Chapitre 17

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Je reviens à moi, couchée au milieu du grand lit. Que s’est-il passé ? Ah oui, je me suis évanouie à la sortie du tribunal. Génial… J’entends déjà les gorges chaudes qui vont aller raconter partout que je ne supporte pas une émotion forte. Quelque chose de froid se pose sur mon front. J’ouvre un œil et vois Mère penchée sur moi, Lucas de l’autre côté. Aucune trace de Daniel. Je suppose qu’il est allé faire son rapport au Roi. En gémissant, je me relève doucement mais la pièce se met à tourner, faisant revenir mes vertiges. Je déteste me réveiller ainsi. Je me sens aussi fragile qu’un oisillon tout juste sorti de l’œuf. Je regarde ma mère et remarque les écoulements de son mascara et son nez rougi. Lucas et Daniel lui ont donc dit la décision du jury. Je prends sa main et l’attire dans mes bras dans un câlin que je veux aussi réconfortant que possible. Elle se remet à pleurer et, du coin de l’œil, j’aperçois Lucas, son visage baigné de larmes. Je le tire vers nous et il ne résiste pas. Ils pleurent pendant une dizaine de minutes mais pas moi. À l’intérieur, ça ne me fait ni chaud ni froid de savoir que mon géniteur va mourir soit d’ennui soit pendu, soit fusillé, soit par injection létale. Je ne sais pas si c’est bien ou si c’est mal et je me rends compte que je n’en n’ai rien à cirer.

La porte de la chambre s’ouvre silencieusement, laissant passer Daniel et son père. Lentement, ils nous rejoignent sur le lit et détachent mon frère et ma mère de moi. Mère hurle et se débat, frappant au passage mon beau-père, puis s’effondre à nouveau. Elle se roule en boule et pleure en demandant pourquoi tant de malheurs et de bonheurs peuvent s’abattre en même temps sur notre famille. Malheureusement, personne n’a de réponse pour elle. Lucas reprend son calme, sèche ses larmes et invente une histoire de rapport de comptabilité à finir pour s’échapper de la pièce. Le Roi murmure quelques paroles douces à l’oreille de Mère mais je ne les entends pas.

Daniel me serre contre lui et m’annonce que, pendant que j’étais dans les vapes, le jury et les juges ont décidé du type de condamnation de Père : il sera exécuté de la manière qu’il le souhaite dans une semaine. Durant ce laps de temps, nous avons le droit de lui rendre visite, sous haute sécurité, afin de lui faire nos adieux. Je ne sais pas si j’irai ou non. Trop de mauvaises choses me reviennent à l’esprit quand je pense à le revoir et à lui parler. Non. Ce n’est pas la bonne chose à faire. Je n’irai pas non plus à son exécution. Même s’il choisit l’injection létale qui se fait avec public, je n’irai pas. Je sais que ça peut paraître égoïste mais je suis incapable de lui pardonner ce qu’il m’a fait. Tous ses traitements de soumission m’ont sans doute rendue plus forte, cependant, ça n’efface rien quant à la cruauté de ses gestes. Je m’excuse auprès de ma mère et lui explique mon raisonnement. Elle essaye de me faire changer d’avis. Malgré ses cris et ses larmes, je ne cède pas. Je veux bien l’accompagner voir Père mais il est hors de question que je le revois de son vivant. Entre quatre planches, il ne pourra plus faire de mal à personne.

Une semaine plus tard, j’accompagne Mère jusqu’à la prison royale. Daniel aurait voulu venir avec nous mais il est pris par ses obligations dont il veut me dispenser pour que je me fatigue le moins possible et que je puisse m’occuper de ma famille. Aujourd’hui, Père va être exécuté. Il a choisi l’injection létale et, mauvaise blague ou pas, ce sont les laboratoires familiaux qui l’ont créé. Sa plus grande fierté et sa plus grande déception l’ont précipité hors du feu des projecteurs qu’il désirait tant et vont avoir sa peau. Presque tous les jours, ma mère a insisté pour lui rendre visite et, à chaque fois, je suis restée à l’extérieur, bien visible aux yeux de Père et en lui tournant obstinément le dos.

Je n’aime pas ça. Les mauvaises langues se donnent à cœur joie pour essayer de me destituer de mon titre de princesse consort et m’empêcher de monter sur le trône un jour, m’accusant de tous les vices de mon paternel et d’une ambition que je ne possède pas et qui s’apparente à celle de la Salope. Les journaux se mettent aussi à poser des questions, toutes des infos piochées au hasard et sans rapport avec moi défilent sur le net à toute vitesse dans ce sens. Le palais refuse de communiquer pour l’instant mais je sais qu’il va très bientôt falloir que je fasse quelque chose. Je ne sais pas encore bien quoi mais on va finir par trouver…

Père a changé sa tenue, passant de celle d’un prisonnier à celle d’un homme d’affaire. Mère est de l’autre côté de la vitre, le visage baigné de larmes et je regarde le tout depuis un moniteur placé à l’extérieur de la salle. Je reste froide au terrible spectacle qui se passe sous mes yeux mais je ne me sens bizarrement pas coupable. Mon père est couché de force sur une table, attaché par des liens juste au-dessus et en-dessous de chaque articulation. On lui met une perfusion d’antalgiques dans un bras et on attend qu’ils fassent effet. On lui met alors une seconde perfusion, mortelle cette fois-ci. Lentement, le produit coule dans les veines de mon géniteur qui se pétrifie, le visage tordu par la douleur. Ce n’est pas normal. Il n’est pas censé ressentir quoique ce soit à ce moment-ci de la procédure. J’hésite à intervenir et me pose mille et une questions sur le pourquoi et le comment. Le poison a atteint son cœur. Doucement, il commence à ralentir, sa respiration veut accélérer mais ses muscles se tétanisent, le privant de l’air que son cerveau demande. Le processus me semble durer des heures alors qu’en moins de dix minutes, mon père abandonne un combat perdu d’avance et meurt. De l’autre côté de la porte, j’entends un hurlement de douleur et je devine Mère qui se précipite contre la paroi vitrée, tapant des poings pour le rejoindre, ses pleurs trempant ses joues et sa belle robe bleue.

De mon côté, je suis figée. Mon cerveau ne semble pas vouloir comprendre la nouvelle donnée : Père est mort et ne reviendra jamais dans ma chambre pour me faire du mal ou inviter ses amis à le faire. Quelque chose coule sur ma joue. Lentement, je monte une main tremblante vers elle et constate que je pleure également. Je pousse la porte, me dirige vers Mère qui continue de tambouriner à la vitre et la tire doucement vers moi. Elle se retourne comme une furie, commence à vouloir me frapper avant de se pétrifier en me reconnaissant puis elle s’effondre à nouveau. Je la prends dans mes bras mais ne sais pas comment la réconforter. Je suis muette alors qu’elle hurle sa souffrance. Je voudrais lui dire que c’est de sa faute à lui s’il est maintenant déclaré décédé mais j’en suis incapable. Tout ce que je sais faire, c’est frictionner son dos d’une main trop hésitante.

Nous restons ainsi à genoux à terre jusqu’à ce que le médecin légiste vienne nous demander si nous voulons lui dire une toute dernière fois au revoir avant de le placer dans le cercueil. Je me relève, saisis la main de Mère et nous dirige vers une petite pièce où il est allongé sur une table nue, dure en métal. Elle court vers lui, embrasse ses lèvres qui commencent à perdre leurs couleurs et pose sa tête sur son torse, ses pleurs redoublés. Je ne sais plus bouger, figé à deux mètres de lui. Il semble si paisible, si serein et si bon, là, couché dans son beau costume fait sur mesure. Le monstre s’en est allé, laissant derrière lui un corps vigoureux, à la fleur de l’âge. Je m’aperçois que je ne sais même pas s’il savait que je suis enceinte et ça ne me perturbe pas plus que ça. Père est parti, ne me laissant que deux ennemis qui veulent ma mort et celle de mon mari, la Salope et son fils.

Il est difficile de garder Mère avec nous plus de cinq minutes. Depuis une semaine, elle ne fait que pleurer, geindre et demander pourquoi il a fallu qu’on le tue. Je sais que ce n’est pas bien mais elle commence à m’énerver. Lucas s’est réfugié dans le travail pour se voiler la face et pour nous éviter. Je sais que ce n’est pas plus facile pour lui que pour Mère, après tout, il n’y a qu’avec moi que Père était odieux. Mon deuil n’a duré que deux jours, malgré les critiques de Mère et des mauvaises langues qui continuent à déblatérer sur mon compte. Mais elles sont allées trop loin cette fois-ci, m’accusant de viol sur mineurs et esclavagisme. Le palais a réagi via un communiqué de presse, remettant l’église au milieu du village et revalorisant un peu mon image.

En attendant, le peuple est divisé entre les pro- et les anti-Magdalena, manipulé par la presse et Internet qui font des ravages. Des mesures légales ont été prises envers toutes les diffamations que l’on peut trouver sur moi dans tous les médias et déjà, plus d’une dizaine de personnes clairement anti-Magdalena ont été envoyées en prison pour diffamation et harcèlement. La Cour qui me faisait si peur a pris position et s’est unilatéralement placée de mon côté, à ma plus grande surprise. Toutes les dames veulent m’aider dans toutes mes tâches, cherchant à atteindre le poste de favorite et de confidente. Cependant, je crois que ces choix attendront que Daniel monte sur le trône. D’ailleurs, on ne se voit plus beaucoup, on est tous les deux trop occupés avec nos affaires, qu’elles soient d’État ou personnelles. On ne se retrouve plus que le soir pour manger ensemble, faire l’amour parfois et dormir, comme un couple normal au travail.

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