Technicolor

2 minutes de lecture

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. Qu’est-ce que la couleur ? Comme tout le monde ici, je ne l’ai jamais vue. Ça peut porter le nom de bleu, de rouge, de noir. Il paraît que le monde entier là-bas, dans la couleur, en est couvert, que chacune a son émotion, sa beauté, ses tonalités. Ici aussi on a les tonalités. Clair ou foncé. Le soleil est foncé, l’eau ne l’est pas. On raconte que le rouge est fort, que le rouge est chaud, que le rouge recouvre chaque coquelicot. On raconte que le bleu est calme, que le bleu est froid, que le bleu est partout dans l’océan. Je me demande à quoi ça ressemble.

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. Ça s’est passé ce matin et apparemment, la fillette qui vit au bout de la rue l’a vu. Elle l’a vu passer de l’autre côté, du côté de la couleur. Elle a vu la couleur, qu’elle répète. Je ne la crois pas. C’est qu’une gosse, elle ferait tout pour attirer l’attention, personne n’a jamais vu la couleur, à part ceux qui passent de l’autre côté. Et puis, comment pourrait-elle savoir qu’il s’agit de la couleur ? Elle ne sait pas plus que nous à quoi ça ressemble. Tout le monde se rassemble autour de la petite, la questionne, mais elle est incapable d’expliquer l’inexplicable.

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. C’est le quatrième ce mois-ci. Le village se vide. Personne ne l’a vu partir cette fois. On ne sait pas vraiment comment ça marche, mais quand quelqu’un passe dans la couleur, ça se fait sans aucun témoin, toujours. C’est pour ça qu’après deux jours d’euphorie, plus personne n’a cru la gamine. Je me demande ce qu’il y a de l’autre côté. Parfois je me demande si ce n’est pas la mort. Après tout, personne ne sait ce qu’est la couleur, peut-être que c’est la mort.

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. Ce n’est pas la mort. La mort ne prendrait pas d’enfant en excellente santé. Pas sans raison. On m’a dit que la couleur était une chose qu’on ne voyait pas. Apparemment, ça changerait juste la façon dont nous voyons les choses, ça les recouvrirait simplement, sans les changer. C’est étrange tout de même. J’aimerais bien passer dans la couleur. Pour voir ce que c’est.

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. On dirait qu’on va tous y passer. Un à un, tout le monde passe dans la couleur. On s’est tous fait une raison. N’importe qui peut être le prochain. Certains ont peur, ils ne veulent pas y passer. Je ne comprends pas comment on peut en avoir peur. On quitte le village pour toujours, comme si on mourrait, et alors ? Si l’on part, on découvre enfin la couleur ! C’est fantastique !

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. Et ce n’était pas moi. C’était l’un de ceux qui ne voulaient pas. Moi je veux, lui non, et c’est lui qui passe ? Plus le temps passe et plus j’ai l’impression que je resterai ici à jamais.

Quelqu’un est encore passé dans la couleur. Ce fut magnifique. La couleur est magnifique et indescriptible. Ça a commencé par mes mains. Elles ont changé de teinte puis quelque chose les a recouvertes, cette chose qu’on appelle la couleur. Ça a envahi mon corps entier. Je comprends enfin pourquoi il y a tant de noms différents pour la décrire. Bleu, rouge, vert, jaune, gris et marron, rose blanc et violet, je n’ai aucune idée de ce que je vois à l’instant même.

Je suis passé dans la couleur.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Maeleo ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0