# 1337 Extrait de dossier - Jour 3

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Jour 3



Aujourd'hui encore, plus aucune trace de ce que j'ai écrit la veille. Tant pis, je ne veux pas me relire de toute façon. Je veux oublier ce que j'ai raconté hier, oublier le désespoir. Survivre sans rien ressentir.

J'aimerais pouvoir inventer une histoire et m'évader en l'écrivant. Impossible. Je n'ai pas d'idée. De toute façon le scripteur ne la garderait pas en mémoire. Au lieu de ça, je me retrouve encore plus enfermé en moi-même.

Je ne me suis pas jeté sur la tablette aujourd'hui. Enfin, si. Mais pas sur le scripteur numérique. Je voulais juste lire. Un livre génial. L'histoire est étrange, mais les mots sonnent justes. Et puis le personnage a quelque chose, il est vrai. Je me retrouve dedans.

Un restaurateur de poteries anciennes sombre dans la dépression. Dans la société où il vit, les céramiques se font rares. Un peu comme dans la nôtre, au final. Perdu au fin fond d'une mégalopole sans âme, seuls ses souvenirs lui apportent un peu de réconfort. Des souvenirs où il recollait des morceaux de céramiques brisées, des souvenirs où il était capable de guérir des œuvres délaissées. Des souvenirs lointains. Comme les miens... Un jour, il reçoit un mot en provenance de l'espace. Dans ce mot, on lui demande ses services. Au début il n'y croit pas trop, il est si pessimiste qu'il pense à une mauvaise blague. Et puis il reçoit un deuxième mot. Il s'agit en fait d'une entité extraterrestre en provenance des abîmes de l'espace. Cette créature requiert les services de personnes aux quatre coins du système solaire pour une tâche colossale : ramener une cathédrale enfouie sous les eaux à la surface.

Bon, je n'ai pas tout compris. Mais j'ai trouvé l'idée géniale. Ça m'a un peu changé l'esprit. Et ce Joe Fernwright, il me ressemble tant. Je tenais une des dernières boutiques de plantes de la mégalopole A. On pouvait tout y trouver. Absolument tous les spécimens encore présents à notre époque. Même les plus rares, même des Orchidaceae. Il n'y avait pas grand monde pour m'en acheter. Juste quelques excentriques fortunés, parfois. Mais j'avais au moins le réconfort de pouvoir m'en occuper. Qu'est-ce qu'elles sont devenues, mes plantes ? J'espère que quelqu'un en prend soin pour moi. Mais qui ? Anna, je l’espère. A part elle je n’ai jamais eu personne.

Elle était heureuse avec moi, Anna ? Bien sûr qu'elle l'était. Elle ne savait pas le montrer, c'est tout. Elle n'a jamais été reconnaissante pour quoi que ce soit. Elle me répétait toujours la même chose, en boucle. « Je veux sortir, Pablo. Laisse-moi sortir ». Notre monde est dangereux. L'air est vicié, les gens sont effrayants. Les tours d'acier et de verre nous surplombent de part et d'autre, prêtes à nous avaler. Des marées humaines qui vous fauchent au passage, des nuées de Lévitateurs qui masquent le soleil. Et des stupides machines qui ramassent le moindre de vos mégots, qui vous cirent les pompes chaque fois que vous avez le malheur de vous arrêter quelques secondes.

Cela dit, elle me manque, la surface. Mais pour Anna, c'était différent. Elle était si pure. Si fragile. Il ne fallait pas qu'elle sorte. Pour son propre bien. J'espère qu’elle s'en est rendue compte.

J'aurais aimé qu'Anna soit une plante. Tout aurait été bien plus facile. Est-ce qu'elle est dehors maintenant ? Ça y est, je parle encore d'elle. Je ne fais que parler d'elle. Je ne fais que penser à elle. C'est ça, leur but ? Que je me noie dans mes souvenirs à force d'en parler ? Que je perde la tête ? Ils ne m'auront pas. Je suis quelqu'un de solide. Solide, et équilibré. Même si je m'ennuie à mourir.

Eh toi, con de robot dans le plafond ! Ramène-moi un autre livre ! Combien de temps je vais devoir encore attendre pour en avoir un nouveau ? Je suis persuadé qu'ils le font exprès. Quelques fois, je n'ai même pas fini un livre qu'ils le changent, et je dois en lire un nouveau sans avoir fini l'autre. Tant d'histoires dont je ne connaîtrai jamais la fin. Et puis parfois, j'attends une éternité. Si longtemps qu'il m'est arrivé de lire le même bouquin plusieurs fois de suite, en attendant qu'il change. Dans ces cas-là, je m'ennuie tellement que je dessine sur les murs avec la soupe. Un portrait d'Anna, de son visage d'ange. Mais ce n'est pas très réussi. Et puis chaque trait est toujours de la même couleur. Un orange passé qui me déprime. Ils auraient au moins pu faire l'effort de varier les couleurs.

Que c'est long... Et ça ne fait que trois jours que j'ai ce nouveau passe-temps ! Combien de temps encore avant que je puisse choisir ?

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