XVII

3 minutes de lecture

Elle était arrivée un matin, transie.

Sans remède, le froid venait de l'intérieur d'elle-même.

Depuis la fenêtre du métro aérien, elle avait essayé d’observer les oiseaux au-dehors, laisser son regard voguer sur les arbres, à travers les immeubles. Mais rien ne parvenait à effacer la douleur. Cette douleur inexplicable, que personne ne comprenait.

Elle avait descendu le boulevard Blanqui, boulevard des désespérés. Aux abords de Sainte-Anne l’air se teintait d’un parfum spécial. Il l’enivrait.

Parmi les ambulances garées sur le parking après l’allée, elle avait levé la tête sur le toit vert et leur terrasse. Les couloirs familiers, d’une blancheur rassurante, les grilles d’acier, le bruit des clés et des portes que l’on ouvre sur une promesse de soin et de réconfort. L’hôpital. Vouloir y revenir, y revenir encore. La vie en miniature, l’enfermement, ici tout était simple. Sa vie est vide de sens.

Elle s’était demandée comment elle avait pu tomber aussi bas. N’exister que dans le regard des autres. Vous étiez coincée entre deux sentiments opposés, contradictoires. Il y avait une incroyable satisfaction d'en être arrivée là, et en même temps une souffrance profonde, et vous auriez souhaité ne jamais avoir eu besoin d'être entraînée là-dedans.

Cela ne marchait pas. On croit que ça ira mieux après avoir maigri, au final rien ne change. On se déteste toujours autant.

Culpabilité d’être là, culpabilité d’exister. Des gens mouraient de faim dans le monde. Pourquoi en rajouter. Et elles étaient là, à fracasser sur les murs les recueils de leurs vies.

Elle avait espéré l’atelier d’art thérapie comme elle avait rarement attendu quelque chose dans sa vie. Au bord des larmes, emplie de gratitude, elle avait regardé les bourgeons d’avril par la fenêtre. Dans mon cœur fleurit printemps et pourtant mes os se rompent

ACRYLIQUE

50 × 32,5 cm

J'ai peint des montagnes. Bleues. J’ai levé la tête, vers les branches qui se découpaient sur le ciel, les épines, le crépuscule lacéré. Le cheval au bord de la falaise, couvert de poissons rouges, la peine au fond des yeux. Le corbeau qui parlait, l’avidité démente au creux du cœur. Où était le soleil ? Qui sait. Où étaient les oiseaux ?

J'ai peint comme si ma vie en dépendait. Les étendues d’herbe douce se balançaient au gré du vent, dans un calme irréel. Le vertige du grandiose, beauté des grands espaces – folie. J’y ai jeté mon corps. Abattu mes couleurs. La nature qui retenait son souffle, comme si tout s’arrêtait. Sur le chemin en contrebas, la silhouette avançait. Péniblement, le soupir rauque, insensible. Seule. Elle fuyait. Courait vers sa dernière heure. C'était évident. Évident pour les bois silencieux qui l’emmèneraient au bout du monde, évident pour les nuages qui s’accumulaient dans les cieux. Évident pour moi. Qui étais-je, bordel ?

J'ai plongé le pinceau dans le bocal, posé la palette sur la boîte ouverte par terre, saisi mon arme. J’ai pointé le canon sur ma tempe. J’ai arrêté le temps. J’ai arrêté de battre. Tutoyé le vide. Senti l’éternité. J’ai attendu. J’ai basculé. Et puis j’ai vu. Tout. Je l’ai reposée. Ma main tremblait, les larmes me sont sorties des yeux.

Il fallait peindre. Peindre pour peindre. Ne pas se poser de question. Ne pas réfléchir. Ne pas se demander si on peignait ce qu’on aurait voulu faire en réalité. Se laisser porter. Se laisser voler. Disparaître.

C'est trop fort. Trop grand. Trop beau.

C'est trop.

Son pinceau ne suit pas.

L’art-thérapeute s’était approchée discrètement, en remarquant sa production. Elle y voyait de la violence, de la souffrance peut-être.

— Il y a toujours le besoin de montrer aux autres, avait-elle commencé. Plutôt que dire.

— C'est ça.

— Si vous deviez leur dire que ça ne va pas, qu'est-ce que vous leur diriez ? C'est comme une esquisse, qui se précise au fur et à mesure. C'est vous qui dessinez.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Parallel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0