Victoire et pleurs

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Jones tira un deuxième coup de feu. Tom se réveilla en un instant. Il s'empara de son arme qu'il avait laissée à portée de main et chercha autour de lui où tirer. Il aperçut son voisin et suivit son regard. Il n'eut pas besoin de beaucoup plus. Les yeux rouges brillaient à nouveau. Un grondement rauque se fit entendre par-delà les ténèbres. Il arma son fusil, visa et tira. À côté, d'autres détonations se faisaient aussi entendre. On entendait des bruits secs comme des cailloux lancés sur un toit. Le loup bondit soudain dans la lumière. L'instant sembla durer une éternité. Les hommes découvraient le monstre, Tom pouvait mieux l'admirer. Ces crocs luisants de bave, cette lueur enragée dans le regard, cette fourrure de pierre. L'animal sauta sur Jones. Ce dernier interposa son fusil, lutta, dos à terre, poussé au sol par cette énorme masse. Le monstre était aussi grand que sa victime et bien plus massif.

— Tirez ! Mais tirez donc ! hurla le shérif.

Les tirs reprirent. À chaque fois qu'ils touchaient la bête, une étincelle se produisait. Jones criait, appelait à l'aide.

— Tiens bon ! beugla quelqu'un.

— Il faut viser les yeux ! hurla Tom.

Les tirs se firent plus espacés mais se concentrèrent sur les yeux, meurtrières dans le rempart de sa fourrure de pierre. Jones faiblissait, un hurlement se fit entendre. La bête venait de planter ses crocs dans son bras, elle tira la tête en arrière, le membre se détacha, le fusil encore crispé dans la main. Submergé par la douleur, Jones resta cloué sur place. La bête lança sa prise derrière elle pour s'en débarrasser et se rua sur le blessé.

La gueule s'ouvrit, les filets de bave s'étiraient, volaient en grosses gouttes dans le sillage, les babines de pierre se retroussaient, les crocs se dévoilaient, ils se rapprochèrent, les dents pénétrèrent la chair de sa gorge, tranchèrent les jugulaires, écrasèrent la trachée, arrachèrent le cou. En une fraction de seconde, Jones n'était plus. Tom fut pris d'une rage profonde, d'un violent besoin de faire mal, de tuer ce loup. Appuyer sur une queue de détente n'était suffisant. Il se pencha, trouva sa hache, prit son élan et d'un violent coup de rein, lança sa masse sur le loup, toucha. L'arme rebondit dans sa direction. Sous le choc, l'une des écailles de pierre derrière son cou avait cédé.

Fou furieux, Tom couru vers l'animal, se pencha à peine pour ramasser son outil de travail, sauta sur la bête en un bond prodigieux. Dans son dos, il put entendre sans qu'il n'y prenne garde, le shérif ordonner l'arrêt des tirs. Le fermier restait concentré sur sa tâche : venger son voisin. Il atterrit sur l'échine de la bête, la chevaucha, la serra entre ses genoux. C'était un rodéo sauvage, un combat de la vie et de la mort. Le loup sauta, se cabra, rua comme un mustang sauvage.

Le fermier s'accrochait d'une main aux écailles, de l'autre maintenait sa poigne sur la hache. Un instant, l'animal eut besoin d'un instant pour réfléchir à quel mouvement faire pour se débarrasser de l'homme. C'était un instant de trop, c'était l'instant qu'attendait Tom. Il brandit sa hache, la leva bien haut, comme une prière aux dieux de la mort, et l'asséna sur la peau dénudée. Le loup eut un sursaut. Tom ne tomba pas. Il releva l'outil et l'abattît encore et encore, comme si le monstre n'était plus qu'un arbre récalcitrant. À chaque tentative, le sang giclait, l'éclaboussait, lui brouillait la vision, créait un geyser de sang. Puis vint le dernier coup, celui qui trancha la colonne vertébrale. Le monstre s'écroula.

Encore sous l'effet de l'adrénaline, Tom se dégagea, recula de quelques pas et hurla au ciel. C'était un cri de rage mêlé de déception : Jones était mort. Une main se posa sur son épaule. Il se retourna, la fureur au visage. C'était le shérif. Son regard calma le fermier. Ce dernier baissa la tête, comme penaud, fit quelques pas et s'écroula, les fesses par terre, soudain privé de son énergie. Les autres le laissèrent là, allèrent s'occuper du corps de l'éleveur et admirer la taille de la bête. Même pour un loup à dent de sabre, jamais on avait vu un aussi gros spécimen.

— Ça va ? demanda le shérif en lui tendant une flasque de whisky.

— Mieux que Jones.

— Demain, on remballe le camp et on portera son corps chez sa veuve.

— Je suis fatigué, soupira Tom.

— Le contrecoup des batailles. J'ai vécu ça, contre les Pieds Jaunes, dans ma jeunesse. Bois ça, ça te fera du bien. Et repose-toi, tu l'as bien mérité.

La fatigue terrassait maintenant le fermier. Il s'endormit pour un sommeil sans rêve.

Lorsqu'il se réveilla le matin, il remarqua qu'on avait posé une couverture sur lui. Il se releva et prépara son paquetage. Le retour oscillait entre joie et tristesse, entre la réussite de leur mission et la perte d'un camarade. Il était près de midi lorsque la troupe aborda les limites de la demeure des Jones. Lorsqu'ils arrivèrent dans leur cour, sa veuve s'approcha inconsciente du drame :

— Où est Bill ? Il faut que je lui dise que le loup a encore tué une vache ce matin. La noiraude a été tuée entre neuf et dix heures.

Tous se regardèrent, stupéfaits. Le monstre, encore vivant ? Ce n'était pas possible. Il ne pouvait y avoir deux bêtes de cette taille. L'assemblée ne savait pas quoi dire. La veuve reprit, plus inquiète.

— Où est Bill ?

Il fallut bien lui avouer la vérité. Lorsqu'elle comprit, elle demanda d'une voix blanche, à voir le corps. On déposa le brancard à terre. Elle s'agenouilla à ses côtés, passa doucement les doigts contre la joue blanche. Elle ne dit un mot, ne pleura une larme, elle se contentait de caresser encore et encore le visage de son époux. On envoya chercher le curé. On disposa le corps dans la maison, sur la table où on pourrait le laver. Le shérif tapota sur l'épaule de Tom puis lui dit doucement :

— Allons voir cette vache.

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