Ma petite histoire

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– Qu'est-ce que vous faites, Capitaine ?

– Ah, Neil, je ne t'ai pas entendu entrer !

Je refermai vivement le carnet que je tenais entre les mains et lui souris de toutes mes dents jaunâtres. Il renifla et croisa les bras, les yeux rivés sur mon bien. Je haussai les épaules.

– J'écris ma vie depuis quelques années dans ce machin. Rien de bien palpitant, mais je ne connais personne qui saurait raconter mieux que moi ma propre histoire ! J'suis mon biographe, en quelque sorte. Ingénieux, non ?

Je reculai ma chaise et posai les pieds sur mon bureau sans lâcher mon second du regard.

– Tu voulais quelque chose ?

– Seulement vous prévenir qu'on va accoster dans un jour, environ.

– Ah ! Parfait ! La terre ne m'avait pas manqué, mais ça ne fera pas de mal de se dégourdir les jambes...


Il me lança un regard, l'un de ceux qui signifiait : « C'est ça, tu ne me tromperas pas. Pas moi. » Il savait que la seule chose qui me motivait à jeter l'ancre, c'était mon fils, pas encore en âge d'embarquer avec moi sur le pont. J'aurais aimé qu'il vienne. Si j'avais été un marchand, ça aurait même été possible. Mais je n'étais pas marchand, et quand on a un gamin de cinq ans, on a d'autres projets pour lui que de le voir naviguer en mer, entouré d'une bande de mercenaires fougueux toujours prêts pour un massacre.

– C'est tout ?

Il tendit la main. Je savais qu'il attendait que je lui donne mon carnet. Je poussai un long soupir exagéré, on avait l'impression que j'étais en train de rendre l'âme. Je finis malgré tout par le lui donner.

– J'ignorais que tu savais lire, Neil !


Il me lança un nouveau regard. Celui-ci signifiait : « Ta gueule, Ibel. » Mais je ne fermais jamais ma grande gueule, et ça, il le savait ; je haussais donc les sourcils, plusieurs fois d'affilé, en lui lançant un regard des plus moqueur. Un vrai gosse, quand je m'y mettais. Il soupira :

– Je fais pas ça par intérêt, j'ai d'autres chats à fouetter que me taper tes fantaisies. (Là il me parlait en ami, vous savez, les codes de politesse, le vouvoiement, tout ça, il ne me le servait qu'en tant que second. Plutôt utile pour se situer dans les discussions !) Mais il n'y a que moi pour rayer tes idioties et retranscrire la vérité.

]– Mais une légende c'est justement fait pour être brodé, tu es trop pragmatique mon pauvre ami !

– Tu vas finir par couler au fond de l'eau, tant ta vantardise commence à peser lourd à tes chevilles et à ta tête.

– Oh ça va, je plaisante, Neil. Je plaisante. Mais fais moi plaisir, et ne raye pas tout, je compte quand même avoir un peu de panache !


Je lui souris et l'invitai donc à s'asseoir. Nous avions encore quelques heures devant nous, après tout. Ce n'est pas comme si nous avions du travail....


« Mon nom est Lucas James, mais vous me connaissez sans doute sous l’appellation d'Ibel Joly, capitaine de la Bellarmée, fouteur de merde et chasseur de légendes.


Je n'ai pas toujours été pirate. Je suis né en Angleterre, d'un père anglais et d'une mère française. Peu commun, par les temps qui courent, les hostilités sont connues de tous. Ma foi, au moins je sais parler deux langues courantes, et j'en suis fort aise.

J'ai vécu en Angleterre pendant vingt-six ans, et j'ai servi mon pays durant sept années entières. J'ai très vite embarqué sur un navire, en tant qu'officier britannique. La belle marine, la fière Angleterre... ! Les époques passent à toute vitesse. Je me suis marié jeune, je devais avoir vingt-et-un ans. Elle était fière, charmante, et légèrement provocante. Je l'aimais beaucoup. Plus que la mer qui m'avait toujours attiré, plus que ma vie, même. L'amour rend bête, et bête je l'étais. Elle s'appelait Lottie. Nous avons eu un fils, Lorenz. Sans o, je vous prie, je n'aime pas les clichés, et c'était trop exotique pour les parents de ma défunte épouse.


Défunte épouse, en effet. Il est douloureux de me remémorer ces souvenirs. J'ai du mal à me rappeler de son visage, je sais seulement qu'elle était belle et que sa chevelure rousse se reflétait de mille teintes sous les rayons du soleil. Elle a été pendu pour piraterie. Ironie du sort, non ?

J'ai appris, plus tard, qu'elle fréquentait quelques réseaux criminels, et qu'elle avait de l'influence dans le milieu. Elle ramenait toujours de l'argent pour notre foyer, malgré mes revenus plus que suffisants. Son père était lui-même un brigand, pourtant, les apparences étaient plus que trompeuses, quand on les fréquentait sans savoir. Lottie a malencontreusement été attrapé (vendue, en fait, par un traître qui souhaitait se faire de l'argent), et, deux jours plus tard après une mince délibération, elle se balançait au bout d'une corde.

Son corps n'a pas été enterré, on l'a vulgairement jeté dans une fausse commune. Je suis moi-même allé la récupérer, de mes propres mains, pour brûler ce qui restait d'elle et éparpiller ses cendres sur la plage. J'aurais préféré une sépulture, mais je savais qu'elle n'aurait pas apprécié reposer au sein de la terre. Son esprit était trop libre, son âme aurait étouffé.


Un an plus tard, je fis en sorte que le navire sur lequel j'avais embarqué subisse un assaut. J'avais passé des accords avec les anciens acolytes de ma femme. Une grosse somme d'argent, le meurtre de mes supérieurs. En contrepartie, je gagnais un navire. Je n'avais plus qu'à m'enfuir, trouver des hommes, et me venger.

La vengeance de tout un gouvernement, ce n'est pas aisé, je le conçois. Je ne perds pas espoir d'y parvenir un jour. En attendant, j'ai eu quelques années pour me forger une réputation, me donner des objectifs les uns après les autres. Il fallait bien que je m'occupe l'esprit ! A force de côtoyer ceux que j'avais longtemps chassé, je pris des habitudes. D'autres, par contre, ne me quittèrent pas. Tuer pour le plaisir, n'est pas ma tasse de thé.


Neil, mon second, est d'ailleurs le frère de ma défunte épouse. Il m'a rejoint peu de temps après ma trahison envers la couronne et m'est donc le plus fidèle de mes hommes. Il connaît les ficelles de la piraterie depuis longtemps, de dix ans mon aîné, c'est un loup de mer à mes yeux, bien que notre médecin soit le plus âgé à bord. Il me conseille bien, par conséquent, et m'a souvent empêché de faire les pires bourdes de ma carrière, au début de ma nouvelle profession.

Lui et moi avons passé un accord, au début de notre collaboration ; nous avons un objectif commun : la vengeance. Pas seulement envers le gouvernement, mais aussi envers celui ayant vendu la mèche à propos de Lottie et de quelques autres. Un petit fumier qui est, d'après nos sources, capitaine d'un navire appelé l'Icarus, à présent. Je compte bien en découvrir plus à ce sujet. Je veux le voir souffrir, d'une manière ou d'une autre. Et ensuite, le pendre au bout d'une corde avant de le jeter en nourriture aux poissons.


Mais je suis un homme patient, rien ne presse, et j'ai encore des tas d'aventures à vivre entre temps ! Plus je prends mon temps, plus ma haine s'amplifie. Cela me permet également d'avoir tout le loisir de réfléchir à un plan d'action. Un vrai. Je sais qu'il me faut des alliés, de bons. Et je pense déjà savoir lesquels, les rumeurs vont vites ces temps-ci. »

Neil referma le carnet et me lança un regard surprit :

– C'est quoi ça, un journal intime … ? Pas de quoi faire une légende avec ce ramassis de conneries à faire pleurer une gueuse.

– Parce que tu pensais sincèrement que j'allais te faire lire mes précieuses aventures pleines de rebondissements pour que tu t'amuses à changer chaque détails derrière mon dos afin de les rendre trop réalistes ? Dans tes rêves, vieux débris ! Retourne donc au travail, ordre de ton capitaine.


Neil me toisa du regard. Il détestait que je fasse le gamin, et je savais qu'il m'en aurait bien collé une afin de faire un trou dans ma dentition. Nous nous apprécions, mais je n'ai jamais dit que nous étions comme cul et chemise ! Je lui souris et repris le carnet qu'il me lança à la figure avant de sortir de ma cabine.


Mon sourire s'effaça et je me rassis plus convenablement sur ma chaise. Je déroulai alors une carte que j'avais dissimulé avant que Neil n'entre (comme si je ne l'avais pas entendu, tiens !), et attrapai un crayon avec lequel je traçai un trait jusqu'à une île.

Nous allions faire une courte halte sur l'une des îles, relativement proche du continent Africain, où mon fils était élevé et gardé par deux hommes de confiance, puis nous repartirions rapidement. J'avais en tête une multitude de projets. J'avais un trésor à aller chasser, et pas mal de cibles à abattre dans mon sillage.

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