Chute d’Empyreum, 236 LC

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Les premières lueurs de l'aube dévoilaient une ville fière qui se dressait tel un rempart inébranlable face aux bannières ennemies flottant dans la plaine. À l’intérieur de la cité, les rues étaient désertes. Abandonnée de ses habitants, la capitale empyréenne ne comptait plus que quelques milliers d’âmes, dont 2.000 défenseurs prêts à sacrifier leur vie pour leur Imperator.

Posté sur les épaisses murailles, entouré de sa garde prétorienne, Icelius observait d'un œil calculateur le déploiement de l'armée rebelle. Fin stratège, il était conscient d’avoir perdu cette guerre. Depuis la défaite d’Aetheria, tout espoir de vaincre s'était évanoui. Son armée avait été anéantie et ceux qui n’avaient pas péri sous le glaive de l’ennemi s’étaient ralliés à lui. Icelius avait sous-estimé ses rivaux et cette erreur lui coûterait la vie. Lui qui avait pourtant été si brillant autrefois. Il avait remporté des victoires légendaires et avait su manipuler le paysage politique pour évincer ses ennemis. Mais malgré tous ses efforts et son génie, il avait été incapable de contenir la vague de protestation qui grondait depuis tant d’années ; la rébellion avait pris forme dans le Sud, portée par les grandes familles des Laenii et des Praetorii. Soutenues par la majorité des membres du sénat, ces familles avaient juré de restaurer la république et fomenté une rébellion contre Icelius. Lui que l’on appelait désormais le dictateur, le tyran pourpre.

— Imperator, les troupes sont en place, conformément à vos ordres, annonça un général. La milice a été réquisitionnée pour maintenir l’ordre dans la ville. Avez-vous d’autres exigences ?

Tout était perdu, mais il fallait maintenir l'espoir. C’était là son dernier rôle. Combien de soldats trouveraient la mort aujourd'hui ? Combien de ses concitoyens rejoindraient les cieux pour garantir le prestige de sa famille ? Il avait élu consul et ce serait en consul empyréen qu'il mourrait. Le glaive à la main et la cuirasse percée de traits meurtriers de ses ennemis.

— Continuez à relayer les informations des guetteurs des murailles Est, Ouest et Nord. Que l'on me rapporte immédiatement le moindre mouvement suspect, ordonna Icelius d’une voix ferme et assurée. Nos ennemis sont désespérés et vont tenter un ultime assaut pour venir à bout de nos défenses. Tenez bon et nous célébrerons ce soir une grande victoire.

Le général frappa énergiquement sa cuirasse et s'éloigna pour relayer les ordres à sa division. Icelius le regarda s'éloigner. C'était un brave homme, quoique un peu stupide. C'était sans doute pour cela qu’il comptait parmi ses derniers généraux loyaux. Ce soir, son corps sans vie nourrirait les charognards et son âme trouverait le chemin vers les cieux. Le regard fatigué du consul s’attarda un moment sur la cape du commandant qui ondoyait au vent. La cape pourpre, le symbole de son règne qui disparaîtrait bientôt avec lui.

Un cor retentit dans la plaine. Seul, isolé, il renvoyait un écho timide, semblable au gémissement d’un animal apeuré. Puis, balayant les peurs et les incertitudes, s’éleva un concert retentissant de trompettes et de tambours qui fit trembler la terre. Les résonances glorieuses semblaient annoncer la fin de cette guerre et la défaite imminente du tyran. Les remparts furent saisis d'une agitation nerveuse et les trompettes retentirent également dans la cité. Tous les soldats regagnèrent leur poste.

Le consul s'écarta pour laisser ses hommes prendre place sur la muraille tandis que des garçons à peine plus âgés que son propre fils courraient entre les lignes pour garnir les stocks de flèches. Cette cité avait été conçue pour résister à des assauts bien plus conséquents, pourtant, Icelius avait l’intime conviction qu’elle tomberait avant la fin de la journée. Toujours accompagné de sa garde, il longeait les remparts, observant les lignes ennemies et tentant de percer la stratégie qu'allaient employer ses rivaux pour le vaincre. Un assaut frontal serait voué à l'échec. Pourquoi alors avaient-ils rassemblé toutes leurs troupes sur le front sud ? Ils auraient pu profiter de l’infériorité des défenseurs pour lancer des assauts simultanés sur l’ensemble de la muraille, comme les stratégies conventionnelles le préconisaient dans ce cas de figure. Pourtant ils étaient tous là, devant lui.

Icelius s'immobilisa soudain, frappé de stupeur. « Non ! ». Il se rua brusquement vers les créneaux, bousculant l'archer en place et provoquant un vent de panique parmi ses gardes qui se pressèrent autour de lui pour le protéger.

— Imperator ? interrogea le commandant de sa garde, visiblement inquiet.

— Ils ne sont pas tous là... murmura Icelius.

Le consul le voyait à présent, malgré les efforts de l'ennemi pour grossir les colonnes et étirer ses lignes. Tous leurs effectifs n'étaient pas ici. Tandis que l'armée rebelle s’ébranlait, une corne d’alarme retentit à l'autre bout de la ville.

Des murmures d’inquiétude et d'incompréhension se répandirent parmi les soldats. Posté sur les remparts, Icelius pouvait clairement voir la grande porte est en train de s'ouvrir. Qu'avait-il négligé dans sa stratégie ? Comment ses rivaux avaient-ils réussi à déjouer ses barrières défensives ? Il sourit intérieurement. Quels formidables adversaires lui avait-on donné de combattre pour sa dernière bataille.

Les trompettes et les tambours résonnèrent à nouveau dans la plaine et l'armée républicaine se mit soudain au pas de course. Elle ne se dirigeait plus vers les murs, mais vers la porte est.

— Ne paniquez pas ! galvanisa Icelius. Tertius, garde le troisième manipule et tiens les remparts. Toutes les autres unités, avec moi ! Nous allons refermer ces portes avant qu'ils n'y parviennent !

Tandis qu'ils traversait la via Inia au pas de course, Icelius sentit monter en lui un frisson qui lui rappela ses jeunes années. Il n’avait jamais perdu le goût au combat et aujourd’hui, il le sentait exacerbé par le sentiment de peur que se dégageait tout autour de lui. Il ne s’était jamais montré aussi efficace que dans l’adversité et c’était sans doute la raison pour laquelle ses soldats continuaient à le suivre. Il parvenait encore à maintenir l'illusion que la victoire était possible.

Enfin, le premier messager parvint jusqu’à lui.

— Imperator ! Les rebelles ont pris le contrôle de la porte est ! s’écria-t-il essoufflé.

— Comment y sont-ils parvenus ? demanda le consul en maintenant l’allure et en obligeant le messager à reprendre la course pour rester à son niveau.

— Des evocatis Imperator, il y a au moins deux escouades. Nous... nous ne parvenons pas à leur reprendre les portes, ils...

Icelius fit signe qu'il avait compris. Ses hommes ne pouvaient rien face aux éveillés. Mais comment avaient-ils fait pour s'introduire dans la cité sans être repéré ? Il avait été négligent, de toute évidence. Les assauts de ces derniers jours avaient permis à des soldats de s'infiltrer sans qu'il ne s'en rende compte.

— D’autres ennemis sont-ils entrés ?

— Pas encore, mais des troupes embusquées ont surgi dans la plaine dès que les portes se sont ouvertes. Elles ne devraient plus tarder à arriver.

— Hâtons-nous dans ce cas, ordonna-t-il en faisant accélérer la cadence.

Lorsqu'ils parvinrent au niveau de la porte, les bannières républicaines flottaient déjà dans la ville. La milice et les quelques soldats présents avaient été écrasés. Calmement, Icelius immobilisa ses troupes et leur fit reformer la ligne. Les ennemis ne les attaqueraient pas. Ils se contenteraient de garder leur position jusqu'à ce que le gros de l'armée les rejoigne. Le consul évalua rapidement la situation et convoqua ses commandants :

— Alinius, prenez les 50 tirailleurs avec vous et harcelez le centre des positions ennemies depuis ce promontoire. Lupo, avec ce qu’il reste de la 13ème, contournez les entrepôts et attaquez sur le flanc. Je veux aussi un feu nourri sur les remparts pour empêcher les evocati de quitter leurs positions.

Un concert d’approbation parcouru les rangs et les troupes se mirent en marche. Les premiers traits meurtriers s’abattirent autour du consul et l’ordre de charge fut donné. Le fracas des armes se mélangea à la clameur des hommes et à l’agonie des mourants. Conscient qu’il vivait là ses derniers instants, Icelius se jeta dans la mêlée. Insufflant à ses troupes l’énergie de vaincre, il repoussa peu à peu les rebelles qui relâchèrent du terrain. L’épée rougie du sang de ses concitoyens, le consul se laissa gagner par le combat. Enchainant parades et frappes, il abattait des hommes qui lui auraient été loyaux s’il avait su se montrer à la hauteur de ses prestigieux ancêtres. Au moins, il ne les décevrait pas en menant cette bataille jusqu’au bout.

Mais alors qu’il s’apprêtait à exploiter une faille dans la parade de son adversaire, une douleur fulgurante lui transperça le torse et le priva d’oxygène. Le monde bascula autour de lui et les sons devinrent diffus. Il lui sembla entendre un cor qui retentit de l’autre côté de la porte et voir ses hommes qui prenaient la fuite. Seule une poignée d’entre eux resta autour de lui pour se battre. Sa vision s’obscurcit et tandis que le froid enveloppait son corps, il songea une dernière fois à sa femme et à son fils qui se donneraient la mort si la cité venait à être conquise. Eux aussi mourraient avec honneur.

C’est ainsi que s’éteignit Icelius Septimus de la famille des Geminii, dernier tyran d’Empyréa. Suite à la restauration de la république empyréenne, le sénat le condamna au damnatio memoriae, pire châtiment qu’un ennemi de la république pouvait subir. Son nom fut effacé de l'histoire et nul n’était autorisé à le prononcer sous peine d’y laisser la vie. Pourtant, aujourd’hui encore, le nom d’Icelius résonne dans les esprits et nul n’a oublié celui qui fut le dernier à porter le pourpre.

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