Chapitre 20 - L'épée Cérim (partie 1)

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Depuis plusieurs jours, Kaldor avait peur de s’endormir. Il était terrifié à l’idée de refaire le cauchemar qu’il avait eu quelques nuits plus tôt. Il se souvint s’être réveillé en sursaut sur son lit. Persuadé d’avoir été poignardé par Élaëna, le premier geste qu’il avait eu, fut de vérifier son torse. Non, rien, pas une goutte de sang. Ce fut le cauchemar le plus réaliste qu’il avait eu jusque-là. Peut-être trop réaliste, il avait ressenti un picotement sur sa joue. Du sang coulait là où dans le rêve la créature l’avait fouetté. Devait-il en parler à Valdir ? Non, il avait probablement d’autres choses à faire que de s’occuper de cela.

Le reste du voyage jusqu’au port de la ville de Vilgel se déroula sans encombres. Le passage de l’Imaginys au monde réel fut tout aussi chaotique que la première fois. Le décalage entre les journées était encore flagrant. D’un côté, il faisait nuit, alors que de l’autre il faisait jour.

Depuis que Kaldor avait rapporté la conversation nocturne qu’il avait eue avec Eldyr, Valdir leur avait concocté un plan simple. Comme leur destination était le Mont Hurlant, un coin où l’on pouvait trouver de l’or, le groupe de compagnons se ferait passer pour des gens à la recherche de membres de leur famille.

La grande majorité des bâtiments de la ville étaient construits selon le même modèle. Les maisons comportaient toutes : un rez-de-chaussée en pierre, deux étages en bois et un toit d’ardoises. Seule la superficie de la maison variait en fonction du rang social et de la richesse. Les rues étaient pavées avec de gros galets, provenant des plages.

Kaldor se souvint qu’ils étaient partis à la fin de l’été, mais sur cette île nordique l’hiver commençait à pointer le bout de son nez. Le vent était d’un froid. Dans la rue, il remarqua que les Gèndarks portaient des manteaux dotés de fourrures sur les épaules. Ils entrèrent dans une auberge située dans un quartier plutôt miteux.

— Valdir, pourquoi allons-nous dans cette sordide auberge ? demanda Élaëna dégoutée.

— Voici le plan : nous allons nous faire passer pour les membres de la famille d’un chercheur d’or, dont nous n’avons pas eu de nouvelles depuis des mois. Quoi de mieux pour obtenir des informations sur le Mont Hurlant – notre destination – et aussi sur la position des Trolls.

— Les Trolls ??!! s’exclama la jeune femme d’une voix suraigüe. C’est une mauvaise blague ? Ce n’est qu’une histoire pour faire peur aux enfants.

— Ai-je l’air de plaisanter, jeune fille ?

— Je confirme, il ne plaisante jamais, renchérit Adrim.

— Les Trolls existent bels et bien. À votre avis, pourquoi l’île porte-t-elle leur nom ? Je vous avais prévenu que le monde extérieur était dangereux. Vous vouliez vivre l’aventure ? Eh bien, vous allez être servie. Ne vous inquiétez pas, je ferai en sorte de nous tenir à l'écart d'eux.

Dans la taverne, Valdir paya à boire aux trois seuls chercheurs d’or présents. Ils gobèrent sans broncher le mensonge. Kaldor en vint à se dire que cette situation devait être assez fréquente. Quand son mentor, annonça que l’homme qu’ils recherchaient avait dit se rendre au Mont Hurlant, les chercheurs d’or burent de travers.

— Pas étonnant qu’il ne donne plus d’nouvelles vot’ gars. C’te montagne recèle bien d’l’or mais elle est en plein milieu du territoire des Trolls. Mes avis que vot’ gars, il a fini en tas d’os… Si toutefois, vous v’lez y aller, vous pourrez pas louper c’te montagne. Elle est parsemée de roches rosâtres, elle a deux pitons pointus à son sommet et, comme son nom l’indique, quelques fois, on a vraiment l’impression qu’une bête hurle.

Ils quittèrent les chercheurs d’or qui leur répétèrent mille et une fois de ne pas se rendre dans le territoire des Trolls. Kaldor et Élaëna n’avait plus envie de se rendre à ce Mont Hurlant. Il faudrait que le jeune homme prenne sur lui et qu’il ne montre pas sa peur. Les soldats de l’Ordre ne semblaient pas apeurés, mais en bons soldats qu’ils étaient, ils ne devaient pas le montrer. Quant à Valdir, il ne montrait rien comme à son habitude.


Après quatre jours de marche, ils atteignirent la frontière entre le royaume Gèndark et le territoire des Trolls. Ils avaient fait halte dans chaque auberge qu’ils trouvaient sur la route. Si loin au nord, en ces derniers jours d’automne, le soleil, teinté d’une couleur orangée, illuminait les arbres rouges et jaunes. Comme frappée par un incendie de lumière, la forêt semblait se consumer. Kaldor se plaisait à regarder ce merveilleux spectacle.

— Que la nature est belle en automne, dit-il tout haut.

— En effet, à chaque saison ses couleurs étincelantes, approuva Valdir. Ah, l’automne ! Ses senteurs d’humus, de champignons et de feuilles mortes. Voici venir les ultimes beautés chaleureuses, bientôt les matins froids viendront, glaçant les cœurs. Les feuilles tombent à terre miséreuses, déjà le vent s’agite, frais, avec ferveur.

— Très joliment dit, maître Valdir, le félicita Élaëna. Seriez-vous poète en plus d’être instructeur en magie ?

— Poète, hum… Non. Je me vois plus comme un amateur de mots qui parfois parvient à sortir deux trois idées. D’autres font de meilleurs poètes que…

— Pas mal en effet, fit une voix inconnue. Tu devrais songer à te reconvertir dans la poésie, Eldyrien. Tu manies mieux les mots que ton épée.

Un servombre se tenait devant eux. Où qu’ils aillent, il semblait toujours connaître leur destination. Kaldor ressentit un brin de peur à cette idée.

— Valdir, un Eldyrien ? s’exclama Élaëna. Mais enfin c’est impossible le Patriarche ne permettrait pas ça !

— Silence femme, ordonna le servombre. Venez mes amis, je vous ai trouvé votre déjeuner.

À ces mots, quatre Trolls sortirent de derrière des branchages. Ces créatures étaient très grandes, trois mètres et leur pelage brun était bien épais et hirsute. Les trolls avaient de long bras et des jambes plus courtes. Ce qui leur permettait, entre autres, de courir très vite à quatre pattes ou de porter des coups plus loin. Valdir mit en garde les quatre soldats de l’Ordre contre leurs longs membres.

Chaque soldat tint en respect un Troll à l’aide de son épée, tout en prenant soin de ne pas se trouver à portée de leurs mains. Kaldor était perdu, il ne savait pas quoi faire et Élaëna pétrifiée de peur, lui serrait le bras gauche de toutes ses forces. Valdir et le servombre ne bougeaient pas d’un pouce et se regardaient fixement, de la sueur coulant sur leurs fronts. Kaldor supposa qu’ils devaient se livrer un combat mental.

Soudain, l’un des Trolls parvint à bousculer Findol et flanqua un coup de poing à Valdir, avant de se diriger vers Kaldor. Pris d’une peur panique, sans trop savoir comment, il invoqua sa magie et poussa la bête contre un arbre.

— Ah ton tour, petit ! l’apostropha le servombre.

Tel un serpent mordant sa proie, il frappa l’esprit sans défenses du jeune homme. Il fouilla dans les souvenirs de Kaldor. Il lui fit revoir tous ses souvenirs douloureux, comme la mort de son père. Le jeune homme, les larmes aux yeux, lutta de toutes ses forces contre cette intrusion. Comme le lui avait enseigné Valdir, il s’infiltra dans l’esprit de son agresseur. Il retint un haut-le-cœur lorsqu’il découvrit la noirceur de l’esprit de son agresseur. Non, ce n’était plus un homme, mais une engeance de l’Ombre.

Écœuré et apeuré devant la méchanceté et la puissance du servombre. Kaldor fit naître une flamme dans sa main et embrasa son ennemi. Celui-ci hurla et courut, affolé. Il leur cria : « On se reverra, misérables ! » Puis il ne resta de lui qu'un tas de cendre fumantes. Libérés de son emprise, les Trolls s’écroulèrent par terre, inconscients. Alors Kaldor prit conscience de ce qu’il avait fait, son corps se mit à trembler. Ses jambes ne le tenaient plus, il s’affala par terre.

— Qu’est-ce que j’ai fait ? Qu’est-ce que j’ai fait ? répéta-t-il, en de balançant d’avant en arrière.

— Calme-toi mon garçon, lui intima Valdir.

— Va… Valdir, j’ai… J’ai tué un homme ! J’ai tué un homme ! C’est atroce ! Je ne sais pas ce qu’il m’est arrivé… je… je ne voulais pas faire ça. C’est horrible !

— Ça fait toujours ça la première fois, mon gars, tenta de le rassurer Adrim. Mais tu verras…

Valdir le foudroya du regard. Il n’avait pas besoin d’avoir l’avis d’un soldat qui tuait de par sa profession. L’Eldyrien tenta de lui expliquer que certes son geste était grave, mais que s’il en prenait bien conscience, il ne le referait plus ou cas d’ultime recours. Il lui expliqua qu’il y avait bien des façons d’immobiliser un adversaire sans le tuer, que ce soit par magie ou de manière ordinaire.

— Prendre conscience que tuer pour tuer n’est pas bien, cela t’accroche à l’humanité. Dans le cas contraire, tu deviens un monstre qui tue pour le plaisir, comme le servombre. Maintenant, soit le gardien de la vie et non son destructeur. Aller en route, les Trolls ne vont pas tarder à se réveiller, mettons le plus de distance entre eux et nous. Je n’ai pas envie de devenir leur casse-croute.

Il ferma les yeux, respira avec lenteur et les rouvrit.

— Je sens où nous devons aller maintenant, de la magie Eldyrienne m’appelle. Ne le sens-tu pas, mon garçon ?

Valdir repartit sur le chemin d’un pas pressé à la recherche d’un endroit où camper pour la nuit.

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