18

6 minutes de lecture

Simon

Nous avions sacrifiés un jour de permission afin d’être présents ce jeudi matin dans ce petit café de Marseille. C’était le genre d’établissement d’habitués où la présence de nouvelles têtes relevait du miracle, tout comme une remise à neuf. Le percolateur était poussif, les tables rayées çà et là, et la déco typée années quatre-vingt mais pas dans une tentative de revival.

Notre groupe était quelque peu isolé par rapport aux autres. Ils étaient tous rassemblés autour de ma personne, ceux m’ayant aidé dans mes investigations sur Hamed : Lucas, Thomas, et même Vincent en me révélant qu’il constituait une fausse piste.

Son aide étant involontaire Didier ne comptait pas. D’accord j’étais un peu de mauvaise foi à son sujet. Je n’avais tout simplement pas envie de me le supporter surtout aujourd’hui.

La dernière pièce manquante nous rejoignit à son tour : Justine.

Qu’est-ce qu’elle faisait usée malgré ses vingts ans. Aucune ride ne trainait sur son visage. Son corps faisait également bonne figure dans le genre athlétique.

Tout provenait de cet air triste. Il lui donnait l’impression de n’être qu’un long soupir.

Thomas tenta de lui proposer de s’assoir, un geste humain et un peu naïf. Le but de cette femme n’était évidemment pas la causette.

Malgré le cliché du gentil couillon lui collant à la peau, j’ai toujours soupçonné Thomas d’en savoir plus qu’il ne le laissait paraitre.

D’après Guillaume il s’était renseigné peu après mon coup de fil pendant sa vigipirate. Thomas avait certainement dû faire quelques rapprochements. Sans doute le tact le poussait à garder le silence.

Justine demeurait immobile à nous observer. D’une certaine façon elle me faisait peur. Elle avait tant de raisons de m’en vouloir.

« Tu viens faire un tour. » Me dit-elle.

Il était évident que cet instant allait venir.

Justine avait laissé son fils entre les mains de ses amis au café. Pourquoi diable l’avait-elle amené ? Il devait avoir deux ans à tout casser. Que pouvait-il y comprendre ?

Je suppose que c’était par principe. Un peu comme la présence de Vincent et de Thomas, qui connaissaient à peine Hamed. Moi aussi remarque, mais c’était un peu différent du fait de mon implication.

On fit quelques pas. Marseille avait toujours cette image d’agitation, de conducteurs gueulant à chaque carrefour, de vendeurs à la sauvette dans les ruelles.

Et bien notre rue était complètement déserte. Comme si la ville elle-même respectait notre besoin d’intimité.

Alors que je cherchais des excuses ou au moins des mots de consolation, elle balança la fameuse question de manière brute. Je crois qu’elle en avait tout simplement marre, et voulait en finir au plus vite.

« Alors ton enquête, t’y as appris quoi ? »

Qu’est-ce que ça pouvait bien lui foutre à présent ! Le corps de son mari avait été découvert dissimulé dans un bois à proximité de Toulon, il y a quelques jours.

Les gendarmes à force de recoupements et de techniques scientifiques, étaient parvenus à ce résultat. Il fallait s’y attendre que la fin de l’histoire soit apportée par les vrais professionnels

De mon côté je n’avais même pas eu le temps d’interroger, les fameux amis d’Hamed. De toute façon d’après ce que nous venions d’apprendre, ça n’aurait servit à rien.

Justine agissait encore je suppose, pour les mêmes raisons la poussant à emmener son gosse assister à un enterrement, dont il ne garderait aucun souvenir. C’était son choix après tout.

« J’ai une explication pas très claire, et pas de preuve. » Expliquais-je en guise d’avertissement.

« Je m’en contenterais. »

J’essayais que mes conclusions ne soient pas aussi brouillonnes que mes investigations. A vous de juger.

« La date de la mort approximative d’Hamed que les gendarmes t’ont donné. Elle correspond à une autre mais par overdose, celle d’un certain Osman.

Il faisait partie d’un groupe de connards de Malbousquet, le camp disciplinaire. Ils se shootaient tous avec une drogue frelatée. Lorsqu’Osman est mort à cause d’elle ils ont cachés le corps.

Puis après ils ont voulu retrouver le dealer.

Avant ça Hamed s’est retrouvé mêlé au décès d’Osman ou à sa dissimulation. Il a peut-être surprit une conversation sans le vouloir.

Seulement ils ne lui faisaient pas confiance. Alors ils se sont occupés de lui plus tard. C’est pourquoi les corps n’étaient pas cachés au même endroit. »

Aurais-je pu y mettre plus de tact ? Je ne crois pas que c’était possible étant donné la situation.

Justine accusait le coup. Mon rapport ne contenait aucun détail choquant sur le décès de son homme. La cause se suffisait à elle-même. Un hasard malencontreux et quelques salauds, il n’en avait pas fallu plus pour supprimer une vie.

La pauvre veuve atteignait ses limites. Elle parvint tout de même à baragouiner un remerciement d’après ce que j’en saisis. Comme si je le méritais.

Elle demeura quelques instants silencieuse avec moi à ses côtés ne sachant pas quoi faire.

La main sur l’épaule, la prendre dans mes bras, dire que j’étais désolé, dire qu’Hamed était un type bien….

Aucune de ces banalités ne me parut adéquate.

Puis Justine reprit la parole, et s’engagea un dialogue banal purement informatif. Nous n’étions pas en état de faire mieux.

« Bon je vais y aller. »

« Et ton gamin ? »

« Je me suis arrangé. Samira la grande brune au bar, le gardera cette nuit. J’ai besoin d’être un peu seule. Tu remercieras Thomas et Vincent de ma part. Ah et salut Richard aussi. »

« Richard ? »

« Oui un appelé roux et barraqué. »

Mon regard me trahit. Encore un plantage à mettre de plus sur mon compte. Nous pensions en avoir fini. Et voilà que je devais révéler une horreur de supplémentaire. Je ne disposais pas de la force nécessaire pour mentir ou me taire face à Justine.

Tout d’abord elle me procura des éléments confirmant l’évidence qu’il s’agissait de Michaël, et éclaira par la même occasion quelques points restés obscurs.

Michaël m’avait apparemment entendu citer Hamed lors de la sortie vengeresse, et également comprit que j’étais un appelé.

Peut-être qu’un de ses potes emprisonnés étaient parvenus à le contacter et à l’informer sur ce dernier point. Ou alors mon crâne rasé l’avait mis sur la piste.

Quoiqu’il en soit il remonta comme moi jusqu’à Justine.

Ensuite il endossa le rôle d’un appelé cherchant quelques camarades croisés pendant ses classes dont moi. Justine pensant bien faire lui fournit, ce qu’il désirait : mon identité précise et l’endroit de mon affectation.

C’était comme si Michaël venait de me foutre une branlée.

Il m’avait retrouvé si facilement recherché par les forces de l’ordre sans les conseils d’un Didier, et à ma connaissance sans expérience dans le milieu de l’investigation. Mon petit égo dégustait une fois de plus. Puis Justine me ramena à la priorité. Elle avait donné, maintenant elle était en droit de recevoir.

Et pas de « oh c’est personne. » après toutes ces questions.

Je décidais une fois de plus d’aller à l’essentiel. C’est le regard fuyant et le timbre cafouillant que j’annonçais la vérité, et encore de manière détourné.

« Il est de la bande de connards. Il n’appréciait pas que j’enquête. Il m’a attaqué avec un couteau. Et… »

Justine finit ma dernière phrase si pénible.

« Et Hamed est mort d’un coup de couteau. »

Une fois ces mots prononcés elle s’appuya sur mur. Elle venait tout de même d’apprendre, qu’elle avait accueilli chez elle l’assassin de son mec.

« Où est-il ? » Demanda-t-elle avec une rage soudaine.

« En taule. » Je fus content de répondre.

Qui sait ce que Justine aurait été capable de faire sinon.

« C’est bien. » Dit-elle.

La tension retomba un peu.

J’eus droit alors à un regard reconnaissant. Elle croyait à un acte volontaire de ma part, et non pas un plan improvisé par Tarek. Bien entendu je culpabilisais. Mais il ne valait mieux pas en rajouter de mon point de vue.

« Et le couteau ? La police le détient ? »

« Non. On l’a laissé sur place. »

Justine ne m’engueula pas. Elle n’insista que sur l’urgence de retrouver l’arme.

Je m’y engageais bêtement, me prenant pour un justicier. La folie des grandeurs, c’est bien beau. Ça n’empêche pas la réalité pour autant.

Vous croyez que c’était possible de mettre la main sur cette lame paumée plusieurs jours auparavant dans un lieu de passage ?

Tout était finit. Il ne restait plus aucun mystère à résoudre.

Sauf le responsable l’argent volé à Lorient en supposant que cela ait une importance par rapport à tout le reste, et le dernier membre du groupe de Michaël à être encore dans la nature.

Le fugitif en question ne tarda pas à rejoindre ses camarades. Une bien maigre consolation.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jules Famas ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0