La folle aventure de Choupichounounou

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Il y a bien longtemps, quand les nains creusaient encore sous la montagne, vivait un petit roi. Nous disons « petit » non pas à cause de la grandeur et de la puissance de son royaume, qui était très étendu, mais parce que le roi était un lutin, et il ne dépassait donc pas les dix pouces. Il régnait sur une flopée de petits lutins qui vivaient paisiblement et en harmonie, sauf lorsqu’un voisin vous volait un pot de confiture de myrtille, auquel cas il était tout à fait légitime de lui chercher querelle.

Le roi avait un fils qui était fort bien fait puisqu’il avoisinait les neuf pouces. Ses longs cheveux verts étaient coiffés en tresses parsemées de bijoux, et son père se targuait souvent que ses yeux étaient les plus beaux joyaux du royaume. Chérinounet – car c’était le nom du prince – avait également beaucoup d’esprit, et il était dit de lui qu’il connaissait toute la poésie lutine du royaume, et plus important encore, toutes les blagues vaseuses du continent (y compris celles des nains qui sont, comme chacun le sait, dotés d’un humour plus que douteux).

Lorsque Chérinounet eut vingt-cinq ans, car il n’était pas raisonnable de le marier avant, le roi se mit en tête qu’il lui fallait des petits enfants à chouchouter et à gâter comme tout grand-père qui se respecte, et il demanda à Chérinounet de prendre femme.

Chérinounet se serait senti fort aise de contenter son père s’il n’aspirait pas à prendre époux plutôt qu’épouse. Ne voulant point chagriner le roi qui désirait ardemment avoir des petits enfants, il consentit à une grande fête où toutes les lutines non mariées – et en âge de l’être – du royaume seraient invitées. Il y choisirait alors, pour son plus vif malheur, celle qui serait amenée à partager sa vie et, accessoirement, à devenir la future reine.

L’édit partit donc, mais l’annonce se propagea bien plus vite que prévu grâce aux tavernes lutines, où comme chacun le sait, les rumeurs et les ragots se content bien plus que dans les boudoirs. Bientôt, tout le pays fut au courant que le prince devait prendre femme, et son portrait fut placardé dans toutes les forêts du royaume, afin que ces dames puissent se pâmer devant la beauté de Chérinounet.

À l’autre bout du pays, dans une forêt sombre et humide, vivait un lutin qui passait plus de temps dans les tavernes souterraines des nains à boire de la bière infecte qu’à cueillir des champignons et à boire des infusions toute la journée. Ce lutin se nommait Choupichounounou, et il était tombé fou amoureux du prince lorsqu’il avait vu son portrait.

Comme des plaisanteries de très mauvais goût et très offensantes sur les orientations homosexuelles du prince couraient dans les contrées naines, Choupichounounou en avait déduit qu’il avait sa chance et avait donc entreprit de partir jusqu’au château de pin du roi pour assister à la fête en l’honneur de Chérinounet, et peut-être ravir son cœur.

Le petit lutin partit donc accomplir son héroïque destin, celui d’affronter mille dangers pour obtenir la main du prince. Il fit son baluchon, emporta sa flasque qui ne contenait certainement pas de la tisane, prit des petits gâteaux au miel pour la route ainsi qu’une belle tunique verte pour séduire Chérinounet.

Ainsi paré, il vissa son chapeau orné d’une plume de colibri sur sa tête et partit sur ses petits pieds. La première étape de son long périple était de traverser la forêt. Elle était peuplée de nombreux dangers, car dès qu’on quittait le village, on quittait aussi sa protection et on se retrouvait à la merci des animaux sauvages, des chemins escarpés et des flaques de boue mortelles…

Mais Choupichounounou n’avait pas peur, et pour les beaux yeux de Chérinounet, il était prêt à tout. Il contourna les racines trop hautes pour être enjambées, passa sous les arbres centenaires qui étaient si grands qu’ils touchaient les nuages, se fit un radeau avec des morceaux d’écorce pour passer sur les flaques géantes. Il avança ainsi pendant plusieurs jours, et par chance, il ne rencontra pas un animal, du moins pas un seul animal dangereux.

Une fois il passa à l’orée d’une fourmilière, et dut faire un large détour pour éviter de déranger les travailleuses. Une autre fois, il croisa un oiseau, à qui il offrit ses petits gâteaux au miel. Les rencontres étaient rares, mais Choupichounounou ne s’ennuyait pas. Il pensait aux beaux yeux du prince, et il pensait aussi au fait qu’il connaissait toutes les blagues du continent d’après les rumeurs, et qu’on ne pouvait décemment pas être triste auprès d’un tel lutin.

Mais un jour, alors qu’il avait presque quitté la forêt, il rencontra une dame. Elle avait des ailes translucides et une robe faite de pétales de fleur. C’était une fée, et comme chacun sait, il ne faut pas contrarier les fées. Aussi Choupichounounou ne désobéit-il pas lorsqu’elle lui fit signe de la rejoindre.

– Ta figure me plaît, et tu m’as l’air d’être un lutin très débrouillard, dit-elle. Si tu contentes mes souhaits, je saurais te récompenser.

Choupichounounou hocha la tête, et il écouta les consignes de l’aimable dame. Dans une grotte non loin d’ici se trouvait le plus bel objet du monde. Il devait le lui rapporter avant le coucher du soleil.

– Va, dit-elle. Le renard t’accompagnera.

De derrière les fourrés sortit une créature rousse immense et d’une fourrure qui semblait douce et soyeuse. Choupichounounou se mit à trembler, car un renard pouvait tuer un lutin d’un coup de patte, mais il songea que la fée commandait la bête, et qu’elle ne devrait donc pas lui faire de mal.

Il suivit le renard jusqu’à un rocher. Une crevasse se dessinait dans la pierre. Le lutin y entra. Il y avait bien une grotte. Mais à l’intérieur il n’y avait pas seulement la plus belle chose du monde. Il y avait aussi une multitude d’autres objets, tous plus intéressants les uns que les autres. Il s’empara d’une si belle chose que sa beauté écrasait celle des autres.

– Tu peux te servir, lui dit le renard. La fée n’en saura rien.

Mais Choupichounounou trouva que c’était fort malhonnête et il quitta la grotte, emportant dans sa mémoire toutes les belles choses qu’il avait vues. Le soleil commençait à peine à se coucher lorsque le renard et le lutin retrouvèrent la belle dame. Elle sourit.

– Tu m’as amené ce que je t’ai demandé alors que tu aurais pu t’enfuir avec l’objet le plus beau du monde, et tu ne m’as pas volée alors que tu aurais pu le faire. Je vois que ton cœur est pur, et je saurai te remercier.

Puis elle s’envola, et le renard disparut dans la forêt.

Choupichounounou continua sa route. Il lui restait encore de nombreuses journées de marche, et le bal approchait dangereusement. Il quitta la forêt et se retrouva cette fois-ci dans une plaine où des fleurs sauvages plus grandes que lui dansaient au gré du vent.

Les dangers n’étaient plus les mêmes, et le petit lutin avançait le cœur plus léger. Cependant, alors que le soleil était au zénith, une créature immense avança vers lui, faisant trembler la terre. Un cheval ! Choupichounounou se jeta à terre et pria pour être épargné. Au moment où son heure aurait dû venir – assez tôt, par ailleurs – il se sentit soulevé de terre. Il ouvrit les yeux : il était entre les serres d’un oiseau !

Ce dernier le déposa quelques centaines de pieds plus loin ce qui, au passage, avançait considérablement Choupichounounou. Le lutin s’inclina devant l’oiseau pour le remercier.

– Tu as su satisfaire ma gourmandise en m’offrant tes petits gâteaux au miel. Je suis heureux d’avoir pu sauver ta vie.

Et il s’éloigna en un grand battement d’ailes. Choupichounounou reprit sa route. Même si l’oiseau l’avait rapproché de sa destination, le petit lutin avait tout de même quelques jours de retard. S’il voulait arriver au château à temps pour le bal, il allait falloir qu’il voyage de nuit aussi !

Il prit un petit en-cas, puis continua d’avancer dans la plaine. Malheureusement, les herbes étaient si hautes que Choupichounounou se perdit vite. Comment être sûr qu’il allait dans la bonne direction ? Avec le soleil, il s’orientait sans mal, mais ici, de nuit, il perdait tous ses repères.

Anéanti, persuadé qu’il n’arriverait jamais à temps pour épouser le prince, le petit lutin s’assit à terre et se morfondit en soufflant d’une manière extrêmement peu distinguée dans des petits mouchoirs. C’est alors qu’un phénomène incroyable se produisit…

Il y avait des fourmis. Des centaines de fourmis, qui brillaient dans le noir ! Dans le royaume des elfes, les insectes étaient parfois magiques, mais c’était la première fois que Choupichounounou voyait des fourmis phosphorescentes. Elles chantonnèrent en cœur :

– Tu as aidé nos sœurs, en évitant leur fourmilière. À nous de t’aider ! Nous éclairerons ta route jusqu’au lever du jour, lutin !

Rassuré et le cœur gonflé de courage, Choupichounounou se remit en marche. Il avança sans encombre jusqu’au crépuscule. Là, il remercia chaleureusement les fourmis qui disparurent dans les herbes. Il ne lui restait maintenant qu’une journée avant la fête royale, et il était déterminé à aller jusqu’au bout. La plaine s’acheva, la plaine devenait plus humide, et un bruit d’eau, sourd comme celui d’une cascade mais en même temps cristallin se faisait entendre. Un ruisseau !

Le courant était très fort, et Choupichounounou ne pouvait pas se faire un radeau comme il l’avait déjà fait, sans quoi il se ferait certainement entraîner. Le ruisseau était trop profond pour qu’un lutin puisse avoir pied. Il décida de longer l’eau dans l’espoir de finir par trouver un pont. Au bout de plusieurs heures, il dut se rendre à l’évidence. Il n’y avait pas de pont, et le ruisseau était infranchissable. Même s’il arrivait à traverser maintenant, il était si en retard qu’il n’arriverait jamais à l’heure au bal.

Il n’épouserait jamais Chérinounet.

C’est alors qu’une masse rousse énorme apparut à côté de lui. Le cœur du lutin bondit dans sa poitrine. Le renard ! Peut-être pouvait-il l’aider ?

– C’est la fée qui m’envoie ! Elle veut que tu puisses retrouver l’homme dont tu es tombé amoureux pour que tu puisses l’épouser et lui tresser des couronnes de fleurs.

C’était atrocement gnan-gnan mais Choupichounounou eut les larmes aux yeux lorsque le renard lui proposa de monter sur son dos. Il était perché si haut ! L’animal traversa tranquillement le ruisseau en quelques pas, et ils furent vite sur l’autre rive. « Accroche-toi » souffla le renard, et il se mit à courir, vite, si vite que le lutin dut se retenir de toutes ses forces aux longs poils de la bête pour ne pas tomber.

Ils furent au château en moins de vingt minutes. Le bal commençait à peine. Choupichounounou remercia vivement le renard, puis il monta les marches à toute vitesse. Il était impatient de voir le prince. Il n’avait pas fait tout ce chemin pour rien !

Dans la salle de bal, toutes les lutines du royaume minaudaient dans leurs plus belles robes de soie d’aragne. Notre lutin préféré ne sentait pas la rose, et ses vêtements étaient déchirés et couverts de boue. Il avait perdu son baluchon dans la course folle du renard, et avec lui sa tunique verte.

Alors il enleva son haut couvert de boue, et en voyant son torse Chérinounet se dit qu’il était vraiment beau. Choupichounounou lui fit une blague de nains – il en connaissait beaucoup car rappelons-le il traînait dans les tavernes naines. Le prince tomba instantanément amoureux. Il demanda au lutin de l’épouser et fit part de sa décision à son père.

Le roi fut quelques temps malheureux à l’idée de ne jamais avoir de petits enfants, mais il se consola en se disant qu’il y avait toujours quelques lutins qui finissaient croqués par un loup et qu’il y avait donc toujours des enfants à adopter. De plus, son gendre avait bravé mille dangers pour les beaux yeux de son fils, et le roi fut si impressionné qu’il consentit au mariage.

Ils vécurent heureux et se firent plein de bisous.

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