Chapitre 53D: octobre - décembre 1804

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Dehors, le ciel était gris et il pleuvait. Nous marchâmes le pas rapide jusqu’au port en regardant au passage les déchargements incessants d’esclaves et de marchandise des navires accostant à Paris. Nous allâmes ensuite nous mettre à l’abri dans l’entrée d’un immeuble pour attendre la voiture qui devait arriver dans deux heures environ. Plus qu’une simple visite de courtoisie, ce voyage à Paris nous permit de nous extirper de notre quotidien monotone durant une bonne journée. De retour à Rouen tard dans la soirée, nous rentrâmes à pied à la maison depuis le centre – ville. La campagne, les champs aux alentours aussi vastes que remplis de bêtes en tout genres ne nous rassurèrent guère en cette nuit froide d’hiver, mais nous fûmes je le pense toutes les deux soulagées en apercevant la maison, qui paraissait vraiment petite depuis l’extérieur. Nous rentrâmes nous mettre au chaud, enfin, tout était relatif. Léon – Paul fumait dans le salon, assis devant la cheminée. Alors que Marie montait à l’étage, je posais mes affaires pour saluer mon fils.

—‘’ Nous voilà. Tout s’est bien passé ?

—‘’ Oui. Vous n’êtes parties que depuis ce matin.

—‘’ C’est vrai, mais il aurait pu se passer beaucoup de choses.’’

La petite Alice, qui n’était d’ailleurs plus si petite, descendit bientôt les escaliers avec sa mine fatiguée, ses très longs cheveux et son pas lent, en laissant glisser ses petites mains sur la rambarde. Son père se tourna vers elle, après avoir terminé de vider le tabac de sa pipe.

— Eh bien ? Que t’arrive – il?

— Je voudrais embrasser grand – mère…

— Ce n’est pas une excuse recevable. Remonte - vite te coucher.

L’enfant s’exécuta, et j’allais donc comme promis la border, remontant sur elle sa couverture chaude.

— Passez une bonne nuit Alice. Que Dieu veille sur votre sommeil.

Tous les dimanches, après la messe, nous allions acheter la gazette, et découvrions ainsi les faits importants qui s’étaient déroulés pendant la semaine écoulée. Ce dimanche – là, en lisant cela juste après avoir tendu les sous, j’écarquillais les yeux. Sur la première page du journal, il était écrit que Napoléon avait épousé cette nuit sa fiancée, Joséphine de Beauharnais. Je rattrapais Marie et les enfants.

— Vous ne trouvez pas cela étrange qu’ils se soient mariés en pleine nuit ?

Le petit garçon s’adressa à sa mère, qui le repoussa gentiment.

— Attend Frédéric, je parle à Louise. Si, c’est un peu étrange, mais les affaires des politiques ne sont jamais très claires de toute façon… Je n’ai pas d’exemple à vous donner mais vous comprenez bien.

— Écoutez Marie, moi j’en ai un très précis. Tenez, la dernière fois, j’ai appris que la femme quelque soit son âge, devait par son mari être traitée en mineure. A mon vieil âge, vous croyez qu’il n’est pas lassant de toujours être considérée comme une petite fille incapable de gérer ses biens ? Tout appartient à Léon – Paul, jusqu’à mon plus infime bijou.

— Ce n’est pas une histoire de politique, mais de morale, de coutume.

— Et qui écrit ces lois ? Qui les signe ? Les politiciens Marie ! Ce sont a eux qu’on devrait se prendre. Et je ne comprends pas que rien de change. Je ne sais pas moi, je suis sûre que vous seriez parfaitement capable de gérer votre propre somme d’argent.

— C’est déjà ce que je fais. Léon – Paul me donne…

— Excusez – moi mais quand je parle de somme d’argent, c’est un peu plus que dix francs enroulés dans un mouchoir pour acheter une miche de pain ! Je parle d’un vrai compte en banque. Bon, c’est vrai, pour cela, il faudrait déjà avoir un travail et un salaire. Mais bon, enfin, tout ça pour dire qu’il y a encore beaucoup de choses à changer dans le pays des droits de l’homme !

Au moment de se préparer pour partir à Bordeaux, d’anticiper l’arrivée d’Armand, la plus grande de mes petits – enfants prépara seule sa malle, avec un peu aide de Jeanne. Elle resta un moment très fière de montrer qu’elle pouvait se débrouiller seule. Lorsque le moment se profila, Marie montra son angoisse de se voir embarqué pour un aussi long voyage, de la toute première fois de sa vie. Elle soupirait beaucoup.

— Ça ne fait pas un peu loin finalement ?

— Mais non, ça passera vite ne vous en faites pas. Une fois là – bas, et vue la durée de notre séjour sur place, vous aurez le temps d’oublier. Allez, tout va bien se passer, ne stressez pas.

La voiture d’Armand se gara dans notre cour le matin brumeux du onze décembre. Il passa la journée et la nuit chez nous, Alice n’en pouvait plus d’impatience, me ressemblant étrangement au même âge. Nous quittâmes Rouen le douze. Si la moitié de la première journée se passa calmement, Alice s’amusant un temps à regarder le paysage défiler par la vitre arrière, la suite fus plus compliquée.

— J’en ai marre maman… Quand est – ce qu’on arrive ?

— Assied toi premièrement. Et calme – toi. Quand on arrivera, tu le sauras.

La petite pleura longuement, lassée de ces heures d’ennui, fatiguée. Nous passâmes ainsi neuf jours assez pénibles entre les auberges et la voiture, avec cette enfant qui n’avait pas la patience d’un adulte. Enfin, un matin, nous aperçûmes les vignes, mon cœur se mis à battre presque comme jamais. Nous arrivions dans le bordelais. Marie pointa du doigt les vastes étendues d’allées de piquets à sa fille, par la lucarne.

— Regarde Alice.

— C’est quoi maman ?

Ma belle – fille me fixa, ne sachant répondre.

— Eh bien ce sont des vignes, pour produire du vin, avec le raisin récolté. Mais en cette saison, il n’y a plus rien.

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