu pourrais aussi en tirer un bénéfice.

Je me demande bien lequel…

–Lucas ?

–Oui ? se reprit le Massilien.

–Tu semblais ailleurs. C’était si pénible ?

L’Émissaire haussa les épaules.

–Pas vraiment. J’ai eu droit à quelques cours théoriques entre deux batailles.

–Oh.

Satia se tut, plongée dans ses pensées, et Lucas fut ravi que l’interrogatoire s’arrête là. Malgré le froid, de nombreux oiseaux pépiaient dans les hauteurs. La forêt résonnait de leurs chants ; avec la lumière pâle de l’hiver et le bruissement du vent dans les branches, le paysage était enchanteur et apaisant.

Les deux jeunes gens s’arrêtèrent dans une petite clairière pour se restaurer. Ils avaient attaché leurs chevaux, et Satia avait sorti de son sac une large couverture qu’elle posa sur le sol avant d’inviter son ami à s’asseoir près d’elle.

–Tu ne vas pas rester debout quand même !

Le Massilien s’installa et ses ailes formèrent une barrière qui les protégeait du vent.

–C’est encombrant mais bien pratique, commenta Satia.

–N’est-ce pas ? sourit le jeune homme.

–Je m’excuse pour tout à l’heure, poursuivit-elle. Je n’aime pas qu’on décide à ma place.

–Je comprends.

–C’est difficile pour moi, tout ça. Depuis que je suis toute petite, je suis habituée à fuir. Mon père a toujours pris les décisions à ma place.

Satia soupira et enserra ses genoux.

–Je ne sais pas quoi faire.

L’Émissaire resta silencieux. Fuir n’était pas dans sa nature. Depuis le berceau il avait été élevé dans l’idée de faire front et surmonter chaque obstacle. Choisir la voie des Mecers avait été une évidence.

Mais rien ne lui avait été imposé. Il avait toujours été libre de ses choix – du moment qu’il en acceptait les conséquences. Lucas choisit soigneusement ses mots.

–L’essence même de la vie, c’est le changement. La même attaque ne pourra avoir raison de tous les adversaires. Dans un combat, tu t’adaptes pour trouver le moyen pour survivre.

–Je ne vois pas le rapport avec…

–J’y viens. Ce n’est pas parce que tu as l’habitude de fuir que c’est la solution à tous tes problèmes. Et tu le sais. Tu as affronté tes examens, non ? Je suis certain qu’en y réfléchissant, tu verras que tu es capable de dépasser les difficultés, à ta manière. Parce que tu l’as déjà fait.

Tu es confrontée à un choix important, mais la décision reste tienne. Je pense d’ailleurs que tu l’as déjà prise ; tu as seulement peur des conséquences qu’elle va entrainer/engendrer.

Satia resta silencieuse, et croqua dans une pomme tout en réfléchissant. Lucas n’avait pas tort, dans le fond. Pensive, elle termina son fruit et étudia le dos de sa main. Serait-elle différente sans les couches de maquillage qu’elle s’appliquait quotidiennement ? Les peuples de la Fédération affichaient fièrement leurs différences, après tout. Et qui saurait ce que signifiait la couleur de sa peau ? Elle pourrait bien trouver un moyen de se protéger des soldats envoyés par l’Empereur Dvorking.

Elle frissonna comme une rafale de vent froid s’immisçait dans son cou et leva les yeux. L’Émissaire était déjà debout et s’occupait de détacher les chevaux. Elle vint le rejoindre.

–Quelle est la suite du programme ? demanda-t-il.

–Je comptais passer la nuit sur les rives du lac Eriol. Ce n’est plus très loin, et l’endroit est splendide.

–Ton père va s’inquiéter.

–Je m’en doute, répondit-elle, mal à l’aise.

Elle se sentait coupable de lui avoir menti. Quel autre choix avait-elle ? Jamais son père n’aurait accepté qu’elle passe la nuit près du lac.

–Veux-tu que je demande à ce qu’il soit mis au courant ?

–Non, répondit-elle après quelques secondes. Il ne pourra pas toujours connaitre mes moindres faits et gestes. Autant qu’il s’habitue.

–Comme tu voudras.

L’Émissaire recula soudain d’un pas au son feutré de l’acier dégainé. Des soldats impériaux, si loin d’une Porte ? Il parcourut les abords de la clairière du regard tandis que sa main venait caresser le pommeau de son épée. Ils n’étaient que trois. Leur uniforme noir les désignait comme des éclaireurs ; sans armure, donc. Près de lui, Satia était immobile, pétrifiée par la surprise.

Leur meneur, reconnaissable aux deux bandes rouges sur ses épaules, s’approcha d’eux, lame au clair.

–Suivez-nous sans faire d’histoire, et tout se passera bien.

–Je ne crois pas, non, rétorqua Lucas.

Il tira son épée et fit trois pas pour engager le soldat. Une fois au contact, l’Émissaire sentit la faiblesse dans la position de son adversaire. Il s’effaça sous l’assaut et percuta l’impérial de son coude. Le temps que ce dernier retrouve son équilibre, Lucas lui avait déjà enfoncé son épée dans la poitrine. Il dégagea son arme et se mit en garde.

Plus que deux, songea-t-il comme les soldats se précipitaient sur lui. Venir à leur rencontre signifiait laisser Satia vulnérable ; il n’avait d’autre choix que de les laisser approcher.

Ils étaient inexpérimentés, réalisa-t-il comme le premier engageait le combat sans attendre son camarade. Lucas n’eut aucune difficulté à passer sa garde pour lui porter un coup fatal ; il avait gagné quelques secondes de répit pour affronter le dernier homme, qui leva sa lame en hurlant comme pour renforcer son geste. S’imaginait-il vraiment qu’il allait rester là, immobile, pour parer un coup pareil ? L’Émissaire esquiva d’un pas de côté et le coup le rata de quelques centimètres. Un peu juste, réalisa-t-il en apercevant un morceau de plume fiché dans le sol avec la lame. C’était dommage pour l’impérial, parce qu’il avait vraiment mis toute sa force dans ce coup et que son épée avait profondément mordu le sol durci par les dernières gelées. Et il était notoirement plus difficile de parer n’importe quelle attaque lorsque son arme était immobilisée. Lucas n’eut même pas à forcer son talent pour lui transpercer le cœur. Et de trois. Il balaya les alentours. Personne. Mieux valait ne pas trainer, la situation était anormale.

–On s’en va, dit-il sombrement.

Satia acquiesça en silence. Sa petite virée lui paraissait bien moins excitante tout à coup.

–Pas si vite, gamin.

Lucas se figea en découvrant son nouvel adversaire, qui dégrafa sa cape pour la laisser glisser au sol. Sur l’uniforme gris souris s’affichaient neuf étoiles rouges formant un cercle, comme un rappel des ailes écarlates qui s’élevaient dans le dos de l’individu.

Le jeune homme déglutit nerveusement et raffermit sa prise sur son épée. Le Commandeur des Maagoïs, les troupes d’élites de l’Empire des Neuf Mondes, se tenait devant lui, un étrange sourire au coin des lèvres. Éric aux Ailes Rouges.

C’est peut-être le moment d’appeler du renfort.

« Peut-être » ? Tu n’es pas de taille, Lucas.

Ne crois-tu pas que j’en ai conscience ?

–Montre-moi ce que tu as dans le ventre, gamin, et ensuite je m’occuperai de ta copine, fit le Commandeur en tirant son épée.

Hors de question que Lucas se défile en face du traitre à la nation massilienne. Il serra les dents en prévision du désastre qui s’annonçait et attendit l’assaut.

Le Commandeur Éric ne s’embarrassa pas de fioritures. Il attaqua, vif comme l’éclair, souple comme le serpent. L’Émissaire se retrouva immédiatement sur la défensive. Le jeune homme para en catastrophe un coup qui aurait dû lui trancher la jambe ; il ne put empêcher la lame de mordre profondément les chairs et la douleur s’épanouit instantanément dans tout son membre. Ça, ça allait vite être un gros problème. Il déplaça son poids sur sa gauche pour soulager sa jambe.

À sa surprise, le Commandeur recula d’un pas au lieu de pousser son avantage, ramenant son épée en garde basse.

–Je m’attendais à plus de résistance de la part d’un Émissaire… Ne me dis pas que c’est tout ce que tu sais faire ?

Lucas grimaça et chercha à se concentrer malgré la douleur. Ne pas céder à la provocation semblait évident.

Mais tu en meurs d’envie, nota Lika.

N’importe qui le serait, rétorqua le jeune homme.

Il est confiant. Il t’a jaugé plutôt inoffensif. Ton erreur qui t’a coûté ta blessure peut devenir un avantage.

Je ferai de mon mieux.

Lucas estima la distance qui le séparait de son adversaire. Trois pas. L’attendre serait se condamner à plus ou moins long terme ; mais attaquer alors que le Commandeur venait de l’y inviter était carrément suicidaire. Ou alors il ne s’attendrait pas à ce qu’il se montre aussi stupide ?

Fonce.

L’Émissaire s’élança sur son vis-à-vis. Les lames s’entrechoquèrent avec un tintement cristallin. Lucas eut le temps d’apercevoir un éclat de surprise sur le visage de son adversaire. Sans attendre, il se dégagea et attaqua de nouveau. Cette fois, le Commandeur Éric tomba dans sa feinte. Lorsque Lucas arma son coup, il était trop tard. L’impérial parvint pourtant à ramener son arme en parade en catastrophe, déviant l’essentiel de la puissance du coup. Le jeune Émissaire s’autorisa un sourire. Il l’avait touché ! Une ligne sanglante déparait la joue du Commandeur des Maagoïs.

–Ca, gamin, tu vas me le payer, murmura Éric aux Ailes Rouges.

Lucas pâlit en sentant la rage et la détermination qui s’emparaient de son adversaire. Il rompit précipitamment, manquant de s’étaler au sol en appuyant sur sa jambe blessée. Le Commandeur avança implacablement sur lui, et très rapidement il se trouva débordé. La différence de niveau était tout simplement trop grande, malgré tout son savoir il n’arrivait pas à reprendre la main dans ce combat.

L’Émissaire esquiva ce qui se révéla être une feinte, laissant son flanc à découvert. La lame en cristal Kloris plongea dans la chair tendre, lui arrachant un hoquet de surprise et douleur mêlées. Son épée s’échappa de sa main et il tomba sur les genoux comme le Commandeur retirait la lame sombre avec un sourire satisfait. Le décor devint flou autour de lui.

–LUCAS ! hurla Satia en se précipitant à ses côtés.

Il esquissa un pâle sourire.

–Désolé. J’ai failli.

Tiens bon, Lucas, j’arrive.

Le Massilien lutta pour rester conscient. La douleur irradiait chaque fibre de son organisme.

Résiste, ne te laisse pas emporter.

Respirer lui devenait difficile. Il résista de son mieux mais au fond de lui il savait qu’il était déjà trop tard.

LUCAS !

Sa vision se brouilla et il sombra dans les ténèbres.

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