Cher rêveur

5 minutes de lecture

Cher rêveur,

Il fait un froid de fou ici, il pleut depuis ce matin. Je n’en peux plus de ce ciel grisâtre, pleurnichard, qui ne présage rien de bon. J’ai toujours préféré que le soleil embrasé me dévisage de haut, tempérant ses rayons et me brûlant la nuque. Cela change. Parce que je change. Parce que le monde est une mouvance continue. Je ne puis empêcher le ciel de pleurer notre sort, alors nous versons conjointement nos larmes. Il fait froid. Il pleut. Mais le monde est étrangement beau en ce lundi matin, tapi au fond de mon balcon, regardant les nuages bouger et les arbres danser au son de cette symphonie universelle. Composée par un million de klaxons de voitures, les bruits des machines de construction et les claquements des portes ouvertes et fermées par le concierge de ma résidence. Et il pleut encore, et je me sens presque pénétré par un amour divin, quelque chose de vital en moi se réveille pour écrire. Belle matinée.

Mais sais-tu seulement pourquoi je t’écris ?

Si tu trouves une réponse, n’hésite pas à m’en faire part.

La vérité est que cette belle matinée ramène avec elle son lot d’espoir. Et l’espoir est immense, l’espoir est primordiale. Il est important de retrouver l’espoir quand on l’a perdu pendant si longtemps. Que ce soit lors d’une brève randonnée matinale improvisée, en plein cours à huit heures du matin, ou au fond de son balcon du quatrième étage. Une amie me répétait que l’espoir fait vivre, si jeunes que nous étions. C’était une sorte de mantra pour nous et tous ces jeunes qui nous ressemblaient, perdus entre les habitudes du passé et les promesses de l’avenir, un de ces moments où nous cessions d’être des spectres et que nous rêvions de changer le monde. Elle voulait devenir peintre. Je voulais devenir écrivain. Nous avons réussi selon tous les critères sauf les nôtres.

Un croissant de lune. Un oiseau mécanique. Une guêpe frénétique. Pourquoi je t’écris ?

Je n’ai pas envie de te raconter ma vie, mais c’est tout ce qu’un chroniqueur peut faire pour se soulager et pour essayer de trouver une morale à son histoire.

Et la morale à mon histoire ? Encore inconnue, indéchiffrable et peut-être même inexistante. Toutes les histoires ne sont pas censées être spéciales. Quelques unes se doivent d’être banales et médiocres afin de restituer son équilibre à ce monde. Mais je t’écris peut-être pour trouver une seule réponse à plusieurs questions. Te rappelles-tu de cette amie dont je t’ai parlé ? Je suis persuadé qu’elle peint toujours, comme moi j’écris toujours. Entre deux cours, à la fin d’une journée tumultueuse, pour ranimer le temps libre. Mais une passion ne se vit jamais à moitié, d’une façon si médiocre et clandestine. Entre deux tâches ménagères, entre deux minables cours, ou durant cette brève demi-heure qu’il nous reste avant de dormir. Une passion est censée t’embraser, te dévorer, t’animer, te rendre vivant, t’éclairer, t’accompagner, t’épouser. Vous êtes censés ne faire qu’un mais vous ne l’êtes pas car cette société a plus besoin d’un architecte que d’un chanteur, d’un médecin que d’un peintre, d’un professeur que d’un écrivain, d’un ouvrier que d’un acteur. Mais oserais-tu rêver ? Maintenant que la nuit est plus sombre que jamais et que le tunnel semble infranchissable ? Saurais-tu trouver cette boule de lumière, cet espoir vivant dans chacun de nous ? Rêve. Le rêve n’est pas une illusion, mais une représentation qu’on s’adresse, une aspiration qu’on schématise. Un jour, j’aurai quarante ans, étouffé par une cravate hideuse derrière un bureau que j’abhorre. Je laisserai tomber le monde et irai vivre ma passion en ermite. Seul, sans distractions, mon stylo et moi face au monde.

Mais pourquoi je t’écris ? Je n’en sais rien mais peut-être que toi si.

Rêve. C’est la dernière issue face aux courants qui s’entrechoquent. Et je pose le stylo et le reprends. Et j’écarte les rideaux pour respirer l’odeur de la vie. La mienne. La tienne. Et de tous les désemparés.

Rêve. Mais n’en reste pas là ! Que ton rêve devienne lumière. Eclaires-en les abysses des ignorants. Sois l’oeil qui regarde, qui remarque, qui s’enchante. Sois l’oreille qui écoute, qui retient, qui se tend. Sois la main qui touche, qui effleure, qui caresse. Sois le pied qui marche, qui court, qui découvre. Et sois le coeur qui bat, qui aime, qui s’élève. Sois toi-même, et rêve ! Dénude-toi et débarrasse-toi de ces illusions sociales et de ces discours défaitistes qui deviennent une monnaie courante chez-nous. Débarrasse-toi du mektoub. Le mektoub est l’excuse des faibles. Qu’est-ce qu’il nous resterait à écrire, à voir et à découvrir si tout était déjà écrit ? Dis-toi que la vie est tienne, sans passé ni futur. Il n’y a que le présent qui existe. Tu es l’enfant d’aujourd’hui. Tu nais et renais. Débarrasse-toi des angoisses du passé et des attentes du futur. Vis le jour pour le jour, pour toi, pour tes rêves, pour ce deuxième pas que tu n’as jamais réussi à faire. Ceux qui rêvent ne dorment jamais. Reste alors éveillé et laisse les images du monde t’encombrer. Car tu n’es ni l’enfant de ta maison, ni celui de ton quartier, ta ville ou ton pays. Tu es l’enfant du monde et le monde t’appartient. Le monde avec toutes ses langues, toutes ses images et toutes ses odeurs. Crée, pour franchir les frontières. Crée, pour que ta voix sois entendue. Crée, pour posséder le monde.

Mais pourquoi je t’écris donc ?

Je ne le sais point, peut-être ai-je seulement besoin de te parler, de me parler.

Ose rêver, et ne te censure jamais pour faire plaisir au monde. On n’emprisonne pas un oiseau déjà dans le ciel, alors déploie tes ailes et envole-toi. Arrête de crier au malheur, arrête de dire que le système est corrompu, arrête de pleurer un pays foutu. Car tes droits ne te seront jamais donnés, tu vas devoir les arracher. Vis par tes propres principes et valeurs, pas ceux des autres, pas ceux de la société. Et crée, crée pour te libérer. Ta vie devrait être ton plus beau rêve, car rien n’est définitif sauf la mort. N’aie pas peur de changer, n’aie pas peur de grandir. Mais conserve toujours ce sourire espiègle de petit enfant rêveur. Ce sourire, ne laisse pas le désespoir en avoir raison, ni le malheur l’envelopper, ni le temps le tuer. Rêve et ne perds jamais espoir. Ni en toi-même, ni en l’avenir. Sois aussi rigide qu’une montagne et aussi changeant qu’un océan. Délaisse-toi des critiques et du jugement, ne rejoins pas le moulin défaitiste.

Cher rêveur, pourquoi je t’écris ?

J’écris à moi, en pensant à toi.

Annotations

Vous aimez lire zolasoffspring ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0