Chapitre 48C: février 1800

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Comme promis, un dimanche de février, Auguste nous invita avec son épouse à venir prendre un dîner chez lui. Cependant, mon fils dû poliment refuser et reporter, car Marie était souffrante depuis quelques jours et il ne se voyait pas y aller seul. C'est ce mois – ci que nous reçûmes une lettre de Malou, tant espérée et attendue, qui répondait en fait à l'invitation de Léon – Paul pour la nuit du jour de l'an.

Cher cousin Léon – Paul,

Comment suffisamment m'excuser d'avoir omis de répondre à votre invitation ? Je l'ignore, mais en ce moment, et sans doute à cause de ma grossesse, je suis exténuée. De surcroît, je me désole de ne pouvoir venir sur Rouen l'été prochain, car c'est la période présumée de mon terme et je doute qu'Armand n'accepte de me laisser voyager même un mois ou deux après mes couches. J'ai appris avec une grande joie la naissance de votre fille Alice, et vous n'imaginez pas la joie que je me ferais de la voir s'amuser avec Marie – Louise, qui est à peu près du même âge. L'année prochaine, même si je ne peux vous le promettre, j'essayerais de passer vous voir avec les enfants.

Par ailleurs, vous saluerez Auguste, son épouse, et vous les féliciterez de ma part pour leur petite. J'aimerais beaucoup et depuis longtemps que ma tante votre mère Louise descende avec vous nous voir à Bordeaux. Sachez que si le problème est logistique ou même financier, il ne faudrait pas hésiter à m'en faire part, et je m'arrangerais avec mon mari pour qui prêter de l'argent ou une voiture n'est pas un souci.

Affectueusement, votre cousine Marie – Louise.

Ma nièce persistait, et j'avais grande envie d'aller lui rendre visite, mais c'était clairement impossible. Il disait trouver cela très aimable à ma nièce d'accepter de prêter argent et voiture, mais cela ne changeait rien car il faudrait forcément rembourser, et il ne voulait pas s'ajouter de dépenses. Mon fils avait déjà le crédit de la maison à rembourser, celui de la voiture, les salaires de Jeanne et du cocher à régler chaque mois, pour pouvoir continuer de se rendre à son travail, car la voiture lui appartenait jusqu'à la fin du règlement, et tout un tas de dépenses indispensables à la vie du foyer, comme le bois pour la cheminée, la nourriture et l'entretien des deux chevaux. Si en plus il fallait qu'il s'absente de son poste durant des semaines pour descendre sur Bordeaux, sans recevoir son salaire, les dettes s'accumuleraient dangereusement, et Léon – Paul n'aurait aucune garantie de retrouver sa place en rentrant. De plus, nous venions d'apprendre que son épouse Marie était enceinte et qu'il y aurait donc en fin d'année une nouvelle bouche à nourrir.

Je lu un article qui m'horrifia dans la gazette, un dimanche. Je m'empressais d'aller voir mon fils pour qu'il puisse m'aider.

—''Léon – Paul, ils vont fermer le cimetière Sainte – Geneviève, il faut vite que nous y allions.

—''Comment ça ? Montrez – moi l'article.

—''En effet, ils libèrent de l'espace. C'est une bonne chose pour y voir plus clair et assainir un peu ces espaces surpeuplés. Mais pourquoi donc vouliez – vous que nous nous y rendions ?

—''Mais Camille y est enterrée ! Il faut que l'on ailles la chercher ! Je ne pourrais pas la laisser partir en ossuaire, avec les indigents.

Il me prenait la main.

—''Maman... Il ne reste plus rien d'elle. Elle est morte il y a vingt – sept ans... Que voulez – vous que l'on récupère ? Et puis, c'est sans doute déjà trop tard.

—''Je vous en supplie Léon – Paul... Emmenez – moi à Paris pour que j'aille la voir.

—''Paris est à une journée de voiture. je ne peux pas vous y conduire. J'ai trop de travail à l'hôpital en ce moment. Allez... Elle restera toujours dans votre cœur, où que sa sépulture soit. Hein ?

J'essayais de faire des efforts pour penser autre chose, mais à chaque fois, l’idée de ma sœur chérie à jamais anonyme et indigente, entassée en vrac avec des centaines d'autres défunts dans l'ossuaire me faisait frémir. Il fallait que je me rende à Paris avant que le cimetière ne se débarrasse de toutes ses sépultures, pour laquelle je continuais de payer une concession. Je proposais à ma belle – fille de m'accompagner en voiture à place jusqu'à la capitale, et elle acceptait volontiers, heureuse de se changer un peu les esprits. C'était un moyen pratique et peu onéreux de relier Rouen à Paris en deux jours.

Alice, dix mois, resterait aux soins de notre bonne Jeanne. Quant à Léon – Paul, il m'avait conseillé cette solution voyant que je n'étais pas prête à renoncer. Il y avait des horaires précises à respecter pour partir, et c'est ainsi que mon fils nous déposa au centre – ville de Rouen, pour que nous puissions attraper la voiture à places qui devait s'arrêter devant le bureau du service des Postes à neuf heures. Nous y restâmes une bonne heure avant de pouvoir partir. C'était long et inconfortable, car les bancs de bois glissaient, et si au début cela nous faisait bien rire, cela devenait vite agaçant et fatiguant. Nous dormîmes la nuit dans une auberge. Les gens descendirent au fur et a mesure du trajet et nous nous retrouvâmes vite à trois avec une vieille dame qui descendit finalement à l'arrêt avant nous. Comme nous étions sympathiques et joviales, le cocher nous déposa devant le portail du vieux cimetière, avant de repartir pour Rouen. En parcourant les allées, j'avais le cœur battant car je craignais de ne pas retrouver la tombe de ma sœur. En effet, des hommes armés de pelles et de larges seaux s'activaient à déterrer les restes des défunts et à les jeter à la volée dans leurs récipients. C'est ainsi que le cimetière se transformait progressivement en un champ de stèle sans plus aucune âme, car plus aucun corps n'y reposerait bientôt. Les ouvriers prenaient bien soin de n'exhumer que les défunts dont ils jugeaient le décès suffisamment ancien, pour ne pas avoir la mauvaise surprise de tomber sur de la chair, impropre aux yeux autant qu'à l'ossuaire. Ceux là auraient un déménagement paisible, puisqu'on les laisserait en paix jusqu'à ce que le cimetière ne soit vidé, et ils seraient ensuite déplacés dans un autre.

Nous cherchâmes avec Marie, scrutant les noms sur les stèles, ayant parfois de vains élans d'espoirs en voyant une homonyme. Je lui avais dit de chercher les Châteauroux et Aubejoux, car ma sœur était enterrée avec la famille. Soudain, elle s'exclama.

—''J'ai trouvé Louise ! Je crois que c'est elle. Venez vite.

En grattant la mousse qui s'était accumulée sur la pierre noircie, je pouvais lire les deux dates qui confirmaient le nom, et qui ne laissaient plus de place au doute. Près d'elle, ne reposaient plus de la famille que mes parents, qui devaient avoir un bon ange gardien continuant de payer sans doute sans le savoir une concession pour le coup inutile. Ma mère étant décédée depuis quarante – trois ans, et mon père depuis presque cinquante ans, j'étais désormais la dernière personne encore vivante à les avoir connu, ou du moins à avoir vécu en même temps qu'eux.

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