Prologue final : L'histoire du Roi-Dieu

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Le Roi-Dieu n’écoutait plus depuis de longues minutes déjà, la concentration n’avait jamais fait partie de ses meilleures qualités. De toute façon son conseiller lui résumerait tout en deux phrases, se perdre dans ses pensées était bien plus passionnant qu’écouter le discours d’un vieil officier en armure.

Depuis combien de temps il ne l’avait pas porté cette armure d’ailleurs ? Le pauvre avait l’air tout serré à l’intérieur, il aurait mieux fait de se remettre au poste.

Le Roi-Dieu remarqua, un peu trop tard, que le soldat avait finit de parler et attendait une réponse. Il se redressa son siège et lissa sa longue robe blanche et dorée, avant de faire signe à son conseiller. Greno Guible se pencha avant de murmurer une courte explication.

— Allez vous pouvoir nous aider monseigneur ?

L’officier portait l’emblème d’Esten sur son armure, il devait faire partie de l’ambassade de ce pays situé bien loin à l’ouest. Selon Greno ils étaient en train de perdre le conflit qui les opposaient à leurs voisins d’Aria, le soldat avait reçu l’ordre de venir quérir l’aide du Roi-Dieu.

— N’avons-nous pas donner conseils aux ambassadeurs d’Aria il y a deux semaines ? chuchota le Roi-Dieu à l’oreille de son conseiller.

— Si monseigneur, mais ils nous proposent trois fois plus que leur voisin.

— Cela ne risque-t-il pas de causer des tensions ? demanda le Roi-Dieu, comme si le sort d’un pays aussi éloigné l’intéressait réellement.

— Si Esten gagne il ne restera personne pour se plaindre.

Le Roi-Dieu sourit, Greno Guible savait comment le convaincre.

— Laissez-moi quelques instants, dit le Roi-Dieu en levant la main.

— Bien sûr monseigneur, répondit l’officier en s’agenouillant encore plus bas.

L’élu ferma les yeux, se laissant lentement quitter son corps et le plan d’existence des simples mortels. Cela lui donnait des frissons au début, maintenant qu’il avait vingt sept ans c’était une corvée comme une autre.

Il vit la salle du trône comme s’il se tenait à six mètres au-dessus du sol, et remarqua qu’il se tenait très mal sur son royal siège. Ses cernes sous les yeux étaient visibles d’ici tandis que ses longs cheveux noirs auraient mérités un peu plus d’attention. Il cessa de s’observer et reporta son attention sur l’officier.

Tout changea autour de lui et il se retrouva dans ce qu’il appelait la « salle du destin ». Tout partait de ce lieu avant d’y revenir tôt ou tard, le temps trouvait son origine et sa fin en face de lui.

Le Roi-Dieu était l’unique personne capable de se trouver dans cet endroit divin.

Il repéra le fil du temps qui l’intéressait et se lança à sa suite, traversant la distance et le temps à toute vitesse. Il arriva en un instant à Esten, en plein milieu de la guerre. Parfois il voyait les évènements se produire sous ses yeux, d’autre fois ils entendaient simplement, mais à chaque fois il savait. Le Roi-Dieu était le temps.

Effectivement, s’ils continuent comme ça ils vont perdre.

Grâce aux conseils qu’il avait lui-même prodigué d’ailleurs, mais cela avait peu d’importance.

Mentalement il modifia le cours des évènements. Cela revenait à se poser la question : que ce serait-il passé si j’avais fait ceci au lieu de cela ? Le Roi-Dieu posait la question, et la salle du destin lui répondait. Plus jeune il devait procéder à une modification, vérifier ce que cela impliquait, puis revenir au point de départ pour tenter une autre approche si cela n’avait pas fonctionner. Aujourd’hui, au sommet de sa puissance, le Roi-Dieu pouvait envisager des dizaines de futurs différents en même temps, sans même que cela ne lui provoque la moindre migraine.

Il lui arrivait de saigner du nez et même perdre connaissance avant.

Au bout de la 46ème modification il trouva un futur satisfaisant pour Esten. Le Roi-Dieu quitta la salle du destin pour revenir dans la salle du trône, a peines quelques secondes s’étaient écoulés dans le monde réel.

— Abandonnez totalement la ville de Segrand, elle n’est pas défendable, dit l’élu tandis que Greno Guible notait les informations. Envoyez une partie de votre armée sur le front du canyon de Sirre et avec le reste lancez une attaque sur leur capitale dans trois jours.

— En… l’officier avait l’air de ne pas oser parler. En êtes-vous bien sûr monsieur ? Segrand est une ville impo…

— C’est votre seul moyen de gagner, oui vous allez connaître de nombreuses pertes, mais aucun autre futur ne vous accorde la victoire.

Le vieux soldat baissa la tête, ébranlé par les déclarations du Roi-Dieu.

— Merci beaucoup monseigneur.

Il le salua une dernière fois avant de sortir accompagné de deux autres hommes en armures. Le Roi-Dieu soupira en s’affalant encore davantage. La salle du trône était enfin vide mis à part lui et ses domestiques, la journée était enfin terminée.

La porte laissa entre trois nouvelles personnes qu’il reconnut sans aucun mal.

Les meilleurs pour la fin.

Les trois membres de la familles Rosenwald s’approchèrent rapidement du Roi-Dieu. Le père et la mère portaient leurs plus beaux vêtements de nobles, leurs armoiries brodés en or rose sur la poitrine. Le fils, Armin peut-être ? Portait lui des habits tout aussi chers, mais d’épais bandages autour de son bras et de sa jambe droite limitaient sa prestance.

Au vu de leurs expressions, ils ne venaient pas pour une visite de courtoisie.

De toute manière, personne n’osait jamais faire de reproches au Roi-Dieu.

— Vous nous avez mentis ! s’exclama Ferid Rosenwald, sa ridicule moustache frétillant sous la colère.

Personne à part les Rosenwald bien sûr, ils étaient trop riches et importants pour ne pas se le permettre.

Greno Guible jeta un regard interrogateur vers le Roi-Dieu, regard qui signifiait à la fois « Qu’avez-vous encore fait ? » et « Dois-je les faire sortir sous bonne escorte ? ». Les deux gardes royaux situés de chaque côté de leur roi s’interposèrent devant les nobles, mais le Roi-Dieu leva une main pour calmer la situation.

Ce n’est sûrement pas ma faute.

— Que me vaut cette visite tardive ? demanda le Roi-Dieu en offrant ce qu’il voulait être son plus beau sourire. Qu’est-il donc arrivé à votre fils ?

— Comment ? s’insurgea la mère cette fois, Belle Rosenwald, dont les cheveux était teint en rose aujourd’hui, était au moins deux fois plus en colère que son mari. Vous devriez être au courant pourtant, c’est à cause d’une de vos visions qu’il s’est retrouvé estropié de la sorte !

— Maman calme toi… murmura le fils, Alpin ?

Oups, c’est bien ma faute.

— Il va falloir être plus précis que cela je vous prie, reprit le Roi-Dieu. Je ne peux pas me rappeler de chaque prédiction que j’ai pu donner. Raconte moi Alsin, que s’est-il passé ?

— C’est… C’est Alwyn monseigneur.

Merde ! On s’en fout de ton nom de toute façon !

Tout en calmant l’agacement qui montait en lui, le Roi-Dieu réitéra sa question, sans se tromper de prénom cette fois-ci.

— Vous avez prédit qu’il gagnerait son duel ! intervint Belle en coupant la parole à son fils. Vous nous aviez assuré qu’il en sortirait gagnant et qu’il n’avait aucune raison de refuser ! Résultat le petit bâtard de la basse ville a utilisé un sort interdit sur mon Alwyn, lui broyant la moitié droite du corps !

— Un sort interdit ? répondit le Roi-Dieu avec un intérêt non feint.

Au vu de sa taille et de la barbe qui commençait à pousser sur son visage de presque adulte, Alwyn devait être soit en sixième soit en septième année. Un simple élève de l’Académie serait parvenu à lancer un sort interdit ? Impossible.

Surtout il était impossible que le Roi-Dieu ne l’ai pas vu, il ne ratait jamais rien.

— Quand le duel a-t-il eu lieu exactement ?

— Il y a deux semaines, deux semaines vous vous rendez compte ? Mon fils chéri est resté évanoui durant tout ce temps, alors que les meilleurs soigneurs de la Cit…

Le temps de fermer les yeux et le Roi-Dieu était de retour dans la salle du destin. Il était encore plus aisé de regarder le passé plutôt que le futur, après tous les évènements s’étaient déjà déroulés, il n’y avait qu’un seul embranchement.

L’homme se retrouva dans l’arène, survolant la piste comme un oiseau de proie. Le combat ne dura qu’un instant, l’autre garçon lança un sort qui n’eut que peu d’effet, avant de frapper la barrière du petit Rosenwald du poing, sans effet.

Qu’espérait-il ?

Le garçon fut repoussé en arrière sous l’effet d’une explosion lumineuse. Le Roi-Dieu fut impressionné par la puissance démontré par Alwyn, à cet âge là peu d’homme pouvait se targuer d’être aussi fort.

Le Roi-Dieu se rappela qu’il avait déjà vu ça, mais dans la vision ne se déroula pas comme dans ses souvenirs. L’autre combattant restait bien au sol, comme prévu, mais une aura sombre presque invisible à l’œil nu apparu autour du bras droit d’Alwyn. L’instant d’après os ressortait tandis que son membre formait un angle à quatre vingt dix degrés dans le mauvais sens. Un sort de gravité ?

Impossible, il n’avait pas vu ça dans sa vision, cela n’aurait jamais dû arriver. Le Roi-Dieu était le seul à pouvoir voir l’avenir, mais aussi le seul à pouvoir l’influencer. S’il n’agissait pas, une fois qu’il avait eu une vision elle ne pouvait que se réaliser.

Impossible.

Le Roi-Dieu rouvrit les yeux et se rendit compte que Belle Rosenwald était toujours en train de parler.

— Raccompagne les Rosenwald chez eux, ordonna l’élu à Greno Guible.

— Comment ? explosèrent le père et la mère. Vous ne pouvez pas nous traiter comme ça après ce qu’il vient de se passer !

— Bien sûr que je peux. J’ai l’impression que vous oubliez que vous parlez au Roi-Dieu.

— Mais... mais… !

— Où est l’autre étudiant ? demanda-t-il en se levant de son trône.

— Quoi ? Il est en prison pour son acte illégal, mais quel est le rapport ?

— Lui est enfermé, votre fils est ici devant moi. C’est comme s’il avait gagné finalement, ma prédiction était donc vraie.

Le Roi-Dieu tourna les talons pour se diriger vers sa chambre, à chaque pas les cris de colère des Rosenwald diminuait de volume.

Quelque chose cloche, le futur ne peux pas changer.

Le Roi-Dieu faisait en sorte de ne pas regarder son propre futur, à part en cas d’extrême urgence. Il ne voulait pas connaître chaque seconde de sa vie, sinon autant en finir tout de suite. Néanmoins ce qu’il venait d’arriver avait réveillé en lui une peur ancienne, qu’il avait refoulé au plus profond de lui depuis qu’il savait penser.

Il rentra rapidement dans sa chambre et se plongea dans la salle du destin, cette fois-ci il suivit le fil du destin qui sortait de sa poitrine, un an dans le futur. Il flotta dans un tunnel noir pendant un temps qui lui parut bien trop long.

Mais bordel que se passe-t-il aujourd’hui ?

Il avança encore pendant longtemps, avant de réaliser. Il était déjà arrivé à destination, s’il ne voyait rien c’est qu’il n’y avait pas de futur. Le Roi-Dieu revint doucement en arrière, cinq ans plus tard il ne voyait rien, deux ans non plus.

Pitié combien de temps me reste-t-il ?

A contrecœur il recula davantage. Dans un an la salle du destin était toujours un néant complet, vide de tout évènement, puis soudain la lumière revint.

Six mois dans le futur, le jour de ses vingt-huit ans. Il se vit debout dans la grande salle de banquet du palais royal, il était en train de prononcer un discours, puis plus rien, tout était noir de nouveau.

Sentant la nausée s’emparer de lui, il reprit le contrôle de son corps et couru sur le balcon de sa chambre. Ne pouvant se retenir davantage il vomit copieusement par-dessus la rambarde, pendant de longues secondes son corps fut parcouru de douloureux spasmes.

Non, non pas si tôt…

Le Roi-Dieu releva lentement la tête, pour se retrouver face à se paysage qu’il connaissait si bien. La Cité-Monde, sa ville, s’étendait à perte de vue. Les gigantesques bâtiments en côtoyaient de plus modestes, d’aussi loin même la basse ville avait l’air belle. Du haut du palais il pouvait même apercevoir des paysans travailler dans les champs qui entouraient la ville, comme des petits points au loin.

La Cité-Monde était la plus grande ville du monde, la plus puissante créature de cette planète.

Mais dans six mois, le Roi-Dieu allait la quitter pour toujours.

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