Réanimation

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Le chaman agite son bâton talisman au dessus de la momie. Tous les grelots qui y sont attachés cliquettent, tintent, résonnent, rebondissent. Des pièces d'argent, des ailes de poulets, des morceaux de chiffon sales et les crânes vides de petits animaux des champs.

Les autres gobelins courent en tous sens au son du tambour. Un observateur non averti pourrait croire qu'ils cherchent desespérément le reste de leurs instruments pour accompagner le tambourin.

Le chaman transpire à grosses gouttes. Il a réuni tous les morceaux de la momie au bon endroit et les a soigneusement collés. Mais il n'est pas sûr du tout que l'âme va vouloir revenir. Même après avoir été soigneusement peint, il a toujours mauvaise mine. Et puis un des crétins qui lui servent d'assistant lui a fait de grosses lèvres rouges et des paupières bleues.

Si c'était lui qui devait se réincarner, il n'accepterait jamais de revenir dans un corps pareil. Heureusement, il n'est pas mort. Mais la question risque de se poser plus vite que prévu s'il ne ranime pas le roi sec. Le chef le regarde bizarrement depuis le début de la cérémonie, comme s'il se doutait que ça allait foirer.

Alors le chaman avale les champignons qui donnent les bonnes hallucinations. Il court partout. Il donne des coups de bâton aux autres gobelins. À un moment, il doit se mettre à baver aussi, mais il ne s'en rend déjà plus compte. Lorsque cela arrive, le gobelin plane déjà depuis longtemps dans les nuages colorés du monde des rêves. Cui-cui. Les chamans suivent un long apprentissage pour trouver ce qu'ils sont venus chercher. Et un apprentissage encore plus long pour pour apprendre à revenir.

Cette fois, c'est l'âme de la momie qui intéresse le chaman. Le principe vital du roi sec. Comme la momie est juste en dessous, l'âme ne flotte pas loin. Et le chaman croit avoir un peu abusé des champignons lorsqu'il le rencontre. En fait de roi des anciens temps, l'âme est celle d'un ouvrier qui s'était un peu trop penché sur la cuve de natron. On ne l'a pas embaumé pour poursuivre un règne glorieux dans l'autre monde. Non, sa momification était un accident de travail. Et il est furieux que son corps ait été "maquillé comme une putain de bordel". Le chaman a beau déployer toute son éloquence gobeline, il ne parvient pas à convaincre l'ouvrier sec du caractère profondément viril du kilt de cérémonie, de la perruque léonine et du maquillage de guerre rouge et bleu.

Plus le chaman insiste, plus l'ouvrier sec s'énerve. Profondément déçu par son caractère instable, le chaman doit le repousser. Allez retourne à ton sommeil, mauvais coucheur. Mais cela ne fait pas l'affaire du chaman. Loin en dessous, son chef commence à perdre patience. Dans le monde du rêve, les sentiments des vivants ont une force particulière. Comme ils ont un corps pour produire ces émotions, leur force terrible sert un peu d'élément naturel. Et parmi les nuages multicolores, c'est un orage lointain qui commence à gronder. Le chef est en colère. Le chaman espère que son corps abandonné à lui-même n'a pas eu la maladresse de lui donner des coups de bâton...

Cette colère qui gronde comme un orage lointain n'en rend que plus urgent de trouver une âme pour le corps du roi sec. Il ne peut pas revenir sans rien. Celaferait de lui un chaman inutile, et les inutiles ne font pas de vieux os. Allons, il faut trouver quelque chose. Il y a d'autres âmes qui traînent dans les parages. Quelques victimes de guerre, un bandit de grand chemin autrefois pendu à un arbre proche. Mais aucun n'a envie de se réincarner pour devenir le roi des gobelins. En fait, ils fuient même à toutes jambes métaphoriques dès que le chaman fait mine de les approcher. Le chaman a beau leur hurler qu'il ne vient pas à la chasse, qu'il n'a pas l'intention de presser leurs âmes pour en extraire des souvenirs, qu'il n'est pas un nécromancien, juste un gobelin en quête de roi, rien n'y fait. Tout le monde le fuit.

Alors le chaman doit aller voir plus loin. Dans les tourbillons brumeux des rêves animaux. Là où il y a de tout. Un bazar inimaginable. Des grappes de petites âmes de lombrics désespérement emmêlées. Des vies de petites créatures couinantes ayant à peine conscience que leur vie s'est achevée sous le croc d'un carnassier. Et puis des prédateurs, tout orientés vers la chasse.

Ceux là sont les pires. Que des âmes de pervers monomaniaques irrécupérables. Ils planent alentour à l'affut, ils rôdent, ils rampent. Impossible de les approcher, et comment d'ailleurs ? Ils ne sont qu'avidité sournoise et meurtrière. Le chaman commence à désespérer quand passe soudain l'âme d'un aigle. Le roi des oiseaux, roi des cieux, qu'un archer irrespectueux a abattu en plein vol. Le roi des oiseaux plane au dessus du brouillard des âmes comme, de son vivant, il dominait son territoire. Et son regard hautain est le même, qui voit approcher le petit gobelin. Un vrai regard de roi.

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