Chapitre 90

7 minutes de lecture

- Maman, ça va faire une semaine ! Il faut que je retourne au lycée !

Madame Rita-Lans tournait en rond dans le salon et dévisagea sa fille, abattue.

- Non ! Tu resteras à la maison aussi longtemps que nous jugerons cela nécessaire !

- C'est-à-dire ? lança Fanny, désemparée. Je dois passer le bac dans deux mois ! Ce n'est pas le moment de faire des écarts !

Les mains sur les hanches, Monsieur Lans observait le sol gravement. Pia, elle, s'agitait sur le fauteuil en "contemplant" le jardin par l'une des fenêtres.

- Tu ne peux pas l'enfermer indéfiniment, se risqua-t-elle en s'adressant à sa génitrice. Toute la ville est au courant pour les images et les rumeurs qui vont avec... Pardon, Fanny, ajouta-t-elle en se tournant tristement vers sa sœur, mais je ne crois pas que les choses changeront dans un mois ou deux...

Cette dernière fixa sa mère avec plus d'intensité.

- Tu vois, Maman ! Même Pia le reconnait ! Et Pia parle pour le lycée !

- Fanny...

- Ne te frustre pas. Je ne t'en veux pas ; ce que tu dis est vrai.

Un silence glacial s'installa dans la pièce où toute la famille était réunie. Après réflexion, Thomas Lans releva la tête et exprima son opinion sur le sujet qui les angoissait tous.

- Je n'ai qu'une chose à dire : j'ai confiance en toi, Fanny. Prends ce qui te paraît être la meilleure solution.

- Excellent conseil ! s'écria son épouse. Autant lui donner un pistolet chargé et lui dire de faire ce qu'elle veut avec !

- Maman... tenta l'adolescente aux cheveux châtains, sans résultat.

- Je dirais même mieux : qu'elle joue à la roulette russe en se collant le canon sur le crâne ! Qu'on soit aux premières loges quand la chance finira par tourner !

- Ridicule, râla l'homme, excédé.

- Je te demande pardon ?

- J'ai dit : ridicule ! Notre fille est assez grande pour faire ses propres choix !

- Alors je suis la seule personne sensée dans cette maison ?!

- Maman ! tonna cette fois Fanny. J'ai besoin de reprendre les cours ! Le reste est sommaire !

- Tu te moques de moi ? hurla Madame Rita-Lans en faisant les yeux ronds. Et le procès ? Tes harceleurs ? La police ?!

- Ma vie ne sera pas plus insupportable qu'avant. Je ne vois ces images que comme une nouvelle épreuve à tout ce que j'ai déjà enduré.

La mère de famille s'avança et prit les mains de son enfant entre les siennes.

- Ce n'est plus seulement l'école qui te critiquera, Fanny. C'est toute la ville !

- Ça a toujours été comme ça ! Depuis quand les gens que je croise ne m'ont-ils pas fixé avec dédain ou insulté pour mon physique ?

Un second silence, plus embarrassé, emplit le salon.

- J'ai peur pour toi, murmura enfin Madame Rita-Lans qui, se tenant les bras, tournait maintenant le dos à Fanny en examinant l'une des fenêtres.

Cette dernière jeta un coup d'œil à son père qui était retombé dans son mutisme, puis à sa sœur qui faisait semblant de s'intéresser à autre chose.

- Tu ne le dois pas, dit-elle d'une voix calme en se rapprochant de sa mère. Je serai forte.

- Je sais, bruit la maitresse de maison qui étouffa un sanglot. Tu as toujours été la plus forte d'entre nous...

Puis, se retournant vers Fanny, elle l'enlaça.

- Promets-moi de bien faire attention à toi.

- Je te le promets, bredouilla la jeune fille dont l'embrassade la troublait autant que les autres.

*********************

Lorsque Fanny quitta le véhicule après le énième conseil de sa génitrice, Pia lui prit la main. Le lycée leur faisait face et la jolie blonde n'avait jamais été aussi effrayée de s'y retrouver.

- Maman te l'a sans doute assez dit comme ça, lança-t-elle, mais si tu as le moindre doute, la moindre crainte, appelle-la.

Puis l'embrassant, elle observa son aînée dont l'angoisse ne pouvait plus être dissimulée.

- Et s'il m'arrivait quelque chose aujourd'hui ? bégaya cette dernière quand leur mère fut partie.

Pia serra plus étroitement la main de sa sœur et la fixa avec sérieux.

- Ça n'arrivera pas. Envoie-moi un message si tu sens que les choses t'échappent et je viendrais vers toi, où que nous soyons et à n'importe quelle heure.

Humiliée, Fanny dut acquiescer pour tranquilliser sa cadette et la laisser partir. Seulement, si ses truands l'attaquaient, elle savait qu'elle préférerait mourir qu'appeler sa sœur à l'aide. Elle entra à son tour dans le bâtiment hostile et sentit son cœur se briser. Les murmures et les regards inquisiteurs ne s'étaient jamais autant manifestés ; les crachats en sa direction et les rires mauvais n'avaient jamais été aussi importants. Faisant tout pour garder la tête haute, la jeune fille retenait ses larmes en hurlant intérieurement. Alors qu'elle gravissait les escaliers pour rejoindre sa salle, une petite tape sur l'épaule la fit sursauter, et elle se retourna en tremblant comme une feuille.

- Salut, commença Gatien, nerveux, tu es enfin de retour ?

- Oui, répondit la lycéenne, à moitié rassurée.

Les deux étudiants jetèrent des coups d'œil autour d'eux comme si, d'une minute à une autre, quelqu'un leur sauterait à la gorge.

- Viens, murmura le garçon en finissant de monter les escaliers.

Les compagnons gagnèrent un endroit moins fréquenté.

- Est-ce que ça va ?... Je m'inquiétais pour toi, reprit l'adolescent sur un ton léger - bien que son corps semblait toujours agité. C'est l'effervescence ici depuis quelques jours...

- Je m'en suis rendu compte, merci, répliqua la jeune fille, plus que jamais sur ses gardes.

- Pardon, je ne voulais pas t'inquiéter... C'est juste que je pense que tu aurais mieux fait de rester chez toi jusqu'à ce que les choses se tempèrent.

Fanny se força à écouter le garçon, sa vigilance se concentrant d'abord sur tout ce qui l'environnait.

- Ma sécurité ne concerne que moi, s'agaça-t-elle.

- Je ne suis pas d'accord ! Ce qu'on raconte est trop grave pour que tu t'en occupes toute seule.

- Tu ne donnes pas foi à tout ça quand même ?!

- Non, bien sûr que non ! assura Gatien en fronçant les sourcils. Et je ne crois pas que quelqu'un y donne vraiment foi ici...

- Evidemment. Les gens me trouvent trop bête pour agir d'une telle façon.

- Tu n'es pas bête, ne dit pas ça.

- C'est pourtant vrai ! Quel genre de fille prend la température dans un trou de chiotte puis prépare un attentat à grande échelle ?

- Arrête ! la coupa Gatien en lui prenant spontanément le bras.

Ce nouveau contact le fit rougir. Il recula.

- Tu ne dois pas dire des choses pareilles, encore moins les penser, continua-t-il d'une voix qu'il ne parvenait plus à contrôler. Tout le monde ne te déteste pas, tu sais...

Fanny suspendit son regard sur les autres pour accorder toute son attention au jeune homme.

- Je sais.

Elle se força à sourire ; Gatien rougit plus fort. Il observa la foule qui avait empli le couloir et les bousculait, s'assura qu'elle était trop tumultueuse pour que quelqu'un leur accorde un quelconque intérêt, et effleura tendrement mais rapidement la joue de sa compagne.

- Tu as une tache, là...

Ses doigts et sa voix tremblaient. Son œillade timide et sa gaucherie involontaire trahissaient des sentiments dument refoulés. Fanny essuya la commissure de ses lèvres d'un revers de manche.

- Merci, fit-elle, un peu confuse. Ça doit être le chocolat de ce matin...

Gatien se tut et fixa le sol. Maintenant, il paraissait furieux. Son visage se crispa et ses lèvres frémirent comme si plusieurs idées tiraillaient son esprit.

- Il faut que j'y aille, marmonna-t-il sombrement. Au revoir.

Sans explication mais en fuyant le regard de la jeune fille, il s'évanouit dans la masse informe d'élèves. Perplexe, Fanny scrutait encore le point où il avait disparu lorsqu'une main plus lourde et ferme s'abattit sur son épaule.

- Tu joues les séductrices ?

- Bonjour, Luc, riposta sèchement l'étudiante, dont le cœur palpitant ralentit en reconnaissant l'adolescent. Qu'est-ce qui t'amène ici ?

- Je venais te voir, répondit l'autre avec la même rudesse. Mais j'ai remarqué que je n'étais pas le seul à y avoir songé...

- Comment tu savais que je venais aujourd'hui ?

- Je t'ai vu franchir les portes du lycée tout à l'heure. Seulement, je discutais avec Hector... Comment tu vas ?

- Bien. Je te remercie.

- Tu veux m'en parler ?

- Te parler de quoi ?

Luc haussa les sourcils.

- Des images ! Avec Hector, on en causait tout à l'heure, et on est sur le coup, ne t'en fais pas !

Fanny soupira. Ses deux sbires étaient aussi insouciants que ridicules.

- Très bien... Bon excuse-moi, mais je dois y aller ou je vais être en retard.

- Laisse-moi t'accompagner.

- Si tu y tiens.

Vexé par l'indifférence de son amie, Luc devint moins agréable.

- Ça te dérange tant que ça ?

Abandonnant sa rêverie, l'adolescente écarquilla les yeux.

- Mais non, pas du tout.

- Moi j'ai l'impression que si ! C'est à cause de cet Illys ?

- Hein ? Mais non enfin ! Qu'est-ce que tu racontes ?!

Luc grimaça, fronça les sourcils et mit ses mains dans ses poches. Les deux compagnons avancèrent jusqu'à la salle de classe de Fanny dans une tension palpable et un silence plein de reproches.

- Ecoute, reprit la jeune fille en signe de réconciliation, avant que son camarade ne s'en aille, ne te fais pas d'idée à propos de Gatien. C'est un bon ami, c'est tout.

- Qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ?!

- Je pensais que toi et moi, on était plus proches, bégaya la lycéenne, prise de court.

La moue de Luc s'étira en un sourire insolent. Il semblait ravi de cette "révélation" évidente.

- Plus proches jusqu'à quel point ? osa-t-il, se sentant pousser des ailes.

Fanny rougit, baissa les yeux sur son portable et coupa court à la conversation.

- Il faut vraiment que tu y ailles ou tu manqueras le début de ton cours.

- Mais je...

- Au revoir, Luc.

Le visage de l'adolescente était impénétrable. L'étudiant l'examina un instant, abandonna la lutte, la salua et partit.

- Me voilà dans de beaux draps, rumina Fanny tandis qu'elle écartait Gatien et Luc de son esprit pour recentrer toute son attention sur sa véritable préoccupation.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Rachelsans2LE ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0