Douce est la nuit en ce jour de printemps, comme à son habitude, Lionel s'installa près de la haute fenêtre du salon, son ordinateur sur ses genoux, il observait l'horizon à la recherche d'inspiration. Tapant quelques mots au hasard, il lui avait toujours été difficile de commencer une histoire. Le début était le plus important, il fallait étonner et attirer le lecteur, le faire pénétrer dans son monde seulement avec les premiers mots.

Lionel remarqua soudain un oiseau se poser sur une branche près de sa fenêtre, le simple fait de le regarder l'inspira. Comme un éclair, les mots commençaient à fuser dans sa tête, la structure se matérialiser, les personnages se créer.

Vole-t-il, oiseau aimant virevoltant dans l'air paisible de l'hiver…

Les mots ne s'arrêtaient plus, Lionel commençait à se noyer sous ce flot d'idée. Les scènes se passaient comme sous ses yeux, il n'arrivait plus à discerner la réalité et son imaginaire. Seul le bruit de la porte s'ouvrant le ramena. Clignant des yeux plusieurs fois, il retourna enfin près de la haute fenêtre. Lola venait de rentrer dans le salon, cette femme l'avait toujours impression, à la fois gracieuse et forte, il dégageait d'elle une volonté d'acier. Il l'avait rencontré il y a cela bien longtemps. En ce temps, Lionel portait encore des bagues et allait au collège. Tout deux étaient des « indésirables », trop intelligent ou trop gros, ils n'étaient pas aimés. Une forte amitié s'était alors formé entre eux. Malheureusement, après le collège ils s'étaient perdus de vue.

Il y a à peine quelques jours, Lionel se baladait dans les rues de Londres à la recherche d'aventure. Une femme s'était alors présentée à lui, il ne l'avait pas reconnu sur le moment avec ses longs cheveux noirs de jais, ses formes quelques peu différentes de leur année de collège, ses grands yeux verts pâles, tout ceci sublimé par un maquillage merveilleux et une robe magnifique. Lionel pensa alors qu'il n'avait pas vu plus belle femme au monde.

Lola vint s'asseoir près de lui, et rejeta un coup d’œil à son travail.

« La magie de tes écrits non pas changée » avait-elle simplement dit.

Les mots prirent forme et les images défilèrent devant les yeux émerveillés de Lola.

Lola se trouvait dans une forêt ensevelie par la neige, tout était blanc . On pouvait voir à travers les branches nues des arbres, dans le lointain la silhouette d'une ville, elle se dirigea vers celle-ci. L'épaisse couche de neige rendait la marche difficile, Lola ne savait pas où elle se trouvait mais elle avait cette impression qu'il fallait rejoindre la ville, un danger… Elle arriva enfin à l'orée de la forêt, devant elle s’étendait un immense lac gelé, sa surface avait l'air solide alors Lola s'aventura dessus.

Elle avait parcouru une bonne cinquante de mètre quand il y eut un rugissement derrière elle. Un ours !

L'ours polaire se tenait sur ses pattes arrières, son pelage était recouvert de griffure, ses yeux noirs comme la nuit fixaient Lola. Un filet de bave pendait de sa bouche aux dents mortels. Lola savait qu'elle ne pouvait pas le combattre alors elle se mit à courir en ignorant le craquement de la glace. La bête se jeta à sa poursuite. Le froid avait engourdi son corps, elle avait chaud et fatigué à vue d’œil. Lola avait atteint le milieu du lac quand on entendit un craquement sec, elle jeta un coup d’œil en arrière et vit une géante fissure poursuivant l'ours qui ne chassait plus Lola mais essayait de survivre, on pouvait lire dans ses yeux de la peur. Lola avait presque atteint la rive quand la glace cédât sous le poids de l'ours, dans un dernier hurlement, l'ours tomba à l'eau.

A l'instant où Lola se crut sauver, la fissure continua vers elle et s’ouvrit dans un horrible bruit sous elle. Elle tomba dans une eau noire et gelée, elle fut valsée loin de la surface par des courants froids, ses poumons la brûlaient, la peur et la panique commençaient à lui broyer le ventre. Soudain, un courant l’enfonça dans les profondeurs. Elle avait froid, et à bout de force, elle essayait de remonter à la surface, elle nagea comme elle le pouvait dans l’obscurité. Lola ne pouvait plus tenir, tout devint flou puis le noir l’engloutit.

Lola était allongée sur le canapé, elle était mouillée de la tête aux pieds, Lionel l’avait recouvert de toutes les couvertures possibles, et avait essayé de la ramener plus d’une fois mais rien à faire, elle ne se réveillait pas ! Alors qu’elle lisait ce que Lionel avait écrit, elle s’était soudain effondrée par terre, Lionel l’avait alors porté jusqu’au canapé. Il avait attendu, attendu, attendu mais rien ne se passait, la respiration de Lola était régulière, elle avait l’air de dormir mais ne se réveillait pas. Jusqu’au moment où elle commença à tousser, au début ce n’était qu’un petite toussotement puis cela se transforma en quinte de toux. Lionel essaya de la redresser mais Lola fut soudain parcouru de spasme.

L’eau entrait dans ses poumons mais également de l’air, Lola se trouvait sous l’eau mais à la fois sur un canapé, un œil voyait le haut plafond du salon mais aussi la glace.

Lola avait ouvert un œil et fixait le plafond tout en toussant, elle avait arrêté de bouger.

Elle pouvait voir Lionel penché au dessus d’elle, elle tendit la main vers lui.

Lola attrapa le poignet de Lionel et enfonça ses ongles manucuré dans sa peau, tellement fort qu’il se mit à saigner. Sa respiration se calma jusqu'à devenir inexistante.

Lola était immobilisé, elle se trouvait dans deux endroits en-même temps, dans deux mondes différents, sans jamais pouvoir être dans l’un d’eux complètement, entre réalité et monde imaginaire. Elle vit comme séparé, en étant coincé, dans une seule partie de son corps, la lecture l’a alors tué sous le regard malfaisant de l'oiseau aimant.