Quatrième mouvement : Allegro con fuoco

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Un jour qui court vers un dimanche, à une heure quelconque. J’étais dans ma chambre, déterminé à faire en sorte que le cercle d’une vie monotone, tortueuse, devienne la spirale faisant signe vers une vie nouvelle, pour enfin quitter ce jour maudit. Ce jour et cette satanée force centripète ! Infernal jour ! Aimantant tout, étouffant tout sous le traversin d’une répétition éternelle ! Encore et encore bordel ! Et hélas, je compris que les livres, le vélo, l’alcool et le délire ( l’Arménienne), je compris par la force des choses que tout eut été une tentative, échouée, pour échapper à la réalité, à ma réalité. J’étais dans une geôle aux barreaux invisibles, qui pourtant me paraissaient si réels, j'insiste avec ça.

J’étais sur le point de me foutre en l’air ; une impulsion, ou pulsion, ou appelez-la comme vous voulez (je m'en fous), me fit succomber à la tentation de me livrer à une espèce d’inanition cérébrale, à une espèce oui, de mort anticipée. Là était l’idée en fait que j’avais prise, contenue dans mes poings serrés : en finir, pour en finir avec la répétition. Bref, en finir avec le retour du Même. Car, comprenez, ma vie perdait toujours de plus en plus de gravité, d’attache à quelque chose de fixe. C'était terrifiant. Et mon père, ce lâche, préférait ne rien voir, ne m'aidait pas. Depuis l’épisode délirant que j’avais eu avec l’Arménienne, il m’ignorait encore plus, mes bouteilles et moi. Moi, je restai alité, me complaisant si on veut dans l’inertie d’une vie arrêtée (l’anomie est ce qui caractérise la perte de sens, l’absence de loi écrite, avais-je lu dans un livre de Durkheim. C’était exactement ça et j'en étais précisément là : l’anomie).

Le printemps : les jours rallongent et le soleil éblouit. Mais Je m’apprêtai quand même à partir pour de bon, à quitter la mue du monstre sans dents que j'appelle « inertie ». Or, le problème, c’est que j’aimais mon père et lui aussi, en dépit des apparences, m’aimait. Et pour preuve : dimanche dernier, pluie infernale, la corde au cou, dans ma chambre. C’était l’amour que j’avais pour mon père qui, cette nuit-là, me retint le pas. Mais malheureusement pour lui, trois dimanches après, la mort d’Harry et de Claudine survint. En réaction (comment aurait-il pu faire autrement ?), il replongea dans la grande mer rouge. Le vin, ce poison, à l'exclusion de toutes autres alcools. Une fois de plus, mon père perdit des êtres chers. Eux, ces « petites gens » comme il disait lui-même, mais avec affection évidemment (il n'était pas mieux qu'eux), ces petits êtres misérables qui lui tenaient lieu de seule famille ; et ils étaient morts dans une banalité qui aurait pu forcer, je l’avoue aujourd’hui, le rire.

Claudine avait annoncé à Harry que le lendemain du dimanche dernier une éclipse allait se passer. Et sa prédiction (internet aidant) se réalisa. Une ombre voila totalement le soleil. Alors, Claudine convainquit Harry de regarder cette éclipse les yeux grands ouverts car, étant tous deux Béliers ascendant Gémeau, rien ne pouvait, affirmait-elle, leur arriver : « Les Béliers (comme nous) ne pourront qu’être aveuglés par l’Amour, que l’on rencontrera d’ailleurs bientôt ! », récitant ce qu’elle avait lu, cigarette à la main, dans un horoscope, la veille. Harry sourit avec un « ma foi... » en hochant naïvement la tête. Les deux compères alors grimpèrent jusqu'aux hauteurs d'une colline et dévisagèrent la boule noire. C'est alors que leurs petits yeux soudain s’embrasèrent ; c'est alors que la brûlure, insoutenable brûlure, les fit courir aveugles dans tous les sens, de sorte qu'ils tombèrent du haut de la colline en moins de trente secondes... Certains n’y virent qu’un accident mortel. Pour ma part, j'y vis un meurtre en bande organisée, ou plutôt en une sororité meurtrière : d’abord Dame superstition qui les attira là-bas, puis Dame bêtise qui les persuada de regarder fixement là-haut, et enfin Dame douleur qui les poussa au sommet de la colline. Ah Harry et Claudine ! Que leur âme repose en paix et qu'ils puissent, pour une fois, donner raison à l'horoscope, en trouvant l'Amour au paradis !

Morale : Le ridicule tue bel et bien, méfiez-vous.

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