Chapitre 54E: septembre - octobre 1805

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Au premier septembre, mon fils nous quitta pour trois jours, histoire d’aller honorer l’invitation de monsieur Bassens a l’inauguration d’un nouveau service à l’hôpital de la Salpêtrière, à Paris. Les jours où il ne serait pas présent sur Rouen seraient quand même payés par le directeur de l’hôpital où il travaillait, sur lettre interposée, ce qui le rassura certainement. A son retour, nous saurions peut – être si nous devrions déménager dans les mois à venir et c’est donc de là que venait l’angoisse de Marie, apeurée à l’idée de devoir encore s’éloigner de sa famille. Elle avait vu avec Léon – Paul pour passer la prochaine Saint – Nicolas à Saint – Germain sur Bresle, et il avait paru être d’accord. Le cinq septembre, il rentra tard dans la soirée, en soupirant.

De toute évidence, cette invitation avait aboutie à une proposition de poste comme chef de service de l’étage d’obstétrique, et mon fils aurait espéré pouvoir négocier un appartement de fonction, un salaire plus élevé que celui actuel, et, le Graal, peut – être la goutte de trop, sept jours de repos successifs par an pour pouvoir nous emmener en vacance à la campagne. Malheureusement, Léon – Paul n’était pas non plus irremplaçable et brillant au point de pouvoir se permettre de réclamer autant. Le docteur Bassens, qui lui avait littéralement rit au nez, trouverait sûrement un autre médecin moins exigeant pour ce même poste. Léon – Paul garderait donc son travail tout de même assez convenable à Rouen, en attendant un éventuel mieux, peut – être de la part de monsieur Bassens que mon fils espérait voir ressurgir dans quelques semaines avec de nouvelles propositions, histoire de couper la poire en deux.

Malheureusement, octobre arriva sans nouvelles, et c’est a partir de ce moment – là que Marie s’affola, car sa fille aînée n’avait toujours pas essayé son uniforme qu’on avait abandonné dans un placard depuis son achat, jugeant que l’essayage trop en avance s’avérerait inutile. Pour le coup, nous n’étions plus du tout en avance, mais bien en retard. L’enfant avait évidemment pris quelques centimètres, et ses manches lui remontaient bien trop au niveau des avants – bras. Comme il était trop tard pour faire des raccommodages, nous décidâmes de lui laisser en attendant le mois de décembre où elle rentrerait une semaine. Le dimanche soir, nous installâmes ses affaires dans la chambre inoccupée près de celle de Jeanne pour qu’elle ne réveille pas son frère et sa sœur le lendemain en se levant.

Ce lundi-là vers sept heures, Léon – Paul vint frapper à ma porte pour me réveiller, et me permettre de m’occuper d’Alice, car sa mère ne supportait pas d’être réveillée trop tôt quand ce n’était pas indispensable. Doucement elle s’éveilla, elle fis sa toilette, et je tressais ses longs cheveux aux reflets roux, avant de l’aider à enfiler sa robe brunâtre, que je ne trouvais pas très élégante par rapport aux tenues qu’elle portait à la maison habituellement. Le déjeuner fus rapidement avalé pour Alice, car elle toucha a peine à son verre de lait, l’anxiété lui coupant l’appétit. A sept heures et demie, Léon – Paul attela ses juments et nous conduisit jusqu’aux immenses grilles de l’institution, avant de repartir dans l’autre sens, en direction de l’hôpital. Je comptais rentrer à pieds. Nous attendîmes un quart d’heure, dans un air ni trop chaud, ni trop frais, en ce début d’automne, avant que trois bonnes sœurs ne déverrouillent le cadenas et invitent ainsi la centaine de jeunes filles à s’engouffrer dans l’enceinte du lieu. Alice m’enlaça, m’embrassa longtemps, aussi je serrais ses petites mains toutes chaudes. Cependant, je remarquais vite que les autres filles portaient chacune un baluchon avec leurs affaires à l’intérieur. L’erreur s’afficha soudainement devant mes yeux. Je ne pu m’empêcher de faire porter la faute sur l’enfant déjà angoissée.

— Alice, n’auriez – vous donc pas pu me faire penser à votre sac ?

Elle se mordilla les lèvres, toute confuse.

— Bon, allez – y, je vous rapporterai vos affaires ce soir. Vous pourrez bien attendre une journée.

Ma petite - fille se mêla aux autres, des grandes de douze ou treize ans et des petites comme elle de six ans, et disparut dans la foule qui se pressait vers le bâtiment principal. Je comptais attendre le retour de Léon – Paul ce soir pour qu’il me ramène en voiture jusqu’à l’institution et me permette de lui rapporter son petit baluchon. Je pouvais marcher longuement, mais faire trois fois ce chemin m’aurait pris trop de temps, car malgré tout, Rouen était une ville étendue et l’établissement n’était pas à la porte d’à côté. Le soir venu, où, en me voyant m’agiter devant les grilles closes, une bonne sœur récupéra ce que j’avais oublié ce matin – même pour Alice Aubejoux, en première année.

Le soir venu, Léon – Paul reprocha d’abord à Marie son absence pour la rentrée de leur fille, et plus généralement sa passivité face a l’éducation de ses enfants, qu’elle avait tendance a me déléguer. Cela tourna au vinaigre, comme ça n’était guère arrivé depuis longtemps, et mon fils se mit de nouveau a lui taper dessus. Devant les cris incessants, je permis aux deux petits de venir se réconforter auprès de moi, dans mon lit douillet. Louise – Marie posait beaucoup de questions en ce moment, et elle n’hésita pas trop, malgré son intimidation devant la situation.

— Pourquoi papa et maman ils s’énervent toujours grand – mère ?

— Eh bien car la vie n’est pas toujours facile. Votre père aurait besoin de beaucoup de repos, mais il ne peut pas se le permettre.

Elle enfourna ses doigts dans sa bouche aux lèvres roses.

— Pourquoi ?

— Vous le comprendrez plus tard, c’est un peu abstrait pour votre jeune âge.

Elle posa sa tête tout près de mon épaule, et son frère l’imita. La petite fille aimait couvrir la tête de Frédéric de ses longs cheveux châtains, qui riait comme un bébé, mordillant ses doigts baveux, coiffé d’une telle perruque. Quand leurs yeux commencèrent a lutter pour rester ouverts, je les portais tour a tour et malgré mes douleurs au dos dans leurs lits respectifs. Certains matins depuis le retour du froid, il m’arrivait souvent plus que de raison de les retrouver ensemble et toujours dans le lit de Frédéric, quelques fois leurs mains serrées très forts l’une dans l’autre. Si je n’aimais pas beaucoup ces comportements, me dire qu’ils étaient encore très jeunes me rassurait.

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