La blessure du cerf mort

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Le soleil brûlait ses paupières. Il fallait dire adieu à la nuit et au repos, bonjour à la journée et à l'activité. Quoiqu'en terme d'activité, on était plutôt dans une saison creuse, songea Tom en s'étirant. Il y a avait toujours du travail à la ferme, mais, s'il l'accomplissait vivement, il pourrait préserver son après-midi.

Il repoussa d'un geste la lourde courtepointe de plume et remarqua l'absence de son épouse. Pourquoi cela le surprenait encore ? Dès l'aube, elle s'activait pour tenir la maison et nourrir les enfants. Il se leva et s'approcha de la fenêtre en titubant. La veille, il avait aidé les Jones à dégager leur chariot de provision. Chargé comme il l'était, l'essieu s'était cassé, les réparations avaient été difficiles. Ils avaient terminé si tardivement que la Lune les éclairait.

Son dos le tirait encore un peu, ses muscles le brûlaient toujours, comme à peine reposés par la nuit. Il ouvrit la fenêtre pour respirer un peu d'air frais. Sous ce mouvement brusque, quelques pégases s'effarouchèrent et s'envolèrent. L'un, plus familier que les autres, revint après quelques secondes. Il se posa à l'extrémité du toit surplombé par la fenêtre et s'approcha doucement. Tom pouvait entendre le clip clop des minuscules sabots s'approcher. Il hésita : devait-il le chasser ? Ces bestioles abimaient ses tuiles en lâchant leur crottin partout. Certes, ce dernier n'était pas plus grand que des crottes de lapin mais cela pouvait boucher la gouttière.

Le temps qu'il fasse ces réflexions, le petit pégase s'était déjà rapproché de sa main. Il regardait cette dernière avec intensité, comme si cela pouvait faire tomber quelques-unes de ces délicieuses miettes de pain, non loin. Vraiment pas farouche, il se hasarda même à laisser glisser son nez entre les doigts du fermier. Lentement, ce dernier ouvrit le poing :

— Et non, je n'ai rien à te donner.

Tenace, le petit animal parcouru la paume de la main de son museau, posa même un sabot sur sa peau. La soie de ses naseaux et son souffle le chatouillait. Amusé, Tom le laissait faire. Puis, comprenant finalement qu'il n'obtiendrait rien, l'équidé fit demi-tour, trotta sur quelques tuiles, poussa un petit hennissement avant de s'envoler pour se poser sur une branche non loin.

Habitué à ce que ces moineaux fréquentent sa ferme, l'attention du fermier s'était déjà reportée sur ses terres. Les champs qu'il cultivait transformaient la nature en Arlequin : ici, l'orangé des maïs, le rouge du colza. Là-bas, le bleu du blé qui mûrissait doucement sous le soleil de ce début d'été. Mais en face de sa maison, il avait laissé intacte la forêt aux feuilles rouges et dorées. Elle était parcourue par une douce rivière bleue qui donnait tout son charme à l'endroit et rafraichissait la ferme.

En été, comme aujourd'hui, l'atmosphère était délicieusement humide. Cela faisait oublier qu'en hiver, l'endroit vous glaçait les os. Au fond, près de l'horizon, il pouvait apercevoir la ferme des Jones. Entre eux deux, des prairies aux herbes folles et sauvages. Si Jones élevait les plus belles bêtes du comté et gagnait tous les prix d'agriculture aux foires, c'était sans nul doute grâce à cette herbe grasse et nourrissante qui produisait une viande savoureuse.

L'idée lui donna l'eau à la bouche et fit gémir son estomac. Lorsqu'il recula, le vent fit bruisser les feuilles et gémir l'éolienne qui faisait fonctionner le puit. Il songea qu'il pourrait y consacrer son après-midi. Cela faisait longtemps qu'il ne l'avait pas entretenu. Il passa rapidement un jean, des bottes de cuir solide et une chemise à carreaux rouge et blanc. Petite coquetterie, sa cravate bolo : un lacet autour du cou retenu par une broche en argent, offerte par son épouse pour leur premier anniversaire de mariage. Lorsqu'il entra dans la cuisine, il fut accueilli joyeusement par sa femme.

— Bonjour mon amour. Tu arrives juste à temps pour le café. Les œufs et le bacon arrivent tout de suite.

Il s'installa tranquillement à la table, grattouilla le chat de la maison derrière l'oreille, et demanda où étaient passés les enfants.

— Partis vadrouiller dehors. Tu sais bien qu'aux vacances d'été, c'est à peine s'ils rentrent coucher à la maison.

— Ils sont ensembles ?

— Oui, Rick les mène. Il n'y a aucun danger. Ce garçon a la tête sur les épaules.

— Ah ! C'est parce qu'il tient de toi, s'amusa le père de famille en complimentant sa femme.

— Papa !

Rick justement déboula dans la pièce suivi de son petit frère et de leur jeune sœur. Son visage était intrigué, ceux des deux plus jeunes vaguement inquiets.

— Bonjour, fils. Bonne matinée ?

— On était dans la forêt, expliqua Rick sans répondre, on a vu un cerf avec une blessure bizarre. Je n'ai jamais vu ça !

— Vraiment ? Tu peux me la décrire ?

— Il vaut mieux que tu viennes.

— Il doit être loin ton cerf, à cette heure-ci.

— Non, il est mort.

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