À la recherche des Larmes des Anges

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« Les Larmes de l'Ange sont un artefact magique d'une très grande puissance, capables dit-on, de condamner l'humanité à se cacher pour l'éternité des rayons du soleil, et ainsi à s'éteindre progressivement. Moi, la Démone Griselda, au nom de mon maître Lucifer, ai pour mission de récupérer ces objets avant qu'un accident aux conséquences dramatiques n'ait lieu. Pour ce faire, mon Roi m'a autorisée à sortir le cheval noir de l'Apocalypse, Famine, afin d'éviter cette catastrophe à tout prix, et de récupérer ce qui avait été perdu par Dieu et ses anges durant les nombreuses Guerres saintes. Je jure sur mon épée qu’aucun mal inutile ne sera fait aux habitants de cette planète, à moins qu’ils ne m’y obligent. »

Des rires éclatèrent tout autour d’elle, tandis que les policiers se demandaient quelle quantité de produits illicites ou d’alcool la femme en armure juchée sur le bar devait avoir ingurgité pour arriver à rester sérieuse et à insuffler autant de certitude dans ses mots, alors même qu’ils n’avaient aucun sens et qu’elle portait une tenue si inappropriée.

« Allez, madame, descendez de là, vous avez assez bu, je pense !, s’exclama l’un d’eux, fatigué de devoir traiter ce genre de cas.

- Ouais, descendez sinon l’bon Dieu y va s’fâcher !, hurla un ivrogne avant d’éclater d’un rire gras.

- Carole, emmène-moi tous ceux-là en cellule de dégrisement et demande des renforts. C’est pas la première fois que je dois faire évacuer un bar parce qu’il y en a un qui s’est bien imprégné, mais celle-là à l’air d’être vraiment armée, regarde ce qu’elle a à la taille… Je vais essayer de la faire souffler dans le test, mais je ne te promets rien, d’accord ?

- D’accord. Mesdames et messieurs, je vais vous demander de bien vouloir me suivre à l’extérieur du bâtiment afin que nous puissions vous mettre en sécurité, il se pourrait qu’elle présente un danger. Je vais vous demander de sortir en silence et dans le calme, afin d’éviter tout mouvement de panique.

- Et pis quoi encore, hein ? Tu voudrais pas qu’on vienne dans ton lit non plus, hein ?

- Outrage à agent, monsieur. Vous sortez, maintenant. »

Tout en continuant à marmonner dans sa barbe, l’homme obtempéra. Tous sortirent, tandis que le policier gardait celle qu’il prenait pour une folle à l’œil. Elle voulut descendre de son perchoir pour suivre les autres, mais il l’en empêcha sans un mot. Il posa la main sur la crosse de son arme et la regarda avec un air de défi.

« Veuillez m’excuser, mais je ne comprends point pourquoi, lorsque j’obtempère, vous me menacez. C’est une hérésie, vous m’entendez ? Je vous prierai de bien vouloir m’expliquer la raison de vos agissements. Mon sieur, c’est une grave erreur que vous commettez. Je ne suis pas ici, sur ces terres, pour vous blesser ou vous déranger, je cherche deux joyaux, voyez-vous, deux magnifiques boucles d’oreilles en nacre qui représentent un très grand danger pour votre genre, et j’ai été envoyée afin de vous en garder…

- Madame, si vous voulez bien souffler là-dedans, après je vous laisserai sauver le monde, promis, mais d’abord, si vous pouviez me faire cette faveur… »

Elle ne lui lança pas le regard fou qu’il avait imaginé, au contraire, mais elle observa avec curiosité l’éthylotest qu’il lui tendait.

« Voilà, vous mettez ça dans votre bouche, et vous soufflez longtemps, voilà, très bien. Voyons voir… Non, c’est pas possible, attendez, il y avait un problème avec celui-ci, sûrement un défaut de fabrication, prenez celui-là et refaites la même chose, d’accord ? »

Il récupéra le deuxième et cligna plusieurs fois des yeux.

« C’est pas possible, dîtes… Vous avez bu ?

- Moi ? Jamais ! J’ai bien trop souvent vu ces personnes disgracieuses aux Enfers pour risquer ma vie avec une seule goutte de ce poison sophistiqué !

- Vous avez fumé, alors ? C’était quoi ? Du cannabis ?

- Quelle honte ! Mais qu’est-ce donc que ces accusations ? Je ne suis ni une ivrogne, ni une de ces créatures pitoyables qui se traînent aux Enfers, et qui ont vendu leur âme au Diable pour un peu de ces substances ! Faîtes donc attention à ce que vous dîtes, mon sieur ! Moi, une démone du plus haut rang, me laisser asservir par les plaisirs terrestres ? Plutôt être bénie !

- On verra ce que dira l’analyse toxicologique, venez, suivez-moi. Ah, Carole ! Tu tombes bien, je sais pas ce qu’elle a pris la vieille, mais c’est pas de l’alcool, et elle me soutient que c’est pas de la drogue non plus, je crois qu’elle a plus toute sa tête, elle continue sur cette histoire de… Quoi, qu’est-ce que c’est que cette tête ?

- On… On a retrouvé un cheval sur le parking, balbutia-t-elle. Un cheval… Très grand… Plus grand… Plus grand que moi… Et squelettique… Les experts sont formels… Ils n’ont jamais vu ça… Et je sais pas qui a appelé le chef, ils veulent qu’on laisse la démone où elle est, ils disent qu’elle va bien et qu’il faut juste les laisser lui parler…

- Attends… Quoi ? C’est quoi cette histoire ? »

À peine avait-il fini sa phrase que dix hommes en costume noir et lunettes de soleil faisaient irruption dans le bar, encadrant ce qui semblait être un gros bonnet administratif maigrelet, dont le visage était dissimulé en partie par de grosses lunettes qui reflétaient la lumière que répandaient les ampoules au plafond. Les gardes du corps restèrent sagement derrière leur chef, qui leur fit signe de l’attendre sans bouger. Certains parurent vouloir protester, mais l’homme s’assit au bar, commanda une bière, et commença à parler à la femme.

« Griselda, c’est ça ? C’est ce que vous avez dit à ceux qui étaient là, je me trompe ?

- Vous ne vous fourvoyez pas, mon sieur, c’est bien mon nom.

- Et vous cherchez les Larmes des Anges, les boucles d’oreille de nacre perdues au Moyen-Âge pendant les guerres de religion ?

- Oui, cependant permettez-moi de vous reprendre. Ces bijoux ont été perdus pendant les guerres saintes, quelque part dans les environs. Mon devoir est de les retrouver afin de les remettre dans des mains qui ne chercheront pas à s’en servir, puisqu’il semblerait que la famille qui en avait la garde ait brisé le pacte.

- Vous connaissez son nom ? Je peux peut-être vous aider, vous savez…

- Si vous en avez les capacités, ce sera avec grand plaisir, cependant, je préfère vous avertir : cette quête est la mienne, et moi seule peut toucher ces joyaux sans risquer de commettre l’erreur qui vous coûterait votre vie à tous. Si vous pouviez simplement m’aider à localiser une certaine Mathilde Marcin, je vous en serais grandement reconnaissante.

- Mathilde Marcin, vous dîtes ?

- C’est exact, elle est nutritionniste et aime particulièrement les mirabelles, ou du moins est-ce ce qu’elle a écrit pour délier les liens qui unissaient sa famille au Diable.

- Vraiment ? Eh bien, peut-être qu’un ami pourra me fournir un accès à sa localisation, si vous voulez bien patienter quelques instants…

- Vous m’en voyez navrée, mais je dois me mettre en chasse au plus vite, j’ai déjà trop tardé… Si jamais par hasard… Oh, si cette Mathilde pratique le saphisme, vous êtes déjà condamnés ! Restez à l’abri du soleil, au moins le temps que je m’assure que ce n’est pas le cas !

- Attendez… Le quoi ? »

C’était déjà trop tard, la guerrière en armure s’était déjà mise en selle et partait pour une folle chevauchée dans la nuit, à la recherche d’une femme qui pouvait avoir déjà condamné l’humanité à disparaître. Ses recherches furent vaines, mais elles permirent au moins à sa monture de s’étirer un peu et de hennir assez fort pour indiquer à ses collaborateurs où elle se trouvait.

Alors qu’elle était à nouveau rejointe par le bureaucrate, elle ne put s’empêcher de remarquer quelque chose d’étrange.

« Si je puis me permettre, comment saviez-vous pour les Larmes ?

- Ah, votre patron, pardon, le Roi des Enfers nous a envoyé un message pour nous prévenir de votre venue, mais on a eu un peu de mal à le déchiffrer, et on a pas tout compris… En quoi est-ce que ces… ces choses sont dangereuses ? Et quel rapport avec les lesb… pardon, avec les sophistes ?

- Il suffit que l’une d’elle entre en contact avec l’un des bijoux pour que la malédiction s’accomplisse… Une terrible malédiction, vraiment, qui vous ferait brûler de l’épiderme jusqu’aux os d’un simple rayon de soleil…

- Pas très réjouissant, effectivement… »

Il lui tendit une tablette sur laquelle deux points brillaient au milieu d’une carte. Il dut prendre un peu de hauteur et monter sur le capot d’une voiture pour se mettre à sa disposition et lui expliquer ce que signifiaient ces points et pourquoi il la lui donnait.

« Vous voyez, ça c’est vous, et ça c’est Mathilde Marcin. Vous avez juste à la rejoindre, à récupérer ce qui vous appartient et à rentrer chez vous, d’accord ?

- Très bien. Je vous remercie de votre coopération, sachez que j’en ferai grand cas auprès de mon maître, si vous souhaitez rejoindre ses rangs, je me ferais une joie de vous accueillir ! Sur ce, je vous souhaite une longue et belle vie, pleine de péché et de repentir ! »

Elle talonna sa monture, qui bondit vers l’avant, et le point qui la représentait se déplaça dans la même direction. Elle ne put s’empêcher de sourire. Vraiment, l’humanité avait fait d’immenses progrès depuis sa dernière venue… Mais ce n’était pas le moment d’y penser, elle lança sa monture dans un virage en épingle et la pressa. Le point s’éloignait peu à peu d’elle, mais s’arrêta non loin d’un bois. Elle y serait bientôt, si elle continuait comme ça…

Il lui fallut prêt d’une heure à vive allure, mais Famine n’en était pas à sa première mission, loin de là. Elle avait accompagné tellement d’âmes sur les rives de la mort que plus rien ne pouvait l’épuiser… Ce n’était qu’une promenade de santé à vive allure, voilà tout.

« Ah, vous voilà mademoiselle Mathilde Marcin, soupira la guerrière. Je vous prie de bien vouloir… Ah, mais ça ne va pas du tout, cela, non… »

Une silhouette se découpait à la lisière du bois, auréolée d’une lumière blanche presque éblouissante. De larges marques, semblables à des griffures argentées, brillaient sur le corps d’une jeune femme aux yeux étrangement vides et brillants. Ce phénomène n’effraya pourtant pas celle qui devait devenir son adversaire.

« C’est le Diable qui t’envoie, n’est-ce pas ?, cracha-t-elle hostilement.

- C’est vrai. Les humains sont-ils tellement faciles à corrompre, Dieu, que tu te décides enfin de jouer avec eux ? Donne-moi les Larmes avant de te détruire.

- Sinon quoi ? Tu feras déferler sur les Cieux l’armée des Enfers ? Tu crois que tu m’effraies ?

- Dieu, ne joues pas avec ta vie et donne-moi ça, que Diable ! Tu ne sais pas ce que tu fais, ce n’est pas un jouet !

- Ils ne croient plus en moi ! Ils me détestent tous ! Ils doivent périr ! De ma main ou de la leur, qu’est-ce que ça change ?

- Tu n’es pas le Diable, bon sang ! C’est à lui de sonner l’heure du Jugement Dernier, sans lui je te rappelle que tu serais encore en train de chercher les hommes parfaits ! Donne-moi ça ! Arrête, ce n’est pas un jeu ! Tu ne peux pas jouer avec la vie de ton peuple comme si ça ne t’atteignait pas ! Tu sais aussi bien que moi que s’ils disparaissent, nous aussi ! Tu veux disparaître ? Tu veux détruire le miracle que tu as toi-même provoqué ? Donne-moi les Larmes des Anges, maintenant ! »

La silhouette brillante perdit brutalement son éclat, et un rayon de lune fit scintiller quelque chose, dans l’herbe. Dans un claquement métallique, la démone glissa à bas de sa monture et se jeta sur les deux bijoux qui traînaient par terre. Elle soupira et secoua la tête.

« Vraiment, ces Dieux, ce sont tous les mêmes… Ils n’ont d’yeux que pour ceux qui croient, et si on les ignore, ils font des caprices… Ah, quand je vais raconter ça à Lucifer… Viens, Famine, on rentre. »

Elle attrapa les rênes et, sans un bruit, disparut dans la nuit.

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