Chapitre 1 : Un, et Deux, et POC

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Il fait déjà nuit quand je sors. Fais chier. Je suis pas gouvernante moi, et j’aime pas ranger. Je lui ai mis un pétard dans la main. Ça doit pas être le même que celui avec lequel je l’ai buté. Tant pis, les flics sont tellement perchés ici qu’ils f’raient pas la différence entre une pinte et un pot de chambre. Ils vont croire à un suicide, comme d’habitude.

Je cherche un petit routier, histoire de descendre deux, trois bières et de me remplir la panse. J’en vois un qui me paraît sympa, calme, sans emmerdes, le top. J’y descends et m’attable tranquillement. Y a quelques poivrots, dans la cinquantaine, comme moi, qui reluquent la serveuse dès qu’elle leur tourne le dos. C’est vrai qu’elle est pas dégueulasse, mais jeune, trop jeune. Elle pourrait être leur fille. Ils ont aucun respect, ces vieux cons. Elle arrive vers moi, prend ma commande, un burger-frites, et repart avec toujours le même sourire. Elle a le moral, cette petite. En attendant mon plat, j’attrape ce carnet, où je griffonne les présents mots. C’est un peu un défouloir, un témoignage, ce tas de feuilles. J’en ai besoin, et puis vous savez, avec le genre de métier que je fais, il me sert aussi d’assurance vie. J’ai pris l’habitude d’écrire dedans quand j’ai un peu de temps. Ça sert aussi à pas trop perdre la boule, je crois. C’est que je suis souvent tout seul, alors faut bien une échappatoire ! Le plat arrive, et je le dévore comme de rien. Ça fait du bien. J’m’enquille aussi la bière et en r’demande une dans la foulée. Ils doivent croire que j’ai pas mangé depuis deux semaines, ces cons du bar, mais j’m’en cogne. Pour l’instant, j’ai juste envie de me détendre et de mater la rediff du match sur la vieille TV accrochée au mur.

Je crois que ça fait cinq minutes que l’autre crétin, accoudé au comptoir, m’lâche pas des yeux. Il commence vraiment à me gaver et je vais finir par me le faire. Bordel, j’voulais pas d’emmerdes ce soir. Il est pas comme les autres ivrognes de tout à l’heure, il est plus jeune, plus fort. Mais il doit lui manquer autant de cases, à en voir son regard de demeuré. Il croit pt’être que j’ai de l’argent. Il va être déçu, le môme. Je me lève et m’avance pour payer ma note. La petite serveuse arrive vite. Elle est bien agréable et j’ vais pour lui laisser un pourboire quand l’autre abrutit se réveille.

- Hey papy, tu m’payes ma conso aussi ?

- Ouais, bien-sûr !

Et voilà, il titube vers moi, sauf qu’il ne sait pas encore que c’est le pas de trop.

Premièrement, j’attrape l’oreille. Deuxièmement, j’empoigne le comptoir. Troisièmement, je joins les deux. J’aime bien le son que ça produit. Un joli POC, bien sonore, bien vivant. Ça résonne bien aussi, preuve qu’il y avait un grand vide. Le sang gicle un peu la seconde fois. Je m’arrête là, ça tâche, et puis j’vais pas finir un client potentiel pour gratos. Il a l’air encore plus con maintenant, avec ses deux dents en moins. J’entends un cri, je lève la tête. Ah, merde, j’ai oublié la petite et je crois que je l’ai un peu choquée. Je pose l’argent sur le bar et retourne à ma voiture. Je sais pas si elle va appeler les flics mais j’m’en fous, je suis pas d’ici et je veux pas encore nettoyer. En fait je suis de nulle part, donc je m’en balance encore plus. Je démarre et reprends la route.

* * *

Quand je me gare en bas de l’immeuble, mon vieux disque d’ACDC s’est déjà répété 3 fois alors je ferme le clapet d’Angus Young avant un énième « Highway to Hell ». Il est 4 heures du mat’ mais en me penchant je peux voir que le bureau de Jeff est toujours allumé. C’est un dingue de boulot, il a pas de vie. J’pense qu’il est pas humain, il dort jamais et en 30 ans que j’le connais, je l’ai jamais vu prendre de vacances. A quoi sert tout son pognon si il en profite pas ? La porte du bas n’est pas verrouillée, il est bien là. Je monte les marches deux par deux et entre dans le couloir avant de m’immobiliser devant la grande porte. J’me regarde un peu l’allure et à part une petite tâche rouge, de nature à déterminée, sauce burger ou bien reste de mon client, tout est en ordre. Inspiration, j’ouvre... et trouve Jeff, pantalon sur les chevilles, verge en avant, sans doute en train d’expliquer à une charmante travailleuse du soir, ou du matin, que le billard ne se joue pas avec la langue sur la queue. Je rectifie donc, je sais où va son fric.

En bon connard qu’il est, et bien que mon patron, il est pas décontenancé par mon arrivée le bougre. Il intime à sa très chère compagnie, au sens strict, de continuer sa « collation » pendant que je m’installe dans l’petit salon et, une fois la dure l’affaire conclue, il la congédie en glissant un petit billet entre ses seins. Il s’approche ensuite vers moi, me tendant une main que j’regarde mais que j’vais sûrement pas serrer. Il comprend pas, l’est pas très malin, et finit par allez se servir un whisky.

- Alors Stan, la route était bonne ?

- Pas eu de problème. J’ai torché le dossier Kreps, j’ai bouffé, et je suis rentré.

- Et pas trop compliqué ce boulot ? ajoute t’il en asseyant son volumineux postérieur dans le petit fauteuil en face du mien. Je demande bien comment ça rentre d’ailleurs.

- Non, Il m’a pas capté quand je suis entré, il pensait peut être à un de ses clients. J’ai pas fait la causette, une balle dans l’buffet.

- Très bien. Je te donnerais ton chèque quand j’aurais reçu le paiement.

- Ouais. Bon, tu m’donnes un nouveau client ? J’aimerais rentrer me pieuter quelques heures avant de repartir.

Un petit pli coupe le front de son visage rondouillard. Il est rougeot aussi, mais je peux mettre ça sur le compte de sa séance privée. C’est qu’il est pas des plus athlétiques, le Jeff. Il prend une toute petite respiration, mais je la remarque, puis il me lance :

- Tu peux y aller, je te dirais dés que j’ai du nouveau.

- Tu m’fais quoi là ? On croule sous les demandes en ce moment. Je suis pas difficile, tu m’connais...

- J’ai rien d’intéressant ce soir. Rentre te reposer et je t’appelles quand j’ai un contrat pour toi.

Un truc me coince dans l’gosier. Je le regarde, il transpire presque. J’sens qu’il y a un truc qu’il me dit pas, mais je cherche pas plus loin. Il a peut être des emmerdes avec sa conne de femme ou sa fille qui en branlent pas une et vivent sur son blé. J’attrape mon blouson et lui souhaite une bonne nuit. L’air du dehors est frais, normal pour une fin d’octobre. Avant d’entrer dans ma caisse, je regarde une dernière fois le bureau de Jeff, ne sachant pas encore que je s'rais dans une colère noire quand je reviendrais.

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