Chapitre 58B: juillet - août 1809

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Toute la journée du jeudi qui suivit le départ de Léon – Paul fut consacrée au nettoyage de la maison familiale. Vu que Marie souhaitait se ménager j’aidais très activement Jeanne, frotter les vitres, aérer les chambres, retirer les draps, secouer les couvertures, passer le balai, vider et rincer les pots de chambre, faire la poussière dans et au dessus des armoires. Pendant ce temps – là, Frédéric déambulait passivement dans toutes les pièces, constatant en vrai petit homme, que tel ou tel lit n’avait pas encore été défait ou que l’armoire n’avait pas retrouvée sa place après avoir été déplacée. Paradoxalement de cette place de mini - chef, il traînait derrière – lui un espèce de torchon qu’il avait pris l’habitude de suçoter lorsqu’il était fatigué, en plus de son pouce. A la fin de la journée heureusement coupée de pauses pour les repas, Jeanne disposa les grandes corbeilles de linge alignées dans le salon, pour pouvoir aller les nettoyer au lavoir le lendemain.

A cause de mon dos qui m’empêchait de l’accompagner, Marie fut contrainte de suivre Jeanne. Elle n’allait tout de même pas me dire que c’était ce petit ventre de quatre mois qui la fatiguait tant ! Pour la faire relativiser et qu’elle cesse un peu de se plaindre, j’aimais bien prendre l’exemple des paysannes qui travaillaient jusqu’au jour de leur terme, où elles accouchaient accroupies dans les champs comme leurs petits besoins, ramenaient simplement leur nouveau – né à la maison qu’elles emmaillotaient à peine pour retourner aussitôt travailler. Les naissances étaient rarement difficiles dans ces milieux – là, et si le premier ou le deuxième pouvait coincer un peu, le passage se frayait très vite au bout de six ou sept enfants, et devenait imprévisible au bout du dixième, nombre que jamais personne dans ma famille connue n’avait encore atteint, ma nièce Marie – Louise avec ses sept petits étant à ma connaissance la mère plus féconde de toutes, cinq restant la moyenne.

A son retour, Léon – Paul resserra les cordages que nous avions un peu distendus pendant douze jours. Après quelques rappels à l’ordre, Frédéric reprit vite la main sur son comportement. Cependant mon fils n’avait pas que des sermons à faire à l’enfant, il lui préparait aussi une belle surprise. Alors qu’il avait évoqué lors de sa formation le fait qu’il recherchait un endroit où passer un séjour en vacance, un de ses collègues parisien, tout de même directeur adjoint de l’hôpital de la Charité, propriétaire d’un pied à terre au bord de la mer, lui avait proposé de lui louer sa maison durant le mois de septembre, lorsqu’il serait rentré à Paris après sa vacance. Nous partirions donc avec les filles, cela m’aurait fait mal au cœur de les savoir au pensionnat pendant que nous prenions du bon temps, durant une période de sept jours maximum, qu’il restait à Léon – Paul à déterminer, son collègue ne comptant pas remettre les pieds dans sa maison avant l’été prochain. Un de ses collaborateurs qui travaillait à l’hôpital de Rouen acceptait gentiment de nous emmener et nous ramener, et seules cinq ou six heures de route nous attendaient, ce qui paraissait tout a fait satisfaisant. Il faudrait tout de même demander une absence exceptionnelle de Frédéric auprès du père Georges.

Lorsque Frédéric m’accompagnait au marché, il me suggérait toujours d’acheter du fromage ou du poulet, qu’il adorait, mais la plupart du temps, Jeanne me donnait une liste toute faite par ses soins en fonction des menus de la semaine, et nous ne dérogions jamais à la règle, car Léon – Paul confiait un montant très juste qui ne permettait aucun écart. Cependant un jour, en déambulant dans les allées, ne faisant plus attention aux cris des marchands qui annonçaient leurs prix aux clients, je sentis que l’on me lâchais la main. Je me retournais, mon petit – fils grattait la terre accrochée sur la pièce qu’il venait de trouver.

— Vingt francs. République française. An 14. Il accéléra son pas pour me rejoindre. Que vais – je pouvoir acheter avec grand – mère ?

— Montrez – moi ça. Je retournais la pièce d’or sur laquelle figurait narcissiquement la tête couronnée de laurier de l’empereur, avant de la rendre à son propriétaire. Ce que vous voudrez. C’est une belle somme. Vous avez de la chance.

Ainsi, lorsqu’il me réclama de le conduire au stand du fromager, je le conseillais.

— Ne souhaitiez – vous pas plutôt avoir un bilboquet ? Si vraiment vous y tenez, je pourrais exceptionnellement demander à Léon – Paul qu’il nous accorde une petite marge la semaine prochaine.

— Ah oui ! Pourrait – on aller à la boutique où ils vendent tout un tas d’objets ?

— Nous devons terminer nos commissions et rentrer préparer le dîner. Mais vous demanderez à Jeanne de vous accompagner cet après – midi. Hein ?

Une fois la table débarrassée après le repas et Léon – Paul reparti au travail, Jeanne se prépara pour emmener Frédéric faire un tour en centre – ville, et s’acheter un cadeau avec sa belle pièce d’or. Je lui donnais des consignes.

— Il achète ce qu’il veut tant que le prix correspond. De toute façon, vous n’avez pas d’argent sur vous ?

Elle hocha la tête.

— Bon, de cette manière, à moins qu’il ne dévoile des talents inavoués de négociateurs, il ne sera pas possible de dépasser les vingt francs. Et puis, si jamais il demande du fromage… J’adressais un sourire complice a l’enfant. Vous lui répéterez que j’en achèterais au marché la semaine prochaine.

Ils rentrèrent en milieu d’après – midi, et Frédéric me chercha dans toute la maison pour me montrer son beau jouet, il n’avait pas choisi un bilboquet mais un fiacre miniature en bois assez réaliste, tiré par deux figurines de chevaux. Il récupéra un personnage et se mis à s’inventer des histoires, seul dans sa chambre. Jeanne me rapporta qu’il lui restait cinq francs qu’il dû sûrement ranger précieusement.

Mon fils m’accorda la petite marge la semaine suivante et nous achetâmes quelques tranches du fromage qu’il désirait, pour son plus grand bonheur lors des repas suivants, et le nôtre aussi.

Frédéric commençait à se poser des questions sur l’état physique de sa mère, dont le ventre auparavant toujours plat s’arrondissait de semaines en semaines, ce qu’il n’avait encore jamais connu. Comme il n’osa jamais aller lui demander, c’est moi qui me coltina les explications à donner.

— Marie porte votre frère ou sœur, qui devrait naître d’ici quatre mois environ. Êtes - vous content ?

Avec ce grand sourire, il hocha vigoureusement la tête.

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