Chapitre 6

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- T'es sûre que t'en veux pas une ?

Fanny regardait Amandine dans le blanc des yeux. Intimidée, ses petits bras étaient enroulés contre sa poitrine comme si elle avait très froid. Hochant la tête, elle respirait une odeur âcre, celle de la fumée.

Amandine haussa les épaules et porta la cigarette à ses lèvres. L'air était doux. C'était la pause déjeuner.

- Si tu veux mon avis, on devrait se tirer d'ici avant qu'il ne soit trop tard. La société nous acceptera jamais. Alors à quoi bon avoir un diplôme ?

Fanny se taisait. La fin de la semaine approchait et ses récréations se passaient désormais en compagnie de l'autre adolescente. Seule élève qui, à part sa sœur, semblait accepter sa présence dans le lycée.

- Les gens comme nous sont pas respectés. Regarde. Toi, la nature t'as pas donné le physique. Et moi, je suis jugée par le choix de mon physique. En clair, on sera toujours rejetées.

Fanny ne s'offusqua pas devant les mots de son amie. Elle y était trop habituée. Elle savait que, contrairement aux autres, Amandine crachait sans vouloir blesser. C'était sa nature franche qui parlait, et non son intention de briser la jeune fille.

Amandine Poisson était en terminale, comme Fanny, mais avait opté pour un baccalauréat technologique dans la filière STD2A (sciences et technologies du design et des arts appliqués) alors que Fanny s'était engagée dans la section générale en suivant le parcours littéraire. Les deux étudiantes se retrouvaient tous les mercredis en sport, mais n'avaient aucune autre matière en commun. C'était toutefois un plaisir pour l'étudiante de partager son aversion pour la discipline avec une jeune fille qui - et c'était son plus grand défaut - dérogeait quotidiennement aux règles. Sa "grande gueule" embarrassait profondément la timide adolescente, qui n'avait pas l'habitude d'entendre quelqu'un s'opposer à un professeur quand on lui demandait de retourner sur le terrain. C'était donc à contrecœur que Fanny voyait souvent son amie se rendre à la direction pour "injures à un supérieur", l'abandonnant ainsi sur le banc des atones.

En plus de sa rencontre avec Amandine, ç'avait été la surprise de voir Pia à la fin de son premier cours qui avait rendu cette matinée si merveilleuse aux yeux de Fanny. Alors que sa jeune sœur l'avait remarquée dès son entrée dans le gymnase, l'aînée avait feit d'avoir aperçu la magnifique passe que sa cadette avait effectué lors de son énième match, et avait acclamé sa prouesse. Le gymnase, gigantesque, pouvait accueillir plusieurs classes en même temps, ce qui était une véritable fierté pour l'établissement.

Au fil des semaines, le centre d'attention de Sophie et Mathilde finit par être révélé au grand jour. Et Fanny fut frappée d'horreur quand les rumeurs lui apprirent que le garçon était Gatien Illys (qu'elle n'avait toujours pas vu), le coup de cœur de sa petite sœur. Les deux harpies pouvaient harceler Fanny autant qu'elles voulaient, mais si elles commençaient à s'en prendre à Pia pour son attachement au jeune homme, jamais l'aînée ne pourrait rester sans rien faire, quitte à aggraver sa propre situation.

Quittant ses pensées agitées, Fanny adressa de nouveau son attention à l'adolescente, adossée contre le mur du lycée.

- Je veux être enseignante, donc il me faut un diplôme ! lança-t-elle, amusée.

Fronçant les sourcils, Amandine alluma une autre cigarette.

- Et moi je veux être Picasso, c'est pas pour ça que je le deviendrai un jour !

Fanny leva les yeux au ciel et sourit.

- J'ai tendance à croire que, même si la société ne m'épargnera pas pour mon physique, j'ai le droit d'avoir un salaire, comme tout le monde, dit-elle avec sagesse.

Amandine fit la moue, montrant par là son désaccord sans chercher à débattre davantage sur le sujet.

- Je finirai sûrement caissière, comme mon imbécile de mère.

Fanny se mordit les lèvres. Il pouvait être difficile d'entendre son amie parler aussi vertement.

- Ne dis pas ce genre de chose, tenta-t-elle inutilement. Les caissières sont loin d'être stupides !

Amandine semblait réfléchir à ces derniers mots.

- Ma mère, si.

Un silence des plus embarrassants s'installa. Fanny savait que les rapports entre sa camarade et sa famille étaient compliqués, si ce n'était, impossibles. Elle-même n'était pas particulièrement proche de ses parents - surtout sa mère -, mais le fait de les insulter ne lui était jamais venu à l'esprit et ne la tentait toujours pas, malgré la grossièreté naturelle dont Amandine usait pour décrire les siens.

Ainsi s'enchainaient les journées. Elles étaient longues quand Fanny subissait les moqueries en cours, et courtes quand elle tolérait la vulgarité de son amie - qui parfois, l'amusait presque - pour sa reconnaissance.

La plus grande différence aux yeux de Fanny était celle-ci : elle pouvait toujours être critiquée mais, en présence d'Amandine, cela ne la blessait plus autant qu'auparavant. Voilà une morale à retenir, et probablement la meilleure : si vous cherchez à connaître le vrai sens de l'amitié, demandez-vous ceci : "Me protégerait-il si l'on me faisait du mal ?"

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