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Grand-mère Adelheid prit son ton pédant, celui qu'elle utilisait pour instruire Ariane lorsqu'elle était petite. Celle-ci prit une attitude d'élève studieuse, sachant que sa grand-mère aimait qu'on lui prête une oreille attentive lors de ses exposés, et qu'elle détestait se répéter.

  • Ce sera l'opération la plus délicate que nous aurons à faire dans toute notre vie. Nous devons nous préparer minutieusement. La moindre erreur pourrait nous coûter cher.

Ariane approuva d'un hochement de tête.

  • Un tel rituel devra se faire à minuit, sous les auspices des étoiles et à l'orée de l'équinoxe du printemps.

Ariane opina à nouveau.

  • Je te laisse t'occuper de la logistique, dit-elle. Pour ma part, je ne changerai pas mes habitudes pour ne pas éveiller les soupçons. Personne ne doit deviner nos projets.

Elles passèrent en revue les détails jusqu'au coucher du soleil. Ce n'est qu'après avoir tout mis au point qu'Ariane quitta sa grand-mère.


******


C'est avec le coeur léger qu'elle se dirigea vers son domicile. Encore deux jours, et tout changerait, pour elle ainsi que pour son fils.

Lorsque sa maison fut en vue, elle constata avec inquiétude que les fenêtres de la pièce principale étaient ouvertes. Son inquiétude fit place à du mécontentement. Même si l'hiver avait cédé sa place au printemps et qu'il faisait moins froid, ce n'était pas une raison de faire preuve de négligence. Grisja, sa servante allait l'entendre ! Elle savait pertinemment à quel point les poumons d' Alaric étaient fragiles. Après tout, elle s'en occupait depuis sa naissance. Même le temps le plus clément ne le mettait pas à l'abri des problèmes respiratoires.

Fermer les fenêtres fut la première tâche qu'elle fit en entrant dans son logis. Grisja s'affairait à préparer le repas tout en chantonnant joyeusement. La jeune femme ne faisait rien sans chanter à mi-voix, ce qui tapait sur les nerfs de sa maitresse.

  • Grisja, Pourquoi as-tu laissé les fenêtres ouvertes ? As-tu oublié qu' Alaric a passé un très mauvais hiver ? Nous avons même cru que nous allions le perdre, et tu te permets de ne pas fermer les fenêtres !

A ces mots, le beau visage de Grisja blêmit. Sa maîtresse avait toujours été bienveillante envers elle. Elle se mettait rarement en colère, mais ses moments de déchaînements étaient terribles.

  • Pardonnez-moi Ma Dame - Ariane avait insisté pour qu'elle utilise ce terme au lieu de celui de maitresse - le temps était très doux aujourd'hui, alors j'ai pensé que je pouvais me permettre de renouveler l'air de la maison. Je vous assure que le petit n'a pas prit froid. Il est resté dans sa chambre toute la journée et la fenêtre de celle-ci était fermée.

Ariane soupira. Très casanier, son fils passait pratiquement tout son temps dans sa chambre. Ariane devait faire des pieds et des mains pour le convaincre d'en sortir.

D'un pas leste, elle rentra dans la chambre de son fils et le trouva assis en train de dessiner. C'était son activité préférée et l'une des rares qu'il pouvait faire sans s'essouffler. Elle s'appuya sur le chambranle de la porte pour le contempler. Très concentré sur son art, Alaric ne remarqua pas la présence de sa mère. À quatorze ans, il en paraissait quatre de moins. Pour la énième fois, la mère pensa que son fils ressemblait à son père Karl. Il avait hérité de sa beauté ténébreuse et de son talent pour le dessin, mais pas de sa robustesse.

Elle avait rencontré Karl seize ans plus tôt. A l'époque, tous ses proches espéraient l'annonce de ses fiançailles avec Wilheilm son ami d'enfance, ce qui ne l'enthousiasmait guère. Elle l'avait toujours considéré comme un frère. Cette rencontre avait balayé toutes ses certitudes, sur la vie ainsi que ses préjugés au sujet des humains. Ses amis ne manquait jamais de souligner que sa vie avec Karl l'avait rendue faible.

Une quinte de toux caverneuse interrompit ses pensées. En un rien de temps, elle fut au côté de son petit pour soutenir son corps chétif et empêcher ses frêles épaules de se balancer sous la violence de la crise. Lorsqu'elle fut passée, Ariane présenta le crachoir à son fils pour qu'il expulse ses mucosités.

Alaric leva son visage pâle et émacié vers sa mère. Il avait l'air d'un petit vieux avec son dos voûté, ses yeux rouges, ses sourcils épais et son front plissé. Il avait grandit trop tôt, songea sa mère. A son âge, il devrait courir avec insouciance et jouer avec les enfants de son âge et non se cloîtrer dans la maison. Malheureusement, il n'avait aucun ami. Son état de santé et la séparation en rigueur entre humains et Wesens l'en empêchaient. Une situation qui intensifiait l'isolement de son fils.

  • Je n'aime pas te voir aussi soucieuse, dit-il.
  • Je suis ta mère, dit-elle en ébouriffant ses boucles d'un noir de jais. Je m'inquièterai toujours pour toi.
  • Je voudrais tellement être normal maman, dit-il les larmes aux yeux.

Ariane eut le coeur serré en entendant ces paroles misérables.

  • Tu es normal et tu es un garçon extraordinaire, lui répondit-elle.
  • Tu sais très bien ce que je veux dire. Je ne suis pas comme toi. Les Wesens et les humains se méfient de moi.
  • On se fiche de ce que les gens pensent. Tu ne dois en aucun cas laisser les préconceptions de ces ignares te définir.
  • Je le sais maman. C'est juste que c'est si dur de faire comme s'ils n'existaient pas. Si seulement je pouvais guérir. Peut-être que les gens arrêteront de dire que je suis une aberration.

Ses épaules recommencèrent à se balancer à nouveau, cette fois-ci à cause des pleurs de désespoir. Ariane ne put que serrer son fils contre elle pour le consoler tandis qu'elle tentait de calmer la colère qui grondait en elle. Elle savait à quel point les gens pouvaient être malveillants. Lorsqu'Alaric était née, les mauvaises langues n'avaient pas manqué de mettre en corrélation sa mauvaise santé et la nature de son père, pour justifier l'interdiction d'unions entre humains et Wesens, jugées contre-nature. Mais jamais elle n'aurait pensé que de telles remarques soient parvenues aux oreilles de son fils.

  • Tu n'es pas une aberration, dit-elle. Tu es ce qui m'est le plus cher dans ce monde. Ne te préoccupes pas de cela. Grand-mère Adelheid et moi avons réfléchir à un moyen d'améliorer ta santé grâce à nos pouvoirs.

Alaric se redressa brusquement.

  • Vous allez pouvoir me guérir ? demanda-t-il, les yeux pleins d'espoir.
  • Nous ferons notre maximum, dit Ariane d'une voix douce. Tu dois me jurer que tu n'en parleras à personne, même pas à Grisja.
  • Je le jure, dit Alaric d'un ton très sérieux.
  • Très bien. Il est temps de dîner.

Pleins d'optimisme, ils allèrent souper.

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