Anet

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Anet  compensait les centimètres qui lui manquaient par la terreur. Il avait également remplacé les quelques kilogrammes qui lui faisaient défaut par un poids identique de machiavélisme. Le cou décharné de ce héron étique, qui surgissait d’un col de chemise amidonné toujours trop large, lui donnait des allures de Tryphon Tournesol. Nous le trouvions cependant beaucoup moins drôle et il nous faisait vivre dans la crainte permanente de la « petite récitance ».

 

La  « petite récitance ».était une courte interrogation écrite, impromptue, aléatoire, improvisée et imprévue. Elle ne se faisait pas à main-levée mais au pied-levé.

 

Aussi, notre estomac se nouait lorsque la frêle silhouette se dessinait sur le chambranle de la porte, glissait le long du mur en montant les marches de l’estrade et disparaissait derrière le bureau dans un grincement d’os. Commençait alors une courte éternité d’anxiété.

 

Toute la classe attendait dans un silence polaire le verdict du jour.

 

--   « Ouvrez votre livre à la page 42 » et c’était un soulagement général, quelque soit, d’ailleurs, le numéro de la page. L’air redevenait respirable. Dans notre cour de récréation, les oiseaux se remettaient à chanter.

 

--   « Une petite récitance » énoncé sur un air méphistophélique, en détachant chaque syllabe, nous figeait le sang.

 

En tirant d’un classeur à anneaux une feuille à gros carreaux qui nous servirait de copie, nous avions le baromètre de l’humeur en chute libre. Les « petites récitances ».étaient un condensé de pièges funèbres et de sinistres difficultés de la langue latine, plus morte que jamais. Anet Gudin avait fait de chacune de ces interrogations un instrument de torture, une dictée façon « Prosper Mérimée » qui nivelait la classe par le bas, rassurant le cancre et désespérant le bon élève.

 

Il avait les yeux cernés comme la maison d’un fou sanguinaire, et dictait ses questions en balayant la classe de ses félines pupilles qui, par la grâce de fentes palpébrales effilées comme des meurtrières, ne laissaient passer en guise de regard qu’une aveuglante intention de massacre.

 

La traduction de « La guerre des Gaules », oeuvre de notre ennemi César, n’était pas davantage un exercice de tout repos. Il ne mettait toutefois au supplice que trois ou quatre élèves par séance, et nous gardions toujours l’espoir, naturellement, de ne pas en faire partie.

 

Anet  était malingre et maladif. Pâle, le visage crispé, il quittait parfois la classe, plié en deux, un poing serré sur le ventre. Nous recevions ces interruptions de cours comme des oasis de tranquillité. Rien d’étonnant, après tout, à ce qu’un professeur de langue morte ait mauvaise haleine.

 

Cela est parfaitement monstrueux, mais aucun de nous ne souhaitait une amélioration de l’état de santé du professeur de latin.

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