Chapitre 3 - Échec au roi (partie 1)

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 Quelque part, en un lieu situé entre ce monde et un autre, Tyrnlok se tenait assis dans un fauteuil en face d’un brasero. Né en deuxième dans la fratrie des quatre divinités adorées en Camaörie, le peuple Tyrn le vénérait. Il appréciait se vêtir de façon guerrière : cotte de mailles, surcot à écailles et casque. Tyrnlok avait les cheveux courts et bruns, la peau cuivrée, comme la majorité de la nation Tyrn.

 Le dieu se trouvait devant ce feu, non parce qu’il faisait froid, mais parce qu’il aimait le contempler. Celui-ci le fascinait. En lui résidait une dualité, il incarnait le Bien et le Mal à la fois. Le feu réchauffait les cœurs, espoir dans le noir, mais apportait aussi destruction et désespoir. Tyrnlok ricana, il se sentait une âme de poète. Peut-être aurait-il pu écrire un poème sur la danse des flammes ? Que nenni, il s’était forgé guerrier, pas comme son arrogant aîné.

 Deux yeux et une bouche se matérialisèrent dans les flammes et le ramenèrent à la réalité. Il s’agissait d’une projection de l’esprit de Mastar. À voir la danse énergique des langues de feu, la mauvaise humeur l’habitait. Celui-ci se présentait alors que le moral de Tyrnlok était au plus bas, devant l’accroissement des fidèles de son plus jeune frère. Il se sentait reconnaissant envers Mastar, grâce à lui, il avait augmenté le nombre de ses adorateurs et sa puissance s’était agrandie.

 Il se demandait qui il pouvait être. Le pouvoir de cet être était immense et cela lui inspirait admiration et peur. Mais qu’importe ! Son but collait au sien. Il voulait montrer à ses frères, Eldyr et Kaelliom, qui était aux commandes. Et puis, Gènd, le cadet, lui avait assuré qu’ils pourraient se débarrasser de Mastar à eux deux.

 — Tyrnlok ! La peste soit de ton frère ! J’exige que tu lui envoies un message percutant !

 — Je suppose que vous parlez d’Eldyr. Il n’y a que lui pour vous faire sortir de vos gonds.

 Eldyr avait toujours été, selon lui, un enquiquineur de première, tout le temps prompt à donner des leçons avec des airs supérieurs.

 — Je ne sais pas comment il fait, mais il arrive toujours à me mettre des bâtons dans les roues ! ragea Mastar. Et un de ces bâtons serait un jeune homme. Je veux que tu te rendes en Eldyrie, ce soi-disant royaume le plus sûr, et que tu frappes à la tête. Le roi, la reine et la grande-prêtresse seront tes cibles.

 — Devrais-je les éliminer ?

 — Non idiot ! Tu connais pourtant les règles que vous avez instaurées tes frères et toi. Le dieu d’un peuple ne peut entrer en contact qu’avec ses représentants. Tu sais aussi bien que moi que si nous les supprimons, il pourra les remplacer. Alors que si nous les neutralisons, tout en les gardant en vie, il sera coupé de ses fidèles, ne pouvant joindre personne. Enferme leur conscience dans l’Imaginys.

 L’Imaginys était une dimension parallèle au monde des hommes et lui ressemblait beaucoup. En ce lieu, les dieux testaient leurs idées de créations avant de les modeler dans la réalité. Toute personne, avec le don de magie, pouvait y pénétrer par l’esprit si elle savait comment faire. Il était dangereux de s’y trouver coincé. Certes, le temps s’y écoulait beaucoup plus lentement, mais un séjour prolongé signifiait la mort de son corps et donc de son âme.


 Tyrnlok se rapprocha d’une des fenêtres de la pièce d’où l’on apercevait l’océan. La vue se brouilla et changea. L’ouverture donnait dorénavant sur un long couloir désert du palais royal d’Eldyrie. Le dieu ferma les yeux et adopta l’apparence d’un Eldyrien vêtu d’une élégante toge bleue. La fenêtre s’agrandit et Tyrnon passa au travers, comme si le verre n’existait pas. Il se retrouva dans le couloir vide, dont les murs étaient peints de motifs évoquant la nature.

 Il devait faire vite. Il espérait que son frère soit occupé et qu’il ne décèlerait pas sa présence rapidement malgré son déguisement. Il adopta néanmoins un pas paisible pour ne pas attirer l’attention. Dans ce palais, tout n’était que calme et tranquillité. Cela le mettait mal à l’aise, il préférait les agréables bruits des entraînements de soldats, qu’il aimait à admirer de sa fenêtre. Les Eldyriens étaient un peuple de savants, absorbé dans leurs études et contemplations du monde, mais ils n’en étaient pas moins redoutables.

 Tyrnlok arriva face à la grande porte, en bois bleuté parsemé d’étoiles blanches, de la salle d’audience. Diverses constellations étaient peintes sur les murs. Il y avait trois personnes qui attendaient de pouvoir entrer devant lui. Le dieu pouvait apercevoir deux de ses cibles tout au bout de la longue pièce, remplie de courtisans. Les souverains étaient assis sur leurs trônes respectifs. Ces derniers étaient faits dans un matériau translucide aux reflets éclatants, tel le diamant. Quant à la grande-prêtresse, elle n’était pas en vue.

 Son tour arriva enfin, il avança avec lenteur vers le couple royal, sous les regards curieux des courtisans, tous affublés de toges aux couleurs vives. Tyrnlok en avait mal aux yeux. Le monarque en portait une verte claire et affichait un air impassible sur son visage sans âge. La reine était magnifique dans sa robe rouge fort seyante, dévoilant ses belles formes. Si Tyrnlok avait été un homme, il serait probablement resté hypnotisé et bouche bée. Les souverains ceignaient les deux mêmes couronnes d’or blanc, fines et délicatement travaillées, sur leurs longs cheveux noirs.

 Comme le voulait la coutume, il s’arrêta à environ quatre mètres[1], mit le genou droit à terre et baissa la tête. Puis, il posa son poing droit sur le sol et sa main gauche sur sa hanche.

 — Relève-toi, ordonna le roi d’Eldyrie. Et dis-nous ce qui te mène en audience publique, fidèle sujet.

 — Majestés, je vous amène un cadeau de la part du Patriarche Faldin en personne. Il est arrivé par la caravane postale en provenance de Temple-Ville. Il s’agit de trois beaux rubis. Deux pour vos Majestés et un pour la grande-prêtresse.

 — Apporte-les-nous, que l’on puisse les contempler. Approche, Lapaza et admire aussi ton présent.

 Elle sortit de dernière une colonne de marbre à la droite de Tyrnlok. Elle aussi était superbe dans sa robe verte assortie à ses yeux. Ses longs cheveux étaient argentés. Deux tresses partaient de ses tempes pour n’en former qu’une à l’arrière de sa tête.

 — Une chose m’intrigue, Majesté. Pour quelle raison de tels cadeaux ? demanda-t-elle, soupçonneuse. Faldin ne nous a jamais fait de d’offrandes aussi somptueuses. De plus, je pensais que la caravane postale n’était attendue que dans deux jours.

 — Faut-il toujours avoir une explication pour donner un présent ? rétorqua Tyrnon, plus sévèrement qu’il ne le voulut, et irrité par ces paroles. À vrai dire, il s’excuse de ne pas vous avoir écrit depuis longtemps.

 Le roi fit fi de ces soupçons en décrétant que la caravane devait avoir de l’avance. Il fit signe à Tyrnlok d’approcher pour leur remettre les rubis. Ils prirent tous leur cadeau en main. Les joyaux rouges étincelèrent de plus en plus. D’une pensée, Tyrnlok activa leur pouvoir. Un rayon lumineux sortit de chaque pierre, pour venir frapper les victimes au front. Les souverains et la grande-prêtresse tombèrent au sol, inconscients, piégés dans l’Imaginys. Les Eldyriens présents cédèrent à la panique. Avant qu’ils ne songeassent à s’en prendre à lui, Tyrnlok s’effaça de leurs esprits, leur laissant le vague souvenir d’une personne quelconque qui présenta les rubis aux victimes. Il s’en retourna chez lui, avant que son divin frère ne le prît sur le fait.

***

[1] Note de l’auteur : dans un souci de lisibilité et de confort pour le lecteur, toutes les unités de mesure – notamment de distance et de temps – ont été remplacées par celles en usage dans notre monde.

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