II

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Un matin de novembre, elle s'était dénoncée. S'était rendue sans qu'ils l'aient demandé.

Elle avait compté ses pas dans le couloir, la porte s'était ouverte et le Dr Berlioz lui avait dit d'entrer.

Elle ne savait pas ce qui l'avait poussée à prendre rendez-vous. Un besoin de faire bouger les lignes, de faire quelque chose, n'importe quoi. D'un côté ou de l'autre, c'était chercher une issue. Elle ne pouvait plus rester ainsi.

Il est étrange de parler avec les yeux. Il l'avait détaillée derrière son masque, des rides au coin des yeux. La reconnaissait-il ? Des années plus tard, dans quel état elle revenait.

Il ne lui avait pas demandé pourquoi elle était là, comme s'il avait compris d'emblée, comme s'il avait pu saisir dans son regard toute la détresse qui cognait dans son cœur. Elle attendait son verdict.

Il lui enjoignit de s'allonger, prit sa tension, son pouls, l'accompagna sur la balance. Elle revint sur la chaise, face à lui, le dossier rentrait dans son dos.

— Vous savez que l'on peut mourir d’anorexie mentale.

Elle était désolée.

— Le terme est violent, avait-il ajouté d’un ton indulgent.

— Pourquoi ont-ils choisi un mot si beau ? avait-elle dit.

Effrayé, il n'avait pas su quoi répondre.

Le mot était immonde.

Il lui demanda de brosser un rapide portrait de ses journées, de son quotidien. Elle travaillait, elle partait tôt et rentrait tard, elle s’épuisait.

— Est arrivé un moment où je ne prenais que le repas du soir.

— Et vous teniez le coup ?

— Oui.

Malheureusement.

Le médecin avait pris des notes, consigné ses propos. Il lui avait parlé de la mort. Il savait, les yeux dans les yeux, que c'était quelque chose qu'elle comprenait.

Face à un trouble du comportement alimentaire, il est difficile de s’en sortir seule, avait-il expliqué.

— Vous faites ce que vous pouvez, mais ça ne suffit pas. Vous avez besoin d’aide. Que ce poids vous paraisse normal n’est pas sain. Ce n'est pas négociable. On ne peut pas le tolérer.

Elle avait acquiescé par automatisme, comme si elle comprenait.

— Vous savez qu’il existe des centres spécialisés avec des équipes pluridisciplinaires ? Il est indispensable que vous ayez un suivi. C’est un mécanisme, il ne suffit pas de se raisonner. C’est une histoire d’acceptation de son corps, d’acceptation de soi. Ce problème est trop grand pour vous.

Il lui avait conseillé un hôpital parisien vers lequel elle pourrait se tourner.

— Je serais d’avis que nous leur fassions une demande. Réfléchissez-y et revenez me voir. Je vous introduirai.

Elle avait regardé le docteur en face d’elle, sa cravate rouge aux éléphants. Une infime seconde, elle eut l’impression de remettre sa vie entre ses mains.

Parmi le torrent d’émotions qui l’emportait, elle décelait du soulagement. Être considérée. On lui tendait la main. On la définissait.

Ils s’étaient levés, le docteur Berlioz s'était arrêté et l'avait prise à part avant d'ouvrir la porte. Il lui avait encore parlé de cette jeune fille de vingt ans, qui contrairement à elle, était dans le déni total. Il avait été pris d'une rage folle. Elle était partie en pleurs, il avait regretté. Sa mère lui avait dit : « Un mois après, elle était guérie. »

Pour un médecin, cela l'avait troublée, impressionnée qu'il livre son ressenti, qu'il insuffle autant de personnel. Et puis elle s’était dit que cette maladie l'exigeait peut-être, que tout était justement une question d’affectif.

— C'est quelque chose de mystérieux, avait-il médité. Personne ne comprend ce trouble.

Elle se savait lucide.

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