III

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Suivront des années de dur labeur. L’enfant devenu un jeune homme robuste et puissant, a accompli aux cotés de Périnis, des prouesses. Le petit chevalier imaginaire et fougueux est devenu un jeune homme glorifié par des années de travail, qui l’ont amené au rang de chevalier. A seize ans, fort de près de six années de combat acharné avec lui-même, après de longues et désespérantes journées de combat et de sacrifices qui prenaient tout son temps et ses loisirs, Gorneval est devenu un véritable combattant. Périnis, étonné lui-même des efforts consentis, est admiratif de la force de caractère de son élève. L’enfant de Dinas a vaincu ses faibles prédispositions pour le combat pour devenir presque aussi redoutable qu’un guerrier de métier. Le maître d’arme est d’autant plus époustouflé par les performances de son élève, que ce dernier les accomplies toujours avec son épée de bois et son accoutrement de saltimbanque. Ses amis devenus également de fiers et grands chevaliers, ne prennent cependant pas l’ascendant sur le dauphin. Ce dernier conserve sur eux, l’avance de sa volonté.

Eléonore, toujours proche des deux hommes, s’est finalement fait une raison. Les résultats de Périnis sont plutôt prometteurs et au fil des années, la servante a appris à accepter et comprendre le preux. Même si son dessein est de reprendre le château de Lidan par la force, elle conçoit que cette entreprise ne puisse se faire qu’avec le fils de Dinas. Mais le combat et la conquête du château ne pourront se faire tant que ce dernier ne saura pas qui il est et pourquoi il bénéficie d’autant d’égards.


“ Après tes efforts et tes sacrifices, je crois qu’il est temps de devenir un vrai chevalier ” fait Périnis à Gorneval, un soir alors que les deux hommes reviennent de leur entraînement.

Le futur souverain regarde son maître d’arme avec étonnement. Pour lui, le souhait de devenir preux, va bien au-delà de toute récompense. Il n’attend rien de personne en retour de ses efforts. En lui offrant quelque chose, Périnis lui dévoile alors un certain intérêt à l’avoir entraîné. Sur le coup, le jeune homme est un peu interloqué. Mais le chef des armées est un peu comme son père et même s’il ne sait pas ce que ce mot signifie, il connaît et ressent l’affection qu’il lui porte et conçoit que les efforts qu’il a faits pour l’aider, le motive pour le récompenser.

“ Comment me gratifier alors que je suis devenu ce que je voulais devenir ? ”

En entendant parler l’enfant, le maître d’arme se laisse aller à croire que ce vœu lui vient de sa plus tendre enfance et non pas d’un désir extérieur, qui serait le sien.

“ Tu as sacrifié des tas de choses que la plupart des enfants de ton âge n’auraient pas admis de sacrifier. A titre de modeste récompense pour cela, je tiens à t’offrir ton premier cheval. Orphée est à toi maintenant. C’est un vieil animal, mais il est doué et a porté sur son dos, les meilleurs dresseurs de la contrée. Il est entraîné à l’art de la guerre et roué aux finesses du combat rapproché. Tu n’en sera jamais mécontent je l’espère et il sera pour toi, le guide qui te mènera sur les traces de ton destin ”

Une joie immense et incontrôlée envahie l’esprit du jeune homme. Ses yeux se mettent à luire comme des étoiles et son corps est traversé de spasmes de joie. Il hésite à prendre Périnis dans ses bras, mais la froideur apparente du preux, force un certain respect. Pour canaliser ce bonheur fulgurant, il se met à courir vers le château en criant le nom de son premier cheval. Périnis le regarde s’agiter, le regarde bondir de joie et envie un peu son exubérance, sa fougue, sa chance de savoir exprimer son allégresse.

Rejoignant le jeune homme dans les écuries, il trouve ce dernier tout près d’Orphée, caressant son flan, admirant son allure et sa finesse. Le jeune homme sait combien son nouveau destrier est encore puissant et agile malgré son âge. Ce cadeau inattendu bien que prévu de longue date, dépasse tous ses plus beaux espoirs. Dans son engouement, il demande à ce qu’on le lui harnache pour aller faire ses premiers pas à cheval.


Périnis enfourche lestement son destrier et regarde Gorneval tenter de monter sur sa monture. Sa maladresse le fait sourire. Un écuyer lui vient en aide et le jeune homme parvient à chevaucher l’animal après quelques tentatives infructueuses. Sur son dos, le nouveau chevalier retrouve son port fier et son torse bombé. Son corps se cambre sur la bête et son regard fuit à l’horizon. Les portes du château s’entrouvrent. Le maître des lieux bondit comme un diable dans l’interstice qui se dessine sur fond de ciel ocre. Gorneval ne réalise pas tout de suite ce qu’il se passe et Orphée se lance à la poursuite du maître d’arme. Le jeune Roi se contente, dans sa folle chevauchée, de s’accrocher fermement à la crinière de l’animal et de suivre le mouvement de sa course chaotique, pour éviter les douleurs qu’elle lui inflige. Eléonore du haut de la tourelle qu’elle a rejoint, regarde les deux chevaux galoper avec leurs cavaliers. C’est à cet instant précis, en regardant son protégé et son adresse exemplaire pour un premier galop, qu’elle comprend que Périnis avait raison. Le Roi a l’allure de son père. Il a pour lui, l’adresse et la grâce d’un preux, la finesse et la maîtrise du grand chevalier qu’il se prépare à devenir. Il a su s’adapter d’une manière tout à fait édifiante. Son emprise sur le jeune homme est faible, mais toujours présente. Son éducation n’est pas encore finie et c’est en cette soirée qu’elle se promet d’aider Périnis à achever d’élever le jeune homme. Elle profite du retour des deux chevaliers pour prendre à part le preux et lui parler.

“ Vos résultats avec le petit sont remarquables. Je tiens à m’excuser des doutes que j’ai laissé planer sur vos capacités ”

“ Vous n’avez rien à ajouter, ni même à vous excuser…”

“ Je voulais simplement vous apporter mon aide, si toutefois vous en aviez besoin ”

Le chevalier ne répond rien et quitte la pièce, un rictus amical sur les lèvres. Il sait que la présence d’Eléonore près de lui, est une chance inespérée. Il usera de cette carte maîtresse avec le plus de discernement possible. Une chance pareille, mérite d’être préservée.


Pris dans le tourbillon d’un bonheur inexprimable, le jeune dauphin, s’en va présenter son destrier à ses meilleurs amis. Sur son dos, le jeune cavalier ne porte ni armure ni arme, mais possède une aura qui lui confère un charme particulier et presque maléfique. Dans ses yeux brillent les feux de son excitation. Avec Orphée, il rentre dans le monde des vrais combattants. Ce pour quoi il s’est battu, ce pour quoi il a donné de lui-même, de son temps et de sa vie, le récompense enfin. Devant ses amis de toujours, ceux a qui il voue un amour sans faille, il devient enfin ce chevalier fier et fort qu’il s’est tant de fois donné la peine de leur décrire. Un sourire radieux suspendu aux lèvres, il s’approche d’eux avec une lenteur théâtrale. Ses trois amis le regardent avec de la curiosité qu’il prend pour de l’admiration.

Leur regard est quelque chose de bien plus important que ce que tout le monde peut croire. Pas même celui de son maître d’arme ne pourrait rivaliser avec le leur. Emilie, Wilfried et Audret, trois amis qui sont bien plus que de simples amis pour un chevalier en devenir comme lui. Ils sont devenus au fil du temps, de véritables références dans la vie du jeune garçon. Tour à tour confidents privilégiés, appuis moraux ou bien encore source de motivation, ils sont pour le futur Roi, comme une myriade d’étoiles luisantes dans un ciel nuageux. Emilie, jeune fille belle et séduisante au regard tendre et au sourire éclatant, représente pour lui, bien plus que la modeste écuyère qu’elle est. De leur amitié, on ne saurait en parler autrement qu’en disant qu’elle est tintée d’une simplicité parfaite. Leur relation, nourrie de sentiments parfois ambigus, éclate d’évidence dés qu’ils sont ensemble. Il est tellement attaché à elle qu’il ne saurait envisager une vie où elle ne serait pas. Il ne saurait également envisager de vie sans Wilfried. Pour Gorneval, ce dernier est à la franchise ce que Emilie est à la tendresse et à l’affection. C’est un jeune homme droit et franc qui ne fait jamais défaut. Le Roi sait qu’il peut avoir une confiance aveugle en cet homme au sourire glacial et au corps robuste comme l’acier. Pour sa part, Audret, jeune idéaliste, parfait le groupe qu’ils forment. Eternel rêveur accroché au fil du temps, il flotte le long des couloirs de la nuit et se faufile entre les longues jambes calleuses d’une nature trop discrète. Son aura brillante, le fait éclater d’ingéniosité et d’humour. Jamais à court de sourire, jamais avare quand il s’agit d’accorder son temps, ce saltimbanque merveilleux, glisse sur la noirceur de la vie pour disperser tout autour de lui, les confettis du bonheur. Il apporte le ciment qui lie ses trois autres camarades. Un ciment solide que Gorneval s’est souvent demandé comment il pourrait être dégradé.

A eux quatre, ils forment un groupe atypique, à la fois mystérieux et attirant. C’est un groupe comme il en existe très rarement dans les ruelles d’une cité comme celle de La Vallée des larmes. La présence d’Emilie y est pour beaucoup, mais la présence du Roi y contribue également pour une large part. L’intérêt que lui porte Périnis attire l’attention sur lui. Même s’il ne s’en rend pas compte, les regards des gens de la vallée convergent tous sur celui qui a sut capter l’attention du régent du royaume de Lidan. Il n’entend pas les questions qui se posent dans son dos, celles qui concernent ses parents ou celles qui demandent pourquoi Périnis s’intéresse tant à lui. Trop attentionné envers ses amis pour faire attention aux calomnies et aux quolibets, ces derniers glissent alors comme les perles de pluie sur son armure imaginaire.

Une armure qu’il envie d’ailleurs à ses amis, élèves chevaliers tout comme lui, mais sous les ordres de maîtres d’armes différents. Audret et Wilfried et Emilie, sont trois élèves qui ont la chance de posséder ce qui fait encore défaut à Gorneval. Mais l’attrait envieux qu’il porte aux armures de ses camarades et la douleur relative qu’elle engendre est largement subrogée par l’espoir grandissant de se voir un jour anobli par Périnis pour devenir enfin preux du royaume. Orphée est une opportunité de prendre son mal en patience.


Le cheval, malgré les années, se comporte encore comme un poulain. Sa redoutable adresse et sa fougue encore intacte, attisent les convoitises. C’est un animal superbe et ténébreux, à la crinière noire comme la nuit et au regard perçant, comme jamais regard de cheval n’a été. Sa finesse, son sens de l’équilibre, fait également de lui, une bête de combat efficace. Fréquemment, Périnis se rappelle une phrase que Dinas lui disait souvent en parlant de Fantôme, son fidèle destrier. Il disait que ce n’était pas grâce à lui que l’on gagnait une bataille, mais que c’était grâce à lui que l’on ne la perdait pas. Son destrier était aussi noir et fin qu’Orphée. Mais Dinas possédait une maîtrise et un comportement qui sont encore étrangers à son fils. C’est pour cette raison que le maître d’arme insiste tant sur les cours d’équitation. Ces exercices de course et d’adresse, sont d’autant plus importants que pour aller combattre Gwendal à Lidan, il devra affronter non seulement des guerriers à cheval, mais également, la trop fameuse armée de fantassins de son royaume.

Un jour alors que le soleil est au zénith et qu’une douce chaleur a envahi la Vallée des Larmes, les deux hommes chevauchent à la lisière d’une immense forêt, au creux d’une grande colline. De l’autre coté se trouve Lidan et sa vallée. Sur ce versant, rien n’existe d’autre que la forêt, immense, incontournable, dense et mystérieuse. Une forêt si étrange qu’elle paraît être infinie, une sorte de porte sur l’au-delà, comme l’appelle aussitôt Gorneval.

“ Quelle est cette forêt étrange ? ”

“ L’Orée des ténèbres, c’est ainsi qu’on la nomme. C’est une forêt interdite. ”

“ Pourquoi est-elle interdite ? ”

“ Les récits veulent qu’il y ait très longtemps de cela, le seigneur et maître d’une vallée voisine s’y soit perdu. Le prince égocentrique et prétentieux, s’est alors tellement morfondu, tellement escrimé à en sortir qu’il en est tombé de fatigue. A bout de force, il a supplié le ciel de lui venir en aide. Comme rien ne se passait, il invoqua le démon. Ce dernier lui apparu aussitôt. Il offrit au prince l’occasion de sortir de la forêt à condition qu’il lui laisse son cœur en partage. Le jeune prince, croyant ne pas en avoir, accepta le marché sans y réfléchir et sorti effectivement de la forêt. Quelques années après, ayant presque oublié l’épisode de la forêt, le jeune prince tomba éperdument amoureux de la jeune et belle princesse du château voisin. Par amour il fit de la jeune femme, la plus merveilleuse et la plus belle des Reines que le pays n’a jamais connues. Mais la jeune femme, ivre de richesse et de pouvoir, jeta son mari dans l’oubli du donjon et prit le royaume à son compte. Accablé, terriblement déprimé, le jeune prince devenu Roi oublié, implora le démon de lui venir une nouvelle fois en aide. Ce dernier jaillit du sol – N’as tu pas eu ce que tu voulais ? N’es-tu pas sorti de la forêt vivant ? Lui dit le démon. – Maintenant, selon notre accord, une partie de ton cœur m’appartient comme l’autre t’appartient. Mais ton égocentrisme accapare ta propre partie. La mienne est remplie du visage de ta Reine – ajoute t-il en poussant un long rire sardonique. – Mais comme je sais que ton malheur est sincère, je peux te rendre la partie de ton cœur qu’il te manque. Pour ce faire, tu n’auras rien d’autre à faire que de sortir d’ici par tes propres moyens. –

Sur ce, le jeune Roi élabora quantité de plans pour sortir de sa prison. Il y parvint finalement quelques mois après, en implorant sa Reine, les yeux remplis de larmes et la gorge serrée de désespoir. Mais aussitôt le prince sorti du donjon, son regard s’enflamma d’amour pour la Reine. Il sentit sa poitrine se gonfler d’amour et l’accabler de son poids croissant. Mais très vite il s’aperçut que la Reine n’avait rien en elle qui pu répondre à son sentiment si puissant et destructeur. Son dédain l’accompagna jusqu’à la porte du château. Explosant d’une rage féroce et dévastatrice, le Roi couru jusqu’à la forêt et s’y engouffra pour s’y perdre. Une folie immense avait prit son esprit en otage, celle d’un amour à sens unique.

En s’effondrant de douleur, le jour de sa mort, le Roi se fit une promesse, dont il paraît qu’elle est encore tenue de nos jours ”

“ Quelle est cette promesse ? ”

“ Celle de ne laisser personne pénétrer dans cette forêt pour empêcher les forces du Mal d’emporter d’autres âmes ”

“ Comment pourrait-il faire cela s’il est mort ? ”

“ En mourant, son cœur, propriété désormais totale du démon et aux proies à un si violent combat, se transforma en un dragon, qui hante encore – paraît-il, les allées de cette forêt ”

“ Le diable ment-il donc toujours ? ”

“ Dans cette histoire le diable n’avait pas menti. C’est le Roi qui n’a pas posé les bonnes questions ”

“ Et moi, ai-je un cœur aussi ? ”

“ Un chevalier ne doit pas avoir de cœur ! ”

“ Ne puis-je donc pas aimer ? ”

“ Sans cœur, on ne peut pas aimer. ”


Les deux chevaliers se séparent alors. L’un rentre au château, l’autre, Périnis, prend la direction de la colline. Le soleil flotte juste au-dessus de l’horizon avec sa langueur habituelle. La magnificence de l’instant, permet à l’esprit du preux de s’évader un instant. Ses muscles contractés se relâchent, ses mâchoires serrées se détendent et un vaste bien-être l’envahit. Sur son cheval, il se retourne et regarde les murailles du château, baignées par la chaude lumière du soir. Il comprend que Gorneval commence à poser des questions de plus en plus pointues. Son apprentissage commence véritablement. C’est à cet âge qu’il faudrait le former aux règles de la chevalerie. Mais il ne pourra assimiler tous ces principes si des questions telles que celles concernant ses parents, restent sans réponse. Périnis doit donc prendre les devants. Bientôt, se dit-il, je lui dirais qui il est, bientôt…Il le faudrait d’autant plus que lui et ses amis, prennent de l’assurance, deviennent responsables et surtout deviennent indépendants.

En poursuivant son cheminement de pensée, il se tourne dans la direction de Lidan. La vengeance est proche. L’odeur du sang, son instinct de guerrier sanguinaire, remonte le long de son être. Ses mains se crispent à nouveau et ses yeux se plissent. Tel un prédateur redoutable et impitoyable, il enfile son heaume et sort Titane de sa “ prison ”. Il fait briller sa lame à la lueur du soleil et regarde les ombres qu’elle dégage. Une impression de force l’envahit. Gorneval sera bientôt prêt et il saura bientôt qui il est. Tous les éléments seront alors rassemblés pour mener à bien la mission ultime que Périnis s’est fixée, il y a maintenant plus de quinze années.

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