Pierrot

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Pierrot était toujours dans la lune, depuis tout petit. Le regard vague, détaché, noyé dans l’horizon sans fond qui l’appelait sans cesse. Il n’écoutait rien ni personne. Ni les silences gênants ni les voix des autres qui se perdaient jusqu’à lui. Elles jouaient leurs symphonies monotones au fil des jours. Ou bien tempêtaient toute l’injustice de ce monde qui n’en finissait plus d’être monde. Toujours, elles frôlaient ses oreilles en zéphyrs, ombres ou tourbillons.

Les autres enfants, bien plus animés que lui, joyeux jusqu’à l’écœurement, vrombissaient tel un essaim autour de lui. Ils l’ennuyaient tellement, à pépier comme des oiseaux affamés ! Pourquoi fallait-il qu’ils l’importunent toujours, peu importe les raisons, les saisons ? N’étaient-ils pas capables de penser qu’il préférait être seul ?

Est-ce que tu veux jouer ?

Tu ne t’ennuies pas tout seul ?

Allez, viens chanter avec nous !

On va faire du « Jacques a dit », tu viens ?

Les adultes, plus austères, cherchaient toujours à comprendre son silence profond. Cette attitude renfermée les inquiétait, car elle n’était pas de son âge. Couvait-il une forme de dépression ? De folie ? Il n’était pas normal qu’il n’essaie pas de vivre sa jeunesse comme le faisaient les autres enfants.

À quoi penses-tu ? enquêtaient-ils invariablement.

Pourquoi regardes-tu toujours dans cette direction ?

Tu attends qu’on vienne te chercher ? C’est cela ? Tu n’es pas bien avec nous ?

Leurs questions, plus matures, l’importunaient tout autant. Pierrot avait bien compris qu’ils n’en savaient guère plus sur ce monde stupide dans lequel ils étaient forcés de vivre jour après jour. Leur savoir, au fond, avait ses limites.

Certains, solitaires malgré eux, trouvaient dans ce jeune garçon silencieux comme les pierres le confident idéal. Heureux de pouvoir s’épancher sans confronter un jugement, ils déversaient leurs vies par ruisseaux, par rivières. Parler à un mur leur permettait de s’évader en ressassant leurs vies pourtant pathétiques. De cette façon, peut-être vivaient-ils à nouveau ?

Pierrot, toujours au lointain malgré sa présence, s’efforçait de ne jamais les écouter. Il rêvait d’une autre vie en regardant le ciel assombri. Une vie où il se sentirait mieux. Une vie où il serait aimé. Une vie comme celle d’avant.

Pierrot errait sur la lune depuis sa mort, depuis qu’il avait été absorbé par une lumière blanche vive semblable à mille tonnerres, à l’âge de cinq ans. Ce jour-là, il était pressé d’aller à l’école rejoindre ses camarades et sa maîtresse qu’il aimait tant. Ivre de joie, il avait lâché la main de son père pour s’envoler et s’était fait faucher comme un brin d’herbe, sur le passage piéton. Depuis, il attendait ses parents sur l’océan sélénien. Il observait avec espoir et nostalgie cette petite planète bleue pas plus grosse qu’une bille, à défaut d’avoir les pieds sur terre.

14 février 2021

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