Fait divers

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Ce matin, je me suis levée avec la certitude que les choses changent, que les gens et les mentalités évoluent, que l’espoir est possible, que tout peut changer.

Des années que je tente de me convaincre que les autres peuvent être des amis, qu’il ne faut pas avoir peur de tout et de rien, comme me le martèle ma copine. Des années que je perçois l’écoulement des heures différemment. Depuis que le fils de mon ex m’a traitée de « sale noire » devant lui, sans qu’il ne réagisse assez pour me permettre de me sentir à ma place, ou même protégée. Il a mollement réagit avec un « Ne lui parle pas comme ça. Je ne te demande pas de l’aimer ».

Et moi ? Quelqu’un s’est interrogé pour savoir si j’aimais l’idée d’être là, de subir ce commentaire injurieux, raciste, reflétant une idéologie insidieuse ? Ce gamin n’a que quelques années de moins que moi, mais mentalement, je me sens un siècle de plus que lui. Un siècle de vécu qu’il n’a pas, de brimades qu’il ne connaitra pas, de remarques qu’il n’entendra pas, de colère qu’il ne ressentira pas.

« M’en fous ! », a-t-il regimbé avec cette violence repoussante dans la voix, « Tu t’assures que ta noire ne touche pas mon caméscope, t’as compris, papa ? Je ne veux pas qu’une sale noire le touche ! » J’ai cru qu’il allait me cracher dessus, tant ces mots reflétaient de haine et de colère injustement dirigés vers moi. Crispée, les yeux brûlants, j’attendais une réaction plus respectueuse que le faible « Oui, j’ai compris. Arrête ! » de mon compagnon d’alors. Cruelle déception. Cruelle vie. Cruel amour. Cet homme à qui j’ai tant donné ne m’a pas défendu davantage devant son enfant.

La couleur de ma peau est-elle destinée à écrire mon futur ? Le berceau de l’humanité est-il préposé à être honni des fils de ses entrailles ?

J’ai tourné la page, tourné mon regard vers d’autres possibles et avancé. J’ai souri à ceux dont le regard mentionnent une différence évidente à ma vue, un rejet qui ne peut être expliqué que par l’or qui court sur mon épiderme. Je ne suis pas noire, mais ici, c’est tout comme. Ailleurs, j’étais blanche, toujours différente. Est-ce qu’un jour je serai acceptée quelque part ?

J’avance dans mon appartement, 80 m2 de protection, mon refuge face aux autres. Ici, je suis à l’abri de la bêtise humaine, de leur travers, des raisons qu’ils se donnent pour accuser la différence, des maux qu’ils créent avec sadisme. Parce que je suis « de couleur », mais mon cerveau est plus efficace que le leur dans bien des domaines. Une désillusion inacceptable pour beaucoup. Mes foulées me portent dans ma cuisine aux tons ocre, comme un relent de cette terre d’Afrique qui me compose pour moitié. J’ouvre les volets et laisse le soleil, déjà dense à cette heure animer mon espace culinaire de ses reflets facétieux. Qu’il est beau cet astre qui brille pour tous sans distinction !

Un coup d’œil à l’horloge m’apprend que je vais être en retard si je ne me dépêche pas. En quelques gestes forgés par l’habitude, je me prépare un petit déjeuner que je déguste à la chaleur des rayons. Le sud de la France a cette particularité attirante de fournir plus de chaleur naturelle qu’humaine. Je soupire et allume ma radio. Une voix dans la lumière pour accompagner ma journée, m’informer brièvement des nouvelles du monde sans être parasité par les écrans avec ces images prise au cœur de l’action en oubliant respect et politesse.

Un fait divers. Les premiers mots me semblent irréels, incroyables, inacceptables.

Quelques mots, juste quelques mots.

Une phrase, et la réalité me percute dans toute son horreur.

Des policiers, des hommes représentants la loi, garants de la protection de tous les citoyens, payés pour protéger leurs semblables ont sciemment, volontairement, étouffé un homme à terre.

Mon cœur saigne pour cet homme et cette mort inutile, honteuse, terrible. Inacceptable.

Le bruit de ma tasse qui heurte les carreaux me sort de ma torpeur et je cours vomir mes tripes aux toilettes. Mes boyaux expulsent le chocolat que je viens d’ingurgiter. Couleur sombre sur l’émail blanc.

Des années que je tente de me convaincre, et chaque fois, la vérité revient comme un boumerang en pleine face. Même si elle ne dit pas son nom, même si elle cache sa présence, la haine de l’autre est là, toujours là. Est-ce qu’un jour il sera possible de se sentir humain, tout simplement ?

J’avale ma bile, plaque un sourire forcé sur mes lèvres et attrape mes clés. Je dévale les escaliers en me répétant d’être forte. Lorsque j’arrive à mon travail, je souris et réponds que je vais bien à ceux qui posent la question sans vraiment attendre la réponse. Comment pourrai-je aller bien ?

Je fais semblant. Je vis dans un monde de perception positive où la façade est l’attitude attendu pour ne pas froisser, pour ne pas importuner, pour être normale. Mais dans mes tripes c’est la tempête qui fait rage, c’est le tsunami de honte et de désespoir. J’ai besoin de pleurer, mais j’offre un sourire de circonstance à mon patron.

Au fond, je sais qu’il ne veut pas savoir comment je vais, il ne veut pas savoir si ma couleur me perturbe, il ne veut pas savoir si le meurtre d’un homme noir me touche plus que les autres, il ne veut pas savoir si ma couleur de peau a une incidence sur le déroulé de ma vie. Non, il veut juste que j’exécute ce pour quoi il me paie, sans vagues incongrues.

L’image est importante, comme il aime à le répéter. Qu’importe si mon image à moi, aujourd’hui, c’est celle d’un homme mort parce qu’il est noir. Moi, je suis vivante… encore un peu.

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Réponse au défi de Naya:

Hello à tous,

Je me lance dans un premier défi, au risque de passer pour la rabat-joie de service : j’aimerais bien lire des choses sur le racisme en général, qu’il soit ordinaire ou décomplexé, éprouvé (ou même assumé) par vous, par vos proches, par un personnage - le ton n’a pas particulièrement besoin d’être engagé ni intellectuel, aucun style n’est imposé mais j’aimerais toutefois qu’il se situe du côté de l’empathie – peu importe l’émotion vécue (j’ose croire que les ressentis intimes parlent mieux que les réalités mesurables)

Dans l'attente de vous lire :)

PS : le sujet est sensible, soyez gentils et constructifs dans vos réactions :)

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