... Combien de temps devrait-il attendre pour savoir ?

Dans l'ancienne chambre conjugale, Jasper se retrouva avec le téléphone portable en main, l'air hébété. Il venait de raccrocher. Empêtré entre la douleur aliénante et le violent bonheur d'avoir entendu sa voix, il restait debout devant la commode dont le tiroir était encore ouvert.

Le déménagement était demain, le dernier de leur vie, celui qui devait les éloigner des turpitudes de cette vie et les ramener dans le sud où elle avait grandi.

Le soir qui avait suivi le funeste événement, il avait trouvé la note écrite de la main de sa compagne et le portable sur la commode. Déchiré par la souffrance, il avait allumé l'appareil, observé le dernier appel, consulté le répertoire et ce numéro unique.

Dans une folle détresse, il avait appelé.

« Oui, allô ? avait répondu une voix de jeune fille essoufflée.

Un long silence avait suivi.

- Qui... est-ce ? avait articulé la voix de Jasper, décomposée.

- C'est... moi. C'est Ninon !

Nouveau silence. La voix semblait si jeune, si lointaine, si fraiche...

Il avait d'abord eu du mal à y croire, à comprendre, à accepter mais le désespoir qui l'étreignait alors était si profond qu'il se sentait capable de se raccrocher à n'importe quoi.

La prévenir, c'était évidemment ce qu'il n'aurait jamais pu renoncer à faire. Mais au final, cela suffirait il ?

Cette date, cette heure, ce lieu... Etait-il possible qu'il puisse changer quelque chose à ce qui s'était déjà produit ?

Cette histoire était irrationnelle. Pourtant, les éléments réunis en un puzzle qui s'achevait enfin et cette ultime note lui révélaient l'explication qui lui manquait, la logique de toute cette série de choix et de conséquences.

Mais était-ce seulement vrai ; qui pouvait croire qu'on puisse influer sur le cours du passé ?

Elle – celle avec qui il avait partagé sa vie et ses bonheurs – lui avait raconté que c'était ce téléphone qui l'avait guidée jusqu'à lui, mais elle racontait si bien les histoires, n'aurait-elle pas juste inventé ce conte fascinant pour le subjuguer, comme elle savait si bien le faire ?

S'il avait réussi... se pouvait-il qu'elle réapparaisse comme par magie, comme si elle n'avait jamais disparu ? Ninon serait tranquillement, dans la pièce à côté en train de tapoter sagement sur son clavier d'ordinateur, plongée dans le récit d'un de ces articles incroyables.

Il réprima un sanglot.

« N'y va pas, Ninon. »