De quelle couleur était le ciel de Toulouse ce matin du vendredi 21 septembre 2001 ? Je ne saurais le dire. Probablement la promesse d'une douce journée de fin d'été comme nous en connaissons régulièrement. Dans cette région, l'été s'étire et joue les prolongations, les tenues légères et joyeuses refusent d'être mises au placard trop tôt.
Il est 9 heures lorsque j'ouvre ma boutique de couture. Dans cette rue très commerçante, il y a déjà beaucoup d'animation et les bus sont pris d'assaut. Je n'ai pas de soucis à me faire dans l'avancement de mon travail, mes clients peuvent venir retirer leurs vêtements aujourd'hui, juste avant le week-end comme c'est l'habitude. Je jette un regard furtif sur le mannequin de vitrine qui n'a pas bonne mine avec sa perruque qui a glissé sur le côté, dévoilant son crâne chauve. Avec ses yeux de biche, son sourire éternellement niais que dessine sa bouche, sa plastique parfaite qu'un rien habille, elle tient le rôle de la parfaite potiche ! Cependant je ne veux pas m'en séparer, elle me permet de rappeler aux clients étourdis qu'il est grand temps de venir récupérer leurs effets oubliés avant que la mode passe et surtout de passer à la caisse ! Ma potiche ne se plaint pas d'être vêtue avec les nippes des autres.

Ce matin, je décide de m'occuper d'elle en composant une nouvelle tenue. Dans le carton réservé pour elle, je trie, je compose, j’harmonise les couleurs...mais ne me décide pas.

Ma pendule indique 10h15 quand je me dirige vers elle pour la déshabiller de cette robe à rayures dont j'ai oublié à qui elle appartient. Alors que je me trouve à ses côtés, une première terrible détonation puis une seconde font trembler ma vitrine. Je sors sur le trottoir et me retrouve avec d'autres passants, une dame me dit qu'il doit s'agir d'une explosion de gaz dans le quartier... Très vite l'air devient irrespirable et la panique s'empare de la population dans la rue. Le plan rouge est déclenché et les habitants sont priés de rester calfeutrés chez eux. La tragédie des tours jumelles du World Trade Center dix jours plus tôt est dans tous les esprits.

Que s'est-il-passé ? Un nom circule : AZF. Je n'ai jamais entendu parler de cette usine d'engrais azotés située à cinq kilomètres du centre de Toulouse. Une explosion d'environ 300 tonnes de nitrate d'ammonium serait à l'origine de ce drame. AZF, 3 lettres pour AZote Fertilisants devenues synonyme de grande tragédie, comme l'étendue d'une immense tache noire recouvrant la ville rose. A la demande du député de la zone concernée, ces lettres ne sont plus utilisées sur les plaques d'immatriculation dans le département.

La suite se lit en chiffres : Un séisme de magnitude 3,4 est enregistré, 31 morts, 2500 blessés, 16 ans d'enquête et de procès. Une autre triste histoire.
On se souvient toujours ce qu'on faisait au moment d'une tragédie...