IV

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Après que Gorneval ait rejoint son écuyer de luxe, les deux hommes quittent l’enceinte de la citadelle. Audret ne pose pas de question et suit docilement son ami. Ce dernier attend le moment propice pour lui poser les questions qui lui brûlent les lèvres. Il considère l’instant où ils sortent de la forteresse comme tel.

“ Quel était donc ce message mystérieux que tu lui as donné ? ”

“ Un rendez-vous ”

“ Un rendez-vous ? ” répète Audret, horrifié par l’audace de son compagnon.

“ C’est exact ! Mon intrépidité te fait peut-être trembler, mais le sentiment qui m’anime sait me fait oublier la peur. C’est comme si je vivais dans la peau d’un autre, plus fort, plus audacieux ; peut-être un peu aussi celui que je rêvais de devenir. C’est Cassandre qui me donne ce pouvoir. ”

Audret s’incline. Pour avoir approché la force de ses sentiments, il comprend que rien ne saurait l’arrêter.

“ Je voudrais simplement que tu soies prudent. Je vais partir maintenant. Ton avenir t’appartient désormais. Cassandre et toi, avez un rôle à jouer dans l’histoire de ce royaume, je l’ai ressenti tout à l’heure lorsque son cortège est passé. Peut-être ne se rendra t-elle point au rendez-vous que tu lui as fixé, mais elle doit savoir comme moi, qu’un sentiment d’une grande noblesse vous habite tous les deux. Pour lui, pour que perdure votre bonheur, je te souhaite qu’elle sache le reconnaître comme je l’ai fait. ”

Audret tente de partir. Le dauphin le rattrape.

“ Que pense un chevalier comme toi du sentiment qui me hante ? ”

“ Que du bien, si tant est qu’il envahisse le corps d’un autre que toi. ”

“ Pourquoi Audret ? Dis-moi ? ”

“ Parce que j’ai peur que ce sentiment ne te soit interdit par les règles de ce château. Le malheur te guète ! ”

“ Qu’en est-il de ce sentiment ? ”

“ Je n’ose le croire ”

“ Prononce le pour moi ”

“ Tu es amoureux d’elle ! Je ne sais pas par quel hasard, on peut tomber amoureux de quelqu’un que l’on a vu qu’une seule fois, mais j’en suis chaque jour un peu plus persuadé. ”

Sur ces dernières paroles, Audret retourne son destrier et quitte la vallée au triple galop. Un long et profond silence s’installe autour de Gorneval. Il réfléchit à ce que vient de lui annoncer son ami, qui confirme ses plus intimes craintes. – Un chevalier ne doit pas avoir de cœur, tu es un chevalier, et, sans cœur on ne saurait aimer… Quel genre de monstre suis-je donc pour aller à l’encontre de toutes ces règles à la fois ? – se t-il Gorneval silencieusement.

Après s’être interrogé longuement sur ses propres motivations, il se concentre profondément. Il observe alors, la forteresse s’enfoncer dans la nuit. Il constate pendant les longs instants d’attente, que tout autour de la silhouette déchirée du château, se dessine une aura de lumière. Elle enrobe le bâtiment avec une délicatesse que les contrées voisines ne connaissent pas. Le dauphin trouve la forteresse d’une beauté troublante. Ses tourelles éclairées, érigées comme des oriflammes de pierres au milieu de la vallée, ressemblent à des points de repère pour le voyageur égaré ; son donjon, petite tour perdue au centre de la grande silhouette de ténèbres, émerge de l’obscurité comme un cri d’espoir. Dans le regard du jeune homme qui contemple son propre château sans le savoir, cette masse informe et noire, devient tout à coup un navire lourd et puissant, naviguant sur les flots amers de ses doutes. Orphée s’ébroue et sort Gorneval de sa torpeur.

Le jeune homme est toujours au pied de la colline, à une centaine de pieds du plus gros arbre des alentours, à l’endroit précis où le mot cacheté qu’il a donné à Cassandre, indiquait qu’il serait. Mais plus la nuit avance, plus les espoirs du prince Ogrin s’estompent. Ils deviennent si faibles, que le froid aidant, il enfourche Orphée et tourne une dernière fois le visage vers Lidan. Soudain, une voix jaillit des entrailles de la nuit. La voix est douce et elle chuchote des mots que le jeune homme, troublé par la surprise, ne comprend pas immédiatement.

“ Vous êtes le prince Ogrin ? ”

L’abdomen du prince grouille subitement de frissons et de sensations toutes aussi délicieuses les unes que les autres. Il tente, tout en répondant, de distinguer dans la silhouette obscure de la jeune femme, les traits délicats de Cassandre, sans toutefois y parvenir.

“ Je suis Oriane, la servante de son altesse, la princesse Cassandre de Lidan. Je viens vous porter le pli qu’elle m’a remis pour vous. ”

Gorneval voit se dégager de l’ombre, une main tremblante qui lui tend un pli cacheté. Le jeune homme s’en saisit mais ne pouvant le lire, la glisse sous sa cuirasse. Il se retourne vers Oriane mais cette dernière a déjà disparue, engloutie par les tentacules alertes d’une nuit épaisse. Ses mots s’étouffent alors dans l’immensité de la nuit.


Le chevalier met alors son cheval sur le chemin du retour. Et, dans l’obscurité quasi totale, les deux acolytes galopent en direction de La Vallée des Larmes. Les pensées de Gorneval le précèdent dans sa folle course poursuite avec lui-même. Sa main plonge déjà sous son armure pour y retrouver le contact avec le mot de Cassandre. Ses doigts qui courent sur la surface du papier sont comme investis d’une fébrilité effroyable. Et, c’est empreint d’une croissante incertitude qu’il arrive finalement au château de Périnis. Les gardes qui lui ouvrent les portes de la modeste forteresse, ne sont pas curieux ; il sait qu’ils ne souffleront mot de son arrivée tardive dans l’enceinte du château.

Après avoir laissé Orphée dans les écuries, le cavalier court pour rejoindre ses quartiers. Il entre comme un ouragan dans sa chambre et se jette sur son grand lit fait de soie. C’est son armure encore armée, qu’il décachette fiévreusement le pli de Cassandre. Ses mains d’adolescent, tremblent comme des feuilles et ses yeux s’illuminent de milliards d’étoiles, toutes plus brillantes les unes que les autres.


Prince Ogrin,

Je vous fais remettre ce pli par l’intermédiaire de ma si chère et dévouée Oriane, qui est la plus fidèle parmi les plus fidèles, parce que je veux que ce mot ne tombe dans aucune autres mains que les vôtres (vous comprendrez aisément pourquoi, si vous êtes bien le chevalier que je crois que vous êtes). Votre démarche, à défaut d’être adroite, mérite l’attention que vous y avez apportée, quant à sa mise en scène. Ainsi, je tiens à vous témoigner mon profond désarroi de n’avoir pu me rendre personnellement à notre rendez-vous. En effet, les choses sont parfois telles, que l’on ne peut pas toujours faire ce que l’on souhaite. J’aurais tant aimé rencontrer le fameux prince Ogrin, capable de désarçonner les plus vaillants chevaliers de Lidan. Mais en tant qu’héritière du trône, je ne peux sortir de la forteresse une fois la nuit tombée. Croyez bien que ces contraintes sont à mille lieues de ce destin éclatant que vous peignez avec tant d’ardeur dans votre pli et auquel j’aspire également. C’est pour cette raison que je vous accorderai audience, le dix de ce mois, à l’heure où le soleil est à son zénith.

Dans l’attente de pouvoir m’entretenir plus longuement avec vous…

S.A. La princesse Cassandre de Lidan


Gorneval peine à réaliser ce qui vient de se produirte. Il ne peut se contraindre à penser qu’elle l’a remarqué lors de la joute comme elle le sous-entend et peut encore moins croire au rendez-vous qu’elle lui fixe. Son envie de s’y fier, est bien trop forte pour qu’il y renonce. Alors une folle sensation l’enveloppe. Une impression retentissante qu’il est impuissant à juguler, parcourt son corps fébrile. Un sourire naît de lui-même sur ses lèvres et s’y accroche si solidement qu’il le gardera jusque dans ses rêves les plus profonds.

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