14

8 minutes de lecture

Guillaume

Tarek nous quittait. Il allait laisser un sacré vide.

J’avais pensé à une soirée un peu spéciale pour l’occasion. On invitait tout le monde et se tapait un resto ou un truc dans le genre.

En fin de compte nous allions picoler sur les hauteurs devant la plage, à proximité du fort. Et seul Vincent se joignit à notre groupe habituel. Thomas lui restait dans son coin.

Nous étions vraiment devenu des feignasses. Je m’éclatais plus au lycée.

« Hé Guillaume ! » Me dit Jérôme à la sortie du supermarché. « On a bien tout ? »

« Le pack de bière, le whisky, » Vérifiais-je à haute voix. « La bouteille de coca, les gobelets. »

« Et une bouteille de vodka. » Ajouta Vincent en la sortant de son blouson.

« Balaise ! » S’exclama Jérôme devant la prise.

Vincent m’impressionnait. Je n’avais rien remarqué pendant que je le suivais au rayon des alcools.

« Ce n’est pas très malin de l’exhiber juste à l’entrée devant les vigiles. » Répliqua Tarek dont la jalousie ne dominait pas malgré tout l’amusement.

Il n’aimait pas qu’un autre tienne le rôle de la vedette. Finalement seul Simon se foutait de cet exploit. Qu’est-ce qui lui prenait ainsi la tête ?

Tarek m’énervait un peu avec sa grande gueule. Il en allait de même pour Didier à coté de lui. Simon ne paraissait pas de bonne humeur.

Alors sur le chemin de la plage je m’approchais de Vincent, qui causait à Jérôme.

« Faudra que tu m’apprennes ce coup là. » Dit Jérôme à Vincent.

« C’est juste une question d’habitude. » Affirma Vincent en souriant.

Et oui en souriant ! Son petit vol l’avait illuminé.

« Au fait Jérôme, ça donne quoi ton contrat ? » Sortit-il brusquement de but en blanc.

La conversation n'était pas son point fort.

« Tu veux t’engager ! » Intervenais-je.

« Ça serait pour m’occuper pendant quelques temps. »

« Ton père il dirige pas d’une grande boite immobilière sur Toulouse ? » Rétorqua Jérôme

« Comment tu sais ça toi ? » Répliqua Vincent étonné.

« C’est Maec qu’en a parlé dans un de ces mauvais jours. Il racontait que vous étiez tous des sales bourgs avec preuves à l’appui. Alors pourquoi tu ne bosses pas dans sa boîte ? »

« Mon père je préfère l’éviter. » Expliqua froidement Vincent.

Le message était parfaitement passé. La discussion s’arrêta là.

De toute façon nous étions arrivés.

La plage était bordée par cette espèce de falaise constituée de terrasses. L’endroit avait été aménagé avec de la végétation, des escaliers, et des tables de jardin.

En journée il y avait les charmants pique-niques en famille et la nuit les défonces. Ca représentait une sacrée revanche pour les jeunes toulonnais. Après des longs repas dominicaux, une fois adolescents ils se lâchaient au même endroit.

Donc l’heure de se bourrer la gueule commençait.

Nous manquions un peu de convictions, la lassitude probablement. C’est à peine si nous rigolions aux blagues de Tarek. L’ambiance se décontracta un petit peu en faisant tourner un joint.

Jérôme commença à parler de ses escales en Afrique. Il avait navigué quelques mois avant d’être muté dans notre fort.

« C’était le bon temps ».

Avec un billet de cinquante balles les matelots se payaient des hôtels de luxe, y foutaient bien la merde, puis allaient aux putes.

Jérôme parla aussi en rigolant de la fille, qu’il avait enculé dans des chiottes avant de lui laisser dix francs.

Certains se marrèrent. Par contre personne ne protesta même moi. Bien sûr j’avais des excuses comme mon état « évasif », et la crainte de me faire jeter par les autres.

Et puis quel intérêt cela avait-il ? Jérôme rejoindrait sa copine à la fin de son contrat, deviendrait un bon père de famille, et ne se souviendrait plus de cette pauvre fille.

C’est peu après qu’il apparut au sens littéral du terme. Il avait surgit devant nous brusquement comme par magie. C’est vrai que nous étions pas très alertes non plus.

« Il » était un mec dont je garde un souvenir assez flou entre l’obscurité et la beue.

Il était si j’ose dire inconnu au bataillon, et ne comptait pas parasiter. Sinon il aurait souri d’un air complice au lieu de nous mater en silence.

Nous restâmes complètement inertes devant lui, incapables de deviner ce qu’il voulait. Au bout d’une minute, il se décida enfin à l’ouvrir.

« Il y a pas un pote d’Hamed Abil parmi vous ? »

Simon ne réagit pas. On pouvait le comprendre. La rigidité de notre visiteur n’incitait pas beaucoup à la confidence.

Seulement tout le monde se tourna vers lui, sauf Vincent qui savait comme toujours se faire oublier. Même moi je participais à la dénonciation.

Mon cerveau ramollit, me permit de le regretter qu’après coup. Les autres aussi, je suppose.

Un oui racla la gorge de Simon désabusé.

« Faut qu’on cause. » Ajouta l’autre en indiquant l’escalier montant.

Simon le suivit sans poser la moindre question et en gardant sa gueule d’enterrement.

Il aurait pu faire preuve d’un peu plus d’enthousiasme. Aussi bizarre soit ce mec, il apportait des nouvelles de son ami. En y repensant cette apparition aurait dû nous étonner un peu plus. Sans doute étions-nous trop défoncés.

Quelques instants plus tard Didier se décida à faire la première phrase complète depuis l’apparition.

« Quelqu’un l’a déjà vu ce type ? »

La réponse devait être non, bien que personne n’eut vraiment le temps de la formuler.

Brusquement Simon s’étala au milieu de l’escalier. Au-dessus de lui se trouvait l’intrus. Je ne fis pas vraiment attention à lui mais plutôt à l’objet scintillant dans sa main droite : un couteau, un cran d’arrêt apparement.

La beue, et l’alcool disparurent. Cet homme était à présent le centre de l’univer.

Cet enfoiré descendait tranquillement les marches sans nous prêter attention.

« Barrez-vous ! » Balança-t-il toujours sans nous regarder. « C’est pas vos affaires. »

Je ne sais pas si c’est parce que nous flippions trop ou pas assez. En tous cas personne n’obéit.

« C’est à toi de dégager ! » Répliqua Jérôme furieux en se redressant. « Nous sommes six, ducon. »

L’inconnu nous observa enfin. Nous nous étions tous levés comme Jérôme, histoire de prouver notre unité. C’est ce que je crois en tous cas.

L’illusion ne tint pas une seconde. Notre adversaire d’abord ricana, puis exposa les faits, plus arrogant que jamais.

« Qui veut se faire planter ? Les autres n’auront qu’à profiter de l’occasion. Allez un volontaire. »

Il se la pétait tellement. J’ignore si j’en voulais plus à ce connard ou ma peur.

Jérôme fit un pas en avant, absolument pas suivi par les autres. Ce qui amusa beaucoup l’intrus. Simon de son côté se releva enfin et fit face.

Me tournant le dos je ne pouvais pas savoir quelle tête il faisait. L’arrogance persistante notre adversaire laissait entendre, qu’il flippait autant que nous.

C’était incroyable tout le pouvoir que lui donnait cette foutue la lame sur nous.

Ce simple objet lui permettait de foutre en l’air notre fête, et de nous narguer en toute impunité. Il suffit pourtant de peu de chose pour s’en débarrasser.

Un projectile le frappa brusquement à la tête. Sous le choc il lâcha son putain de couteau, et tituba le visage en sang.

Vincent sans que personne ne le remarque bien entendu, s’était emparé d’une bouteille de bière, et venait de lui balancer.

Il n’en était ni fier, ni soulagé. Il avait la même expression qu’à la fin d’un tour de garde, tout juste satisfait d’être débarrassé d’une corvée. Alors que nous accusions encore le coup Simon vira d’un coup de pied la lame, et Jérôme enragé se rua sur le blessé.

Il vira presque Simon bloquant le passage, et foutu un superbe pain à notre agresseur. Ce dernier accompagné d’un bruit sec, s’étala par terre. Jérôme savait visiblement bien cogner, et continua avec des coups de pied.

L’inconnu ne se releva même pas se contentant de gémir. Apparemment l’œil droit avait été gravement touché lors du lancé de bouteille.

Jusque là spectateur cette violence finit par me faire revenir sur terre. Je gueulais à Jérôme d’arrêter parce que... c’était mal. Il me lança un regard haineux, puis reprit.

« Faut le calmer. » Dis-je aux autres ne me voyant pas l’arrêter tout seul.

Et le dernier sur lequel je comptais, réagit.

« Je vais appeler les flics. » Annonça Didier dans l’intention de calmer le jeu.

Il faisait toujours dans le conventionel. Jérôme visiblement surprit par la proposition, s’arrêta net.

« T’es niqué de la tête ! » Répliqua Tarek. « On pue la beu. Non ce qu’il faut, c’est dégager et avertir les flics d’une cabine, qu’il y a eu une baston et qu’un homme est blessé. »

J'étais sur le cul. Comment Tarek parvenait à raisonner après tout çà alors que j’émergeais à peine.

« Quoi ! Tu veux qu’il s’en tire. Il a voulu buter Simon, merde ! » Gueula Jérôme en pointant du doigt l’homme toujours à terre.

« Il suffit de lui mettre un peu d’herbes dans ses poches. » Répondit Tarek. « Les flics penseront à le fouiller quand même. »

Tarek ne me surprenait plus, il m’inquiêtait. Je regrettais de moins en moins son départ.

« Alors ? » Ajouta-t-il après quelques secondes de silence.

Ce simple mot sonnait différement. Il n’avait pas cet aspect mielleux propre à Tarek. Il était brutal et autoritaire.

Face au silence persistant, Tarek poussa un soupir agaçé puis s’exécuta. Il prit un sachet de beue et le glissa dans la poche du gars agonisant.

Ensuite il descendit vers la plage en embarquant sa bière au passage. Et nous le suivîmes honteux de ne pas savoir quoi faire d’autre.

C’est seulement au bout de plusieurs minutes que je me rappelais de Simon. Je me croyais moins égoiste que çà. Il suivit le mouvement sans rien dire.Nous étions tous sous le choc, j’ai préféré le laisser tranquille.

Je n’ai songé que plus tard à son shoot dans le couteau. Ce réflexe n’allait pas tellement avec son portrait de traumatisé.

Mais puisqu’il n’avait envie de rien dire, j’ai évité de l’emmerder là-dessus. De toute manière le lendemain, il avait déjà inventé une histoire bidon de quiproquos. Personne n’y crut sans oser l’avouer.

A mon avis seuls deux parmi nous étaient en mesure de le faire parler : Tarek grâce son bagout, et éventuellement Jérôme grâce à sa force de caractère. Mais l’un venait de se barrer et l’autre ne chercha pas plus loin sans doute pour des raisons similaires aux miennes.

En ce qui concerne l’inconnu, on apprit qu’il s’agissait d’un déserteur avec pas mal de saloperies à son actif, et était bon pour la taule avec ou sans cannabis dans ses poches.

Voilà ce qui fut ma grande aventure pendant mon service.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jules Famas ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0