Chapitre 8 - A point nommé (partie 2)

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La menace partie, les hommes du village désertèrent la rue, n’accordant même pas un regard compatissant à Kaldor et sa mère pour leur terrible perte. Pour eux, ils avaient frayé avec la magie, apporté le malheur dans le village et donc, récoltaient ce qu’ils avaient semé. Le jeune homme vit que cette attitude n’inspirait que dégoût pour Valdir et les deux soldats. Ces derniers aidèrent Kaldor et sa mère, accablés de chagrin, à se relever. Les deux soldats, comprenant leur immense peine, transportèrent le corps, de celui qui fut un père et mari, à la lisière de la forêt.

Comme le voulait la coutume, les défunts, quel que soit leur rang, étaient placés sur un bûcher funéraire. Les prêtres de l’Ordre du Temple voyaient le feu comme un élément purificateur et libérateur pour l’âme des morts. Le bûcher devait être allumé à la tombée de la nuit, au moment où apparaissaient dans le ciel l’étoile des âmes, la première à briller. Celle-ci guidait les esprits des morts vers les cieux.

À la nuit tombée, le capitaine Binlian proposa de réciter une prière pour accompagner l’âme du défunt lors de cet ultime voyage. Le soldat savait très bien la peine que ressentaient le jeune homme et sa mère, puisqu’il venait de perdre sa femme. Comme si une partie de soi avait été enlevée, emportée par la personne disparue vers les cieux.

— Ne redoute point de t’engager sur cette nouvelle route qui se présente à toi, ô très cher être aimé, car nous serons toujours avec toi, comme toi avec nous, acheva Binlian.

Le capitaine se retira aux côtés de Valdir et Adrim, en retrait derrière Kaldor et sa mère. En passant devant eux, il pressa leurs épaules de la main, dans un geste de réconfort. Puis la mère et son fils s’approchèrent du bûcher funéraire, prirent ensembles la torche plantée dans le sol et mirent le feu au bois. Ils ne purent empêcher les larmes de couler à nouveau, lorsque le feu commença son œuvre. Les jambes de la veuve ne la tinrent plus. Elle s’effondra dans les bras de son fils. Ils laissèrent couler leur peine.

Très vite, tout le bûcher s’embrasa et de hautes flammes s’élevèrent vers le ciel sombre, sous le regard de la lune. De petites particules de cendres rougeoyantes prenaient leur envol, montant avec lenteur vers la voûte constellée d’étoiles, vers l’étoile des âmes. Une étoile filante rayonna dans les cieux. Kaldor y vit là le divin Kaelliom guider l’âme de son père pour prendre place aux côtés des défunts, des étoiles.


Kaldor et sa mère invitèrent les trois hommes à se rendre chez eux. Quand tous furent assis à table, une tisane entre les mains, le jeune homme trouva la force de parler. Sa mère semblait vouloir se murer dans le silence.

— Je vous remercie de m’avoir sauvé la vie, qui que vous soyez. J’aurais seulement voulu que vous soyez arrivé un peu plus tôt, plus à point nommé…

— Moi aussi, jeune homme. J’aurai souhaité que notre rencontre se fasse dans de meilleures circonstances. Je m’appelle Valdir, je suis professeur de magie runique, et voici le capitaine Binlian et son frère Adrim. Tous deux sont des soldats de l’Ordre du Temple.

— Mais pourquoi cet étranger voulait-il me tuer ? Et qui était-il ? demanda Kaldor qui avait remarqué que ledit Valdir n’avait pas été si surpris de voir l’inconnu.

— C’est un être maléfique que l’on nomme servombre. Les servombres servent leur créateur, un mage noir. Le seul moyen de les vaincre est de leur trancher la tête, expliqua le professeur.

— Vous… vous voulez dire qu’il n’est pas mort ?! s’exclama Kaldor, accusant le coup. Il reviendra ?

Sa mère laissa échapper un gémissement et se mit à osciller sur sa chaise, les yeux dans le vide. Valdir demanda au jeune homme de l’aider à la coucher dans sa chambre. Quand elle fut allongée, il lui toucha le front et elle s’endormit aussitôt. De retour dans la cuisine, ils reprirent leur conversation.

— Il n’est pas mort et il reviendra quand il sera sur pied. Quant à ta première question, il est venu uniquement pour toi, car tu es quelqu’un de très spécial.

— Je ne suis pas spécial, réfuta le jeune homme. Je suis un garçon tout ce qu’il a de plus normal.

— Cesse de te mentir à toi-même. Je sais qui tu es, Kaldor.

Là, cet homme lui faisait peur. Mais qu’avaient-ils tous à s’intéresser à lui ? Lui aussi venait-il le tuer ?

— Allons, calme-toi. Je ne suis pas venu pour te faire du mal au contraire. Tu es un jeune homme unique en ton genre. Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un demi-dieu, le fils d’Eldyr. Je suis venu pour toi, pour t’aider dans la quête à venir et t’apprendre la magie.

Kaldor en resta bouche-bée. Puis ce fut avec colère qu’il parla.

— Je n’ai aucunement envie de vous suivre ! Je me fiche de votre quête, ma vie m’appartient ! J’ai déjà dit non à Eldyr ! Qu’il aille se les chercher lui-même ses reliques ! Vous ne comprenez rien !

— C’est toi qui ne veux pas comprendre. S’il avait pu, le divin Eldyr l’aurait fait lui-même, mais il ne peut pas. Comme aucun être vivant ne peut toucher les reliques divines sans être submergé par leur pouvoir, il t’a créé dans ce but. Toi seul, à part lui, est capable de les porter sans dommage.

— Alors je ne suis qu’un vulgaire pion qu’il déplace à sa guise ?! s’emporta Kaldor. Et après le travail fini, pouf, il me jette aux ordures comme une vieille chaussette ? Je n’ai rien voulu de tout cela ! Je ne vois pas pourquoi je devrais vous accompagner.

Une étincelle de colère s’alluma brièvement dans les yeux de Valdir.

— Écoute-moi bien jeune homme. Petit nombriliste que tu es. Cette mission va au-delà des désirs de chacun. C’est ton destin. Et sache que si tu restes ici avec ta mère, l’homme reviendra et saccagera ton village. Même si les villageois ne se sont pas montrés très amicaux envers toi, je suis certain que tu ne voudrais pas avoir la mort de centaines de personnes sur la conscience.

Kaldor ne répondit pas, mais la colère l’habitait toujours. Le capitaine Binlian, diplomate, suggéra qu’une bonne nuit de sommeil serait bénéfique pour tout le monde. Allongé sur son lit, le jeune homme entendit sa mère sangloter dans sa chambre, voisine de la sienne, et cela lui fit grande peine. Lui-même pleura en silence.

Puis quand les larmes se tarirent, il repensa à ce que lui avait dit Valdir. Il avait beau essayer de trouver des contres arguments, le professeur de magie avait raison après tout : il lui fallait partir d’ici. Il ne voulait pas mettre en danger le village et, quand bien même il resterait, lui et sa mère seraient traités en parias. Sa décision était donc prise, il partirait avec ces gens. Il se tourna sur le côté et chercha le sommeil.

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