Prologue - partie 1

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 Le matelot, perché sur le nid-de-pie, regardait un énorme front nuageux qui était apparu sans signes avant-coureurs et qui arrivait à grande vitesse. Depuis qu’il naviguait, il n’avait jamais vu une tempête aussi grosse et rapide. Il descendit sur-le-champ sur le pont, où s’affairaient les autres membres de l’équipage, pour informer le second et le capitaine. Pour la première fois, il ressentait, au fond de lui, grandir la peur à mesure que le vent devenait plus fort et les nuages plus sombres. Il savait le navire marchand résistant, mais cela ne le tranquillisait pas assez. Alors qu’il se rendait vers le bureau du capitaine, il croisa le second et le prévint. Il perçut aussitôt la tension au sein de l’équipage, qui obéit aux ordres de ramener les voiles.

 La cabine du capitaine était située à la poupe. Une agréable odeur de vieux bois et de livres se dégageait de la pièce. Le commandant aimait parcourir les grands classiques qui remplissaient tout un pan de cloison. De larges ouvertures à l’arrière apportaient suffisamment de lumière et donnaient une impression d’espace.

 Le capitaine était penché devant une grande carte, étalée avec soin sur son vaste bureau. Comme à son habitude, il se grattait la barbe quand il réfléchissait. Il buvait du thé, qui, disait-il, l’aidait à se concentrer. Il était ce que l’on pouvait appeler un vieux loup de mer, il avait passé près de cinquante ans à naviguer et l’amour de ces étendues d’eau ne le quittait pas. Ce jour-là, il avait décidé de se vêtir d’une tunique rouge brodée de motifs jaunes et de hauts-de-chausses verts. Il portait aussi une cape bleue, qui selon lui, lui donnait plus de prestance.

 Il fit signe au matelot, qui attendait à la porte sans bouger, d’entrer.

 — Oui, c’est pour quoi ? demanda distraitement le capitaine, sans quitter la carte des yeux.

 — J’tenais à vous dire qu’une tempête s’rapproche, elle est très rapide et plus grosse que c’que tout l’équipage a vu jusqu’là, m’sieur.

 — C’est ce qu’il semblerait en effet, répondit-il d’un ton faussement calme, en jetant un œil par les fenêtres. Dites au second que je veux lui parler, il nous faut trouver une crique où nous abriter.

 — L’équipage est… inquiet, voire très inquiet, le prévint-il.

 — Accrochez-vous ! hurla quelqu’un sur le pont.

 Trop tard, la tempête les heurta de plein fouet. Les vents hurlants déchirèrent les voiles que les matelots n’avaient pas eu le temps de plier. Le grand mât se brisa dans un intense gémissement et fut emporté, avec quelques marins, dans les airs. Une nuée d’énormes grêlons s’abattit sur la nef. Les hommes crièrent de terreur, mais la tempête emporta leurs hurlements au loin. Ils coururent en tous sens pour trouver un abri. L’un d’eux, malchanceux, reçut une boule de glace grosse comme un poing sur la tête. Il fut étourdi et tomba par-dessus bord.

 Le navire marchand était ballotté de vague en vague et dérivait au gré des courants marins furieux. Le bois de la coque gémissait sous la forte pression de l’eau. Tout l’équipage s’accrochait littéralement à la vie. Le calme sembla revenir, la houle parut se tranquilliser. Un regard à tribord fit défiler leur existence devant leurs yeux exorbités par la peur. Une gigantesque déferlante les dominait. Cette montagne liquide s’abattit sur le bateau, certains furent fauchés et emmenés dans les abysses auprès de la Mort. Le navire fut projeté contre des récifs, qui déchirèrent le flanc droit de la coque.

 La tempête les avait perdus dans son labyrinthe de vagues et les abandonna, aussi soudainement qu’elle était venue. L’équipage, qui comptait une bonne trentaine d’hommes au départ, déplorait dix victimes. Tous sortirent, pressés de savoir où ils avaient fait naufrage.


 Devant eux se dressait une grande île à l’aspect fort inhospitalier. Elle était entourée de hautes falaises et la végétation semblait rare. Le capitaine calcula leur position à l’aide de son sextant et de sa boussole et fut très surpris. Il ne comprenait pas : rien n’était mentionné sur aucune carte à cet endroit, où se joignaient la mer des Dieux et celle du Levant. L’île était pourtant bien là et facilement repérable avec son unique et très haute montagne.

 — Capitaine ! Le navire ne pourra pas rester longtemps à flot, la coque est percée en de nombreux points, signala le second.

 — Mettez les chaloupes à la mer et trouvons un lieu où nous abriter. Prenez des grappins et des cordes, je crois que nous en aurons besoin pour grimper là-haut, ordonna le capitaine, sortant les matelots de leur stupeur.

 Après maintes tentatives, ils parvinrent à se hisser avec vivres et matériel au sommet des falaises. Ils observèrent quelques instants un paysage plus rocailleux que verdoyant. Au loin, ils aperçurent une forêt sur le flan Est de la montagne. Ils décidèrent de s’y rendre afin de trouver un abri.

 L’un des hommes partis en éclaireurs revint et annonça avoir localisé un endroit assez vaste les abriter. Le groupe le suivit jusqu’à une immense grotte. Tous furent surpris de trouver certaines parois recouvertes de peintures. Ce lieu avait-il été habité ? La fresque la mieux conservée représentait sept hommes en train de se battre contre une créature difforme. Cela donnait un aspect sinistre à la caverne.

 En retrait vers le fond de la grotte, à la limite de la lumière du jour, coulait une petite source. L’eau jaillissait de la roche pour s’y enfoncer à nouveau via une fissure un peu plus loin. Les marins assoiffés s’y précipitèrent pour se désaltérer. Puis, intrigués par cette profonde caverne, ils allumèrent des torches et commencèrent l’exploration.

 Ils furent surpris et déconcertés lorsqu’ils tombèrent sur une porte sculptée dans la roche. À côté d’elle était gravé un texte rédigé dans une langue que les hommes ne comprenaient pas. Alors qu’ils arpentaient la dernière cavité, ils sursautèrent lorsque les torches accrochées aux parois s’allumèrent toutes seules.

 Cette partie de la grotte était vide hormis une grande statue assise et attachée par des chaînes rouillées sur un siège en pierre. Était-elle précieuse ? Pourquoi de telles chaînes ? L’un d’eux tapa la sculpture du plat de sa dague qui tinta bizarrement. Elle semblait être faite de pierre, mais ce matériau grisâtre leur était inconnu. Ils ne savaient pas trop ce qu’elle représentait, mais paraissait ancienne, recouverte çà et là de lichen.

 Il s’agissait d’un corps humain à la peau écailleuse. Des ailes de chauve-souris se dressaient dans son dos. Sa tête ressemblait à celle d’un homme, à ceci près qu’elle portait de longues cornes effilées. Ses yeux fermés étaient couronnés d’arcades sourcilières prononcées. Suivait un nez légèrement retroussé et de fines lèvres dévoilant quelques dents pointues. Une impression malsaine se dégageait de la sculpture et l’équipage était mal à l’aise et peu rassuré de se tenir à côté de cette monstruosité. Le plus jeune des matelots ressentit l’envie de savoir quelle texture avait cette pierre. Il s’approcha de la statue et toucha son bras gauche.

 Soudain, il hurla de douleur tout en tentant d’ôter sa main collée à la sculpture. Les marins se retournèrent vers leur camarade les yeux écarquillés par la peur. Le capitaine essaya désespérément d’enlever la main du mousse de la statue. Celle-ci ouvrit les yeux et la porte se ferma. Les matelots étaient comme plongés dans un réel cauchemar. Certains se pincèrent et se demandant s’ils allaient se réveiller. Le jeune homme continuait de hurler, alors que son corps se décharnait lentement et que la statue commençait à bouger. Elle tourna lentement la tête vers eux et leur lança un regard avide, en se pourléchant les lèvres dans un sourire. Le vieux loup de mer recula tandis que la peur s’insinuait en lui.

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