Prologue - partie 2

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 Du jeune matelot, il ne resta qu’un corps tout desséché. Alors la sculpture brisa ses chaînes rouillées, devant les marins terrifiés. Ceux-ci, après s’être trouvés un instant pétrifiés de peur, portés par leur instinct de survie, sortirent leurs dagues et se préparèrent à attaquer la créature, dans le vain espoir de la vaincre. Elle les regarda d’un air amusé.

 Le capitaine, qui se tenait devant son équipage, se retrouva soulevé du sol, le cou enserré dans une poigne de fer. La peur se mua en terreur. Elle s’infiltra plus profondément en lui tel un poison brûlant, alors que la bête le fixait droit dans les yeux. Il sentit une présence dans sa tête. Le monstre sondait son esprit, sans qu’il ne puisse rien y faire.

 — Mais pourquoi nous attaquez-vous ? parvint-il à demander.

 — J’ai faim, répondit-elle simplement en dévoilant ses dents pointues.

 La poigne de la créature se fit plus forte et le capitaine laissa échapper un cri. L’équipage réagit comme un seul homme et se rua sur la bête, qui jeta le vieux loup de mer contre la paroi. Leurs armes se brisèrent en heurtant leur cible qui ricanait devant ce spectacle. Elle aimait la peur, elle inhibait tout raisonnement et renvoyait la race humaine au simple stade de stupide proie. Les marins se mirent à courir en tous sens, pour tenter d’échapper à la créature, dans le vain espoir qu’elle se fatigue avant eux. Elle les attrapa un par un pour les vider de leur énergie vitale. Quand il ne resta plus que le capitaine, sonné, elle le saisit à nouveau par le cou.

 — Non ! Laissez-moi ! cria-t-il en se débattant.

 — Cesse de te remuer comme un ver, je suis las de cette attitude. Tu vois bien que j’ai une poigne de pierre, tu ne t’échapperas pas.

 — Que voulez-vous de moi ? demanda le marin, en regardant autour de lui. Vous avez besoin de moi, sinon je serais déjà en train de mordre la poussière comme les autres.

 — Ah ! Miracle, ton cerveau fonctionne à nouveau ! En sondant ton esprit, j’ai su que tu étais le moins stupide du groupe. Quant à ce que je veux de toi, je vais te le dire. Je vais faire de toi mon premier serviteur de l’ombre. Mon servombre. J’en oublie mes bonnes manières. Je suis Mastar, ton nouveau maître.

 — Jamais de la vie ! Plutôt mourir ! rugit le capitaine.

 — Oh ne t’inquiète pas. C’est ce qui va t’arriver et ce sera pire que la mort. J’ai besoin de te détruire pour te reconstruire selon mes critères. Tu n’auras plus de soucis à te faire, car je vais t’ôter toute volonté propre.

 La créature ouvrit la main et y fit jaillir une flamme. Elle s’agrandit et s’enroula autour de l’homme. Elle se sépara en deux pour s’enfoncer dans ses tempes. Le marin hurla de douleur, son corps brûlait de l’intérieur. Ses yeux s’embrasèrent, pour ensuite devenir aussi noirs que les ténèbres. Il fut vêtu de vêtements sombres. Une capuche dissimulait son visage dans l’ombre. Mastar n’aimait pas plus que cela le cette couleur, mais l’obscurité faisait naître la peur dans le cœur des hommes et c’était un des sentiments qu’il avait besoin de ressentir chez eux.

 — Maintenant, tu es prêt à accomplir ta mission et à m’obéir sans sourciller. Tu m’apporteras des humains afin que je me nourrisse de leur énergie vitale et ne me rendorme pas.

 — Oui Maître, vous ordonnez, ainsi soit-il.

 Mastar c’était le nom que la créature avait choisi et qui sonnait à ses oreilles comme une appellation de futur maître du monde. Ce n’était pas son vrai nom, qu’il n’osait même pas prononcer au fond de son esprit de peur que ceux qui l’avaient enfermé ne s’aperçoivent qu’il était réveillé. Il inspira profondément pour calmer son excitation. Il rassembla les informations qu’il avait lues dans la mémoire de son servombre, avant qu’il ne le transforme. Ainsi, il avait été emprisonné pendant deux mille ans, maintenu dans un état de léthargie, quasiment vidé de toute énergie vitale. Pas étonnant qu’il ait eu si faim.

 Devait-il sonder mentalement le monde extérieur ? Serait-il détecté ? Pourtant après deux mille ans, il n’y avait plus aucune trace de lui dans les souvenirs des hommes. Il décida de faire fi de ses craintes et examina par l’esprit comment le monde avait changé hors de sa prison. L’humanité avait bien évolué et grandi depuis son emprisonnement. Celui-ci eut lieu à la fin d’une terrible guerre, qui avait laissé le monde et ses habitants ravagés. Il fut attiré par l’usage de la magie noire. Il s’en servait et il y baignait depuis l’enfance. Son père en était le créateur.

 Grand fut son étonnement quand il vit que c’était une divinité qui en usait. Comment cela se pouvait-il ? Cette magie était interdite. Interdiction décrétée par les dieux eux-mêmes. Mais il s’agissait là d’une divinité au cœur empli de haine et de colère contre les fidèles trop nombreux de son divin frère. Ces sentiments, son père les avait transformés en source d’énergie pour créer et alimenter la magie noire. Énergie dont il pouvait se sustenter, comme les dieux se nourrissaient de la foi de leurs fidèles.

 Il entrevit la possibilité de se venger de son emprisonnement et d’accomplir le dessein que s’était fixé feu son père. Pour cela, il devrait faire preuve d’une immense patience, sous peine de se faire démasquer avant d’avoir pu asservir ce dieu et récupérer sa force. La patience n’était pas son point fort, mais qu’était-ce quelques années de plus face à deux mille ans d’enfermement. Son père aimait à lui dire : « la vengeance est un plat qui se mange froid, fils ». Bien qu’au final, ce fut lui qui s’était retrouvé refroidi par la mort.


 Les cinquante années qui suivirent son réveil, Mastar les passa à murmurer à l’esprit du dieu. D’abord succinctement, lui envoyant de brèves idées, comme si elle venait de lui. Puis, il en vint à susurrer comme une conscience, brossant toujours la divinité dans le sens du poil. Il attisait cette haine et cette colère qu’il avait vues en lui. Jusqu’au jour où le dieu lui révéla son nom : Tyrnlok. Cette information acheva de le lier à lui.

 Un esclave divin, Mastar n’aurait pu rêver mieux. Et pourtant... En parcourant à nouveau le monde, il repéra une autre divinité au cœur défaillant. Empli de ces mêmes sentiments de haine et de colère envers le même frère que haïssait Tyrnlok. Mastar passa cinquante autres années à dompter le dieu Gènd. Par le biais de ces deux marionnettes, il mua leurs fidèles en guerriers sorciers. Il fit naître et attisa, en eux, un sentiment de haine envers leurs voisins.

 Cent ans après son réveil, Mastar décida qu’il était grand temps de semer le chaos dans le monde. Il lui suffisait d’une chiquenaude sur ses marionnettes divines pour que la guerre éclate. Cette pensée le fit frissonner de plaisir et il passa sa langue sur ses lèvres de gourmandise. Il se concentra et contacta mentalement Tyrnlok.

 — Tyrnlok, Tyrnlok. Ne serait-ce pas l’heure d’aller guerroyer ? suggéra Mastar sur un ton mielleux.

 — Je ne veux point engager le conflit avec mon frère Kaelliom. Je… ne sais point si cela est judicieux. Cela pousserait le monde à la ruine, dit-il, un peu réticent.

 — En attendant, lui, il n’impose pas de limite à ses fidèles. Vois comme ton territoire a rétréci au fil des années, alors que le sien a doublé. Est-ce là un domaine suffisant pour un empire militaire ?

 — Aucunement ! Vous avez raison comme d’habitude. J’ai forgé mes fidèles en tant que guerriers. Que vont-ils penser de moi, si je ne les envoie pas guerroyer ?!

 — Devant la pression du nombre de partisans de l’Ordre du Temple, certains de tes sujets se sont convertis et te privant ainsi d’un peu de pouvoir, rajouta Mastar pour enfoncer le clou.

 — NON ! Je ne puis le permettre, ragea Tyrnlok. Je vais mettre un terme à l’expansion de mon frère.

 Mastar tint le même discours au dieu Gènd qui mordit à l’hameçon. Un immense conflit éclaterait et disséminerait encore plus de haine, de colère, de souffrance et d’ombre dans le cœur des hommes. Il allait enfin pouvoir se gaver de pouvoir et ne plus dépendre de ceux que lui apportait son servombre.

 Ainsi, en l’an 2300, le monde connut la première Grande Guerre. Pendant dix ans, les soldats Tyrns et Génidiens, qui usaient de magie, déferlèrent et massacrèrent leurs voisins surpris. Devant tant de chaos, de haine et de sauvagerie, l’aîné des dieux, Eldyr, envoya son peuple guerroyer durant la dernière année du conflit. Peuple qu’il avait transformé en êtres capables de maîtriser une magie trsè puissante, ni humains, ni divins.

 Une grande victoire, certes, mais au prix terriblement lourd. Les centaines de milliers de morts avaient mis l’humanité à genoux, essoufflée. Mastar n’avait pas perdu pour autant, car la graine de la haine était maintenant bien ancrée dans le cœur des hommes. Il attendit de nouveau patiemment que les humains se redressent pour mieux les renvoyer à ses pieds. Alors quatre cents ans plus tard, vint enfin son heure. L’humanité s’était relevée et les Eldyriens endormis.

 L’an 2766 vit éclater la deuxième Grande Guerre. Elle fut un fiasco pour Mastar, car elle ne dura qu’environ quatre ans, fit moins de victimes et généra moins de puissance. L’ennemi était préparé et avait formé un ordre de soldats sorciers. Ceux-ci avaient été instruits par les Eldyriens dans la magie runique.

 Mastar rageait contre l’aîné des dieux qui, il en était sûr, avait deviné qui il était réellement. Pour lui, c’était évident qu’Eldyr concoctait un plan en vue de l’éliminer. Il se mit à consulter le futur. Il était impossible de le prédire avec précision, car il changeait sans cesse suivant les décisions de chacun. Néanmoins, il était possible de voir une parcelle de l’avenir lorsque quelqu’un faisait un choix important et définitif. Il scrutait chaque résolution majeure liée à lui, en vain. Enfin, un jour, une fenêtre s’ouvrit sur le futur. La vision qui s’offrit à lui était fort décevante. Il vit une personne, encapuchonnée dans une longue cape brune, poser un nourrisson devant une porte. Cela ne lui indiquait ni le lieu ni le moment. Ainsi un petit enfant serait probablement un danger pour lui. Il appela son servombre.

 — J’ai une nouvelle mission pour toi ! Parcours le monde et supprime-moi tous les orphelins que tu trouveras. L’un d’eux sera une menace pour moi.

 — Bien Maître, vous ordonnez, ainsi soit-il.

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