III

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 Pour la dixième fois, Tograz relut la lettre à voix haute, comme pour se rappeler sa présence :

À mon mari et à mes deux filles.

Ceci est ce que je veux vous dire avant que je rejoigne Jonathan.

À toi, Tograz, mon mari et Roi, je voulais te dire pardon. Pardon pour cette tristesse que j'ai eu. Tu m'avais dit de ne pas pleurer, de rester forte, mais je n'ai pas pu le faire. Pardon pour cela. Ce n'est pas à cause de toi et de cette froideur que tu avais pour rester en vie. Non ! C'est à cause de notre fils et de sa mort que je suis morte au moment où tu lis cela.

À vous, Divitia et Potentia, mes filles chéries. Vous aviez mainte fois essayé de me consoler mais, malheureusement, cela fut vain. Vous aviez essayé de me redonner espoir mais je suis désolée que toute lumière de ce si bon breuvage de vitalité était éteinte. Désolé, encore une fois, pour cela. Mais, mes filles, restez en vie, riez, soyez heureuses. Faites-le pour moi, je vous en supplie.

Je suis vraiment désolée pour tout. Vivez. Faites-le pour moi. Vivez, vous tous. Je vous dis adieu car, maintenant, l'heure est venue pour moi de vous quitter par moi-même.

Ellen

 La tâche de sang sur cette lettre voulait dire que celui ou celle qui avait écrit cela allait tenir sa parole. Elle l'avait fait : elle est morte par elle-même.

 Le Roi était seul dans sa chambre. Il avait besoin de cette solitude...

 Son fils... et maintenant elle... Et cela en l'espace de quelques semaines ! Il ne manquait plus que ses deux filles se fassent enlever, torturer, violer, assassiner... Mais il ne fallait pas penser à cela ! Mais à quoi, alors !?! À rien !?! Il avait essayé mais il n'y arrivait pas ! Une seule autre chose lui venait à la tête : se femme ! Il n'arrivait pas à y croire ! Enfin, si, il y arrivait ! Mais il ne voulait pas ! De tout son cœur il ne voulait pas ! Mais il n'arrivait pas à ne pas y croire ! Il avait essayé... Et voilà que des larmes coulaient sur ses joues ! Lui qui s'était retenu pour son fils, voilà qu'il le faisait pour sa femme ! Il avait craqué ! Il n'en pouvait plus ! Il sanglotait bruyamment ! Puisqu'il avait craqué, il en profita pour pleurer son fils aussi ! Il était tour à tour assis sur son lit, debout, devant la fenêtre ! Il se cognait la tête contre le mur en hurlant pour lui-même que ce n'était pas vrai !

 Puis, il relisait la lettre !

 Et des mots le frappèrent dans sa folie furieuse : C'est à cause de notre fils et de sa mort que je suis morte au moment où tu lis cela.

 - À cause de lui... C'est à cause de lui ! C'est à cause de toi, bâtard, qu'Ellen est morte ! C'est à cause de ta bêtise que tout est arrivé ! Tout cela est à cause de toi !!! Oh ! Mais ne compte pas sur le fait que tu sois mort ! Je me vengerais ! Moi ! Moi et Ellen ! Et je sais comment je vais faire cela !!!

 Il ordonna que l'on fasse oublier Jonathan de l'Histoire ! Tout ce qui parlait de lui, il ordonna de le détruire ! Il brûla les livres, menaça de mort les ménestrels et tous les autres artistes ! Et si quelqu'un parlait de Jonathan, ne serait-ce que dire son seul nom, il le ferait exécuter !

 Comme c'était facile de cacher la vérité !

 Il demanda qu'on lui forgea un marteau en métal très résistant... Et il y mit le prix ! Une fois qu'il l’eut, il commença à se diriger dans la crypte familiale ! Mais les deux jumelles savaient ce qu'il voulait faire... Elles le savaient et étaient devenues folles de désespoir face à la folie de leur Roi ! Face à la folie de leur père...

 - Non ! cria Divitia.

 - Ne faites pas cela ! cria Potentia.

 - Et pourquoi ne le ferais-je pas ! hurla-t-il comme un dément. C'est votre frère, la cause de tout ! Il ne mérite RIEN de mieux ! C'est même votre mère qui l'a écrit !

 Ils étaient arrivés près de la tombe du défunt héritier ! Potentia s'écria :

 - Mais elle nous a aussi demandé de vivre !

 - Et ce que vous faites est en train de vous faire mourir ! hurla à son tour en un énorme sanglot Divitia.

 - Mourir ? Mourir !?! Je ne me suis jamais senti aussi vivant !!! Maintenant, poussez-vous !

 Il jeta ses filles sur le côté ! Puis, il leva bien haut son marteau !

 - Noooooon ! firent d'une même voix les jumelles.

 Mais trop tard ! Tograz le Grand, sous sa folie, mit toute sa force dans le coup ! Le bruit de pierre se brisant fut insupportable ! Autant que les cris du Roi qui, en frappant encore et encore plusieurs fois la tombe et en la détruisant, hurlait et fracassait avec autant de rage que lorsqu'il était en pleine bataille avec un marteau de guerre et qu'il s'acharnait sur le crâne d'un malheureux qui eu le malheur d'être son ennemi au lieu de son allié ! Et ces hurlements, et ces fracas, et cette folie furieuse... Tout cela résonna dans la crypte parmi les morts ! Et tout cela résonna dans la crypte parmi le Roi et ses deux filles... Et seulement ces vivants...

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