27 - Shawn

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Depuis cinq jours, je traîne à New-York. Pas le choix, je n'avais pas envie de rester avec les autres et encore moins de rentrer à Chicago. D'autant plus que je ne suis même pas certain que Laura se soit cassée de chez nous. Depuis le jour où j'ai foutu un terme à notre relation, je n'ai plus eu aucune nouvelle. Je ne vais pas m'en plaindre. Bien au contraire.

Avachi sur le canapé, je regarde un programme de merde à la télé, une bière à la main. J'essaie d'oublier tout ce qu'il s'est passé ces derniers temps, sans succès. Rien ne pourra m'enlever ces images d'eux de mon foutu crâne. Leurs lèvres scellées me filent la gerbe chaque fois que je les revois. Je vais finir par en crever. C'est tellement douloureux.

— C'est bon, frangin, je t'ai foutu la paix jusque là, je ne t'ai même pas demandé ce que tu venais faire chez moi avec la gueule complètement défoncée, mais je commence à en avoir ras-le-bol de te voir dans cet état. Alors, tu vas me faire plaisir et bouger ton cul ! Ce soir, on sort.

Pas intéressé pour un sou, je monte le son de la télé pour bien qu'il saisisse.

— Si tu crois que je vais te laisser le choix, tu te plantes carrément !

Je gonfle les joues et souffle bruyamment pour lui faire comprendre qu'il me soûle méchamment. Je veux juste être seul et me morfondre dans mon chagrin. C'est pas compliqué à comprendre si ?

Ni une, ni deux, Josh m'arrache la télécommande des mains. Putain de bordel de merde ! Enragé par son geste, je bondis sur mes pieds, pose ma bouteille bruyamment sur la table, puis tente de la lui reprendre en poussant des sons gutturaux. L'homme des cavernes n'est pas bien loin.

— Putain ! Tu vas me rendre ça, ouais ?

Il me jauge un instant, un rictus semi-amusé sur la gueule, avant de me répondre.

— Au moins, j'ai réussi à te faire sortir du canapé. Maintenant, file te changer ! Mes potes ne vont pas tarder à débarquer et je te jure que tu me fais honte.

Je me doute bien qu'avec mon vieux t-shirt des Chicago bulls qui date du lycée, mon bas de survêt vieux comme le monde et mes cheveux en pétard, je suis loin d'être un play-boy. Mais de là à me sortir que je lui fais honte, il y a quand même une marge.

— J'ai pas envie de sortir, compris ? Et tes potes peuvent bien penser ce qu'ils veulent de moi, je m'en contrefous.

Ce n'est pas ce qui me ramènera Jen.

— J'ai une réputation à tenir, frangin.

Même si je ne sais pas du tout de quoi il parle, j'éclate de rire. Il a l'air tellement sérieux quand il dit ça.

— Je te jure que je ne vais pas te lâcher tant que tu n'auras pas été te changer.

Il se prend pour qui ? Notre père ? Cet enfoiré qui n'a jamais été capable de s'occuper de nous.

Je tente encore une fois de m'emparer de cette foutue télécommande. Mais monsieur, pour être sûr que je ne puisse pas le faire, se casse s'enfermer dans sa chambre. L'enfoiré ! Il doit se douter qu'il n'y a que comme ça que je finirais par m'exécuter. Furax, j'avale le restant de ma bière cul sec. L'alcool me brûle agréablement le gosier, avant de s'infiltrer dans mes veines. Un véritable bienfait au milieu de tout ce foutoir.

Quelques secondes plus tard, je suis dans la chambre d'amis en train de me changer. Qu'est-ce qui m'a convaincu d'obéir à Josh ? Aucune idée. En tout cas, il n'empêche que je suis en train de revêtir l'un de mes jeans noirs et un t-shirt de la même couleur avec la faucheuse floqué sur le devant.

Après avoir lacé mes boots, je m'admire un instant dans le miroir. Cette teinte correspond tout à fait à mon humeur de dogue. Quant à ma coiffure de sauvage et ma barbe de trois jours, ou plutôt cinq, me donnent une putain d'allure de criminel. Parfait ! On ne viendra pas se frotter à moi.

Quand je ressors de la chambre, Josh me détaille des pieds à la tête.

— J'adore ton look ! me chambre-t-il.

Qu'est-ce que ça peut lui foutre ? Qu'il apprécie ou pas, ça me fait une belle jambe.

— C'est certainement....

La sonnette retentit et me coupe dans la remarque acerbe que j'allais lui balancer. Dommage, je l'aurais cassé en moins de deux, le frangin.

Trois de ses potes débarquent dans l'appart, tout joyeux. Ils ont dû se vider quelques packs de six avant de se pointer ici pour être dans un tel état. Bien que je les connaisse de longue date et qu'en temps normal, je les apprécie, ce soir, je n'ai pas très envie de faire ami-ami avec eux. Je les salue en bougonnant. Ben quoi c'était juste histoire de donner le change. S'il s'attendait à ce que je sois aussi jovial qu'eux, ils se fourrent le doigt dans l'oeil. Et bien profond.

— Maintenant que tout le monde est là, on peut y aller, lance mon frangin.

Un quart d'heure plus tard, nous sommes à l'endroit exact où ils voulaient passer leur soirée. Et si j'avais su qu'on venait là, Josh aurait toujours pu courir pour me faire bouger. De suite, je crève juste d'envie de me casser en courant.

La devanture du bar-karaoké n'a pas changé. Toujours ces couleurs joyeuses que j'appréciais à l'époque. Aujourd'hui, elles me sortent par les yeux. Revoir cet endroit me lacère l'estomac.

Je déglutis difficilement avant d'en franchir la porte. Je ne sais pas d'où Josh sort son sixième sens, en tout cas il vient de se retourner vers moi et fronce les sourcils.

— Tout va bien ?

Non, ça ne va pas.

C'est ici, à cet endroit même que j'ai rencontré Jen cinq ans plus tôt. Les souvenirs de cette soirée-là viennent de me percuter avec une violence inouïe. Bordel, comme si j'en avais besoin ! Je me sens bien assez mal depuis que je sais qu'elle baise avec Miller. Je serre les poings au fond de mon jeans et crispent les mâchoires devant ces images qui me fracassent. D'un simple hochement de tête, je réponds à mon frangin, avant de le suivre vers une table. Toujours la même.

Quelques têtes se tournent sur mon passage et des smartphones se tendent dans ma direction. Avec ma gueule à faire peur, je ne fais pas honneur au groupe, je le sais, et alors ? Dois-je sourire alors que le cœur n'y est pas, juste pour faire bonne figure ? Je suis comme je suis. Je ne vis pas pour mes fans, mais seulement pour la musique. Miller m'aurait repris sur cette pensée et il aurait eu raison. Sans eux, on n'existe pas. Ce soir, il ne le fera pas et je ne lui en laisserai plus jamais l'occasion.

Je tire une chaise avec fracas et me laisse tomber lourdement dessus. Tout le poids du monde s'est abattu sur mes épaules au moment où je suis entré dans les lieux. J'ai l'impression d'avoir pris quarante ans d'un coup, tant je me sens vieux et vidé.

Durant l'heure suivante, je tente de noyer dans l'alcool ce qui se trame sous mon crâne. Je n'ai pas envie de penser à elle ce soir. Et encore moins à eux ensemble. Et si je pense à Jen, je penserai forcément à lui. Le traître.

Il faut que je me la sorte de la tête et quoi de mieux pour ça que de s'éclater avec une femme. Si quelqu'un connait meilleur remède qu'il me le fournisse. Au point où j'en suis, je suis prêt à tester n'importe quoi. Même une drogue dure, quitte à me faire assassiner par le grand blond à mes côtés. Mais, en vrai, vaut mieux que je n'y pense même pas.

Une bière à la main, j'écoute d'une oreille distraite la conversation de Josh et ses potes, tout en scrutant la salle à la recherche d'une nana qui pourrait me faire oublier celle qui a élu domicile à la fois dans ma tête et dans mon cœur. Celle pour laquelle je me suis fait tatouer à plusieurs endroits. Après tout, je suis certain qu'elle n'attend pas mon avis pour s'éclater avec Miller ? Et lui doit bien en profiter. Jen est un tel délice. Une véritable friandise dont on ne peut plus se passer une fois qu'on l'a goûté. Je donnerais n'importe quoi pour me perdre en elle, juste une nuit de plus.

J'avale mon verre d'une seule traite, pour chasser ces pensées étouffantes.

D'un simple regard, je continue à inspecter l'espace à la recherche de la perle rare, qui saura soigner mon mal-être.

Je finis par remarquer une petite blonde, plutôt pas mal, au fond de la salle. Au moment où je m'apprête à me lever pour aller la draguer, les premières notes de Nothing Else Matters de Mettalica retentissent dans le bar. Je m'agrippe à la table, mon cœur à mes pieds. La chanson de notre rencontre. Putain, pourquoi j'ai accepté de me rendre ici ? Je cherchais quoi, bordel ? À me foutre encore plus bas que terre en venant à l'endroit même où nous nous sommes rencontrés ? J'aurais dû foutre le camps dès que j'ai capté où ils m'embarquaient.

À demi-planqué derrière son verre, Josh me regarde bizarrement. Il sait que je ne suis pas dans mon assiette. Nous n'avons qu'un an d'écart et il me connaît par cœur. Vu la réaction que je viens d'avoir, il ne va pas tarder à me cuisiner. Je le sens venir gros comme un semi-remorque.

— Bon, Shawn, je n'ai rien dit jusqu'à présent, mais j'aimerais bien comprendre un peu ce qui t'arrive. Vous foutez votre tournée en stand-by, t'arrive chez moi la gueule complètement éclatée et depuis qu'on est ici, tu agis plus que bizarrement. Sans compter que lorsque j'ai appelé Jay...

— T'as fait quoi ? tonné-je, les poings serrés tellement fort que mes ongles s'enfoncent dans mes paumes.

Je lui aurais foutu un coup à l'estomac, il ne serait pas plus estomaqué qu'à cet instant. Il reste quelques secondes à me scruter, les yeux écarquillés, comme s'il n'arrivait pas à me reconnaître.

— J'ai appelé ton meilleur pote. Tu sais, Jayden Miller, finit-il par reprendre.

Entendre son nom me tord les tripes. Je revois sa putain de bouche collée à celle si belle, si affriolante de Jen. Impossible de l'avaler.

— Ne prononce plus jamais le nom de ce salopard devant moi !

Cette fois, sa mâchoire se décroche carrément. Jay est son pote aussi et je suppose que ça ne lui fait pas très plaisir de m'entendre l'insulter. Mais je m'en tape, je ne veux plus qu'il me parle de lui. Il pose sa main sur sa nuque. Le connaissant, il doit réfléchir à une allure vertigineuse aux différentes hypothèses qui me foutent autant en rogne contre Miller. De ses deux mains, il cogne la table, avant de pousser sa chaise dans un raclement un peu trop sonore à mon goût. Je viens d'énerver mon frère. Lui si calme en règle générale.

D'un pas décidé, il se ramène jusqu'à moi, m'attrape par le biceps et me force à le suivre à l'extérieur. Il sort un paquet de clope de la poche arrière de son jeans, avant de m'en tendre une.

— Tu fumes encore ?

Sans lui répondre, je l'attrape et la porte à ma bouche. Une fois allumée, je laisse la fumée emplir ma bouche avec bienvenue. La nicotine me monte aussitôt au cerveau et m'apaise. Tandis que nous grillons cette sucette à cancer, un lourd silence nous entoure. À mon avis, il attend que je prenne la parole le premier. Il peut toujours rêver, je n'ai rien à dire. Encore moins si ça concerne l'autre enfoiré.

— Quand Jay m'a dit que vous vous étiez battus pour une femme, je t'avoue que j'ai eu un peu de mal à le croire, finit-il par briser ce mutisme. Déjà parce que voir notre pote...

— TON pote ! le coupé-je sèchement.

Désabusé, il lève les yeux au ciel.

— Ok, mon pote, si tu veux... Je disais que voir mon pote amoureux est assez inattendu.

J'éclate de rire. Comment peut-il croire une telle connerie ?

— Miller ne tombe pas amoureux. Il s'amuse avec elle, c'est tout.

— Vu la façon dont il parle d'elle, je peux t'assurer, frangin, que Jay est vraiment accro à cette fille.

Je secoue la tête, je ne veux pas y croire. Je préfère me dire qu'il n'est pas amoureux, qu'il s'amuse seulement, plutôt que de me rendre à l'évidence, car, dans le cas contraire, je n'aurais plus aucune chance. Et je ne m'en relèverai pas, ça fait trop longtemps que je l'attends.

— Il n'en a pas le droit, putain ! craché-je.

— Ah ouais et pourquoi ? me questionne-t-il, interloqué.

Je jette mon mégot au sol et le regarde quelques secondes se consumer sur place, avant de lui répondre sans relever les yeux. Je préfère fuir son regard, plutôt que de l'affronter.

— C'est mon ex.

Lentement, je redresse la tête, puis plante mon regard dans le sien. Les drôles de mimique qui passe sur son visage me prouve qu'il se creuse la cervelle. Il doit sûrement se demander de laquelle je cause, vu que j'en ai pas mal à mon actif. Une grimace de dégoût apparaît sur sa gueule, avant qu'il ne m'interroge sur la femme en question.

— Johnson ?

S'il s'agissait d'elle, je foutrais clairement la paix à Miller. Ou pas. Mais ce serait plus pour le protéger qu'autre chose. Wendy est une garce de première et ça me ferait chier de le voir avec elle.

Je grimace à l'évocation de ce nom. Qu'est-ce que j'ai été con de me foutre avec elle ! Je ne sais même plus pourquoi nous avons eu cette relation. Sûrement à cause de toutes les merdes que nous avalions au départ, mais si je suis resté, c'est en raison de cette foutue menace qui planait au-dessus de la tête de celui que je considérais comme mon frère.

Le pire dans cette histoire, c'est que, dès le début de notre relation, mes potes et mes frères m'ont prévenu. Miller n'arrêtait pas de me rabâcher qu'elle causerait ma perte. Josh le pensait également. Ils ont eu raison. Sans elle, je serais toujours avec mon grand amour.

— Aux dernières nouvelles, tu étais avec Laura. C'est d'elle dont il s'agit ?

Je secoue la tête. En même temps, je réalise que personne n'est au courant de notre rupture. C'est drôle que ni Dan, ni Jay ne m'en ai fait la réflexion en me voyant tourner autour de ma belle Britannique.

— Jen Hollister.

Autant lui venir en aide, avant qu'il ne me les sorte une par une.

— Jen Hollister ?

Il se masse la tempe de son index. Ce nom doit vaguement lui parler, mais elle ne fait pas partie de la liste de mes exs qu'il a dû établir dans son crâne.

— Oui, Jen Hollister. C'était il y a cinq ans, mais vous n'en avez jamais rien su, parce que j'étais un enfoiré de première. Je ne voulais pas qu'elle sache qui était notre père. J'avais la frousse qu'elle découvre toutes mes conneries. Je ne l'ai pas présentée non plus à mes potes. Je voulais la préserver. C'était mon trésor.

Je laisse passer un silence durant lequel je pense à tout ce que nous avions vécu tous les deux. Tout ce que j'ai perdu. Nous étions si bien ensemble. Si complices. Elle était ma drogue, celle qui remplaçait la merde que je prenais avant. J'ai besoin d'elle. De sa lumière pour me guider dans mon obscurité. De ses sourires pour échapper à mes démons qui rôdent chaque jour, si près que je peux les entendre me murmurer des horreurs. Cinq ans que je lutte pour ne pas me laisser emporter par la faucheuse. Et maintenant que je l'ai enfin retrouvé, on me l'arrache pour la foutre dans les bras de celui qui a su toujours me sortir de la boue, même quand je m'y enfonçais jusqu'au cou.

— Et même si ça fait cinq putains d'années qu'elle m'a largué, je reste fou d'elle, poursuis-je après quelques secondes silencieuses. La voir avec Miller est un véritable coup de poignard. Ça me tue !

Josh secoue la tête à plus d'une reprise. Il est sidéré par tout ce que je viens de lui dévoiler. Cette histoire, ce n'est pas moi. Il le sait. Je n'ai jamais eu besoin de planquer une de mes copines. Il ne comprend pas, ça se voit et ça se confirme quand il me demande :

— Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ? Vas-y, balance, je suis tout ouïe, p'tit frère.

Même si je suis l'aîné, il adore m'appeler ainsi à cause de notre différence de taille. Il me dépasse d'une petite dizaine de centimètres, ce qui fait de lui un géant, vu ma taille déjà bien imposante. Comme chaque fois qu'il me le dit, je lève les yeux au ciel, avant de tout lui raconter sur elle. Je lui parle de notre rencontre dans ce bar. Un véritable coup de foudre. Ma cure de désintox pour m'accorder le droit d'être avec elle. Je lui parle également de notre vie commune. De notre fille partie rejoindre les anges avant même sa naissance. Puis, le cœur dans les talons, je lui parle de notre séparation à cause de mes foutus mensonges, que je regrette chaque jour. De sa rencontre avec Miller à Londres. De leur façon de se tourner autour en me prenant pour un con.

D'y penser me donne envie de cogner dans n'importe quoi. Juste histoire de soulager un peu mon cœur de cette foutue douleur qui le bouffe depuis trois semaines.

Josh hoche la tête à plusieurs reprises. Son regard compatissant me touche beaucoup trop. Je déteste me montrer si faible devant ma fratrie.

— T'as fait le con, Shawn. T'aurais dû nous parler de tout ça bien avant. Tu aurais dû la présenter à tes potes et à ta famille à l'époque. Depuis cinq ans, tu le regrettes, mais tu ne pourras rien y changer. Entre elle et toi, c'est réellement terminé, alors tourne la page, frangin. Et si tu l'aimes vraiment, accorde-lui le droit d'être heureuse avec Jay. C'est un mec bien et tu le sais.

— Leur histoire finira forcément comme avec Shanya. Le jour où il comprendra qu'il est vraiment attaché à elle, il finira par partir.

Un voile de tristesse recouvre les yeux gris de mon cadet. Ce souvenir le heurte toujours autant. Il a toujours été plus proche d'elle que moi.

— Tu sais que cette histoire est en grande partie de ta faute, alors ne la remets pas sur le tapis.

Il laisse passer un ange.

— Qui essaies-tu de convaincre en répétant sans arrêt qu'il finira par partir ? Moi ou toi ?

Il n'a pas tort concernant Shanya. Pour le reste... je crois qu'il a également raison, quand bien même je refuse de l'accepter. Je me sens tellement anéanti que je me raccroche à la moindre branche sur mon passage. Pour l'heure, c'est celle-ci qui me paraît la plus solide. Y croire me donne la force de continuer à me battre.

J'arrache le paquet de clope de la main du frangin et m'en grille une nouvelle. En silence, je laisse la fumée s'élever dans le ciel New Yorkais.

— En même temps que tu l'acceptes ou non, reprend Josh, Jay est amoureux et crois-moi, il n'a aucune envie de se barrer. Il me l'a dit. Je pense que tous les deux se font du bien et je ne parle pas de ce qui se passe entre eux au lit.

Je secoue la tête, refusant d'accepter le moindre mot qu'il vient d'énoncer. Mes démons se marrent, prêts à me tirer une nouvelle fois vers eux. Je tire une nouvelle latte en regrettant de ne pas avoir un peu de beuh sur moi. Ça m'aurait aidé à décrocher de toute cette putain de discussion.

— Pourquoi tu refuses de l'admettre ?

Sa question me ramène à la réalité. Il me faut quelques secondes avant de comprendre ce qu'il me demande. Tandis qu'il jette son mégot dans la poubelle, je cherche une réponse adéquate. Que lui dire ? Je ne me vois pas lui annoncer : Parce que sinon je vais en crever cette fois. Il n'a pas besoin de s'inquiéter pour moi, je suis assez grand pour gérer ma vie.

— Parce que... parce que...

Je n'arrive même pas à trouver un foutu mensonge.

Je préfère tourner la tête plutôt que de me faire sonder par son regard de pierre, aussi gris que celui de notre mère.

Il se place devant moi, pose ses deux mains sur mon épaule. Quand mes yeux plongent dans les siens, je suis troublé par l'amour fraternel que j'y lis.

— Je ne sais pas à quoi tu penses, mais je peux t'assurer que tu peux compter sur tes frères et sœurs. Aucun de nous quatre te laisseront tomber. Tu en as assez fait pour nous, c'est à nous de te rendre la pareille. Cette fois, tu ne dérailleras pas, frangin. Ou sinon j'te jure que je te suivrais comme ton ombre pour te foutre mon pied au cul chaque fois que tu déconneras.

Ému, je me mords la joue pour ne pas lui montrer à quel point sa déclaration me touche.

— Mais tu dois laisser Jay tenter sa chance. Au pire, ça fonctionne entre eux et tu t'écrases. Au mieux, il s'en lasse et tu seras là pour ramasser les morceaux.

Pourquoi faut-il qu'il soit aussi raisonnable depuis que nous avons atteint l'âge adulte ? Je me souviens encore du gamin qu'il était. Mille fois plus turbulent que moi. Il entraînait Scott, le troisième de la fratrie, dans chacun de ses coups. J'en ai plus que chié avec eux. À trop vouloir les protéger, j'ai fini par me perdre. Malgré tout ce qu'il traversait, Jay a toujours su m'épauler. Le type qu'il a buté venait pour Josh. Je ne lui ai jamais dit, mais il nous a sauvé la vie ce jour-là.

Pour la première fois depuis qu'il tourne autour de la femme de mes rêves, mon cœur se contracte douloureusement en pensant à notre amitié perdue.

La faute à qui, hein ?

Ça doit être les effets de l'alcool. Ça ne peut être que ça. Hors de question d'admettre que mon comportement en soit la cause. Pas ce soir, du moins. Plus tard, peut-être. Je dois d'abord encaisser qu'elle ne sera plus jamais à moi. Que notre amour est mort à jamais. Qu'elle ne me transmettra plus sa lumière, ni sa force. Que cette fois personne ne pourra me sortir de la boue dans laquelle je me suis enfoncé. Josh vient de me dire le contraire, mais je me sens comme un naufragé, au milieu d'une île déserte. Seul au monde.

— Promets-moi de le faire et de leur foutre la paix. Jay est ton frère de cœur, tu as toujours pu compter sur lui. Alors, merde, cesse de faire le con, tu risques de t'y perdre encore plus. Passe à autre chose, Shawn. C'est le mieux que tu aies à faire.

Encore une fois, il a raison. Comme toujours.

— Allez, viens, p'tit frère, on va finir notre soirée. Et j'ai envie de t'entendre chanter. Qui sait le début de ton histoire avec Jen pourrait se rejouer ce soir avec une autre !

Je n'y crois pas une seule seconde. La foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit et mon cœur a déjà été touché.

— Pas forcément un coup de foudre, ajoute-t-il comme s'il lisait mes pensées, mais une fille avec laquelle tu pourrais vivre une belle aventure.

Ça ne me convainc pas vraiment, mais je hoche tout de même la tête.

Un bras autour de mes épaules, il me force à rentrer dans le bar. Nous rejoignons ces potes qui froncent les sourcils en nous voyant arriver. Néanmoins, ils ne posent aucune question et ça m'arrange pas mal.

Tout le reste de la soirée, Josh me pousse à regarder les femmes autour de nous. Il y en a plus d'une pas mal, c'est vrai. Pour un coup vite fait, elles conviendraient très bien. Pour plus, aucune ne m'intéresse.

Je crois que je dois vraiment fermer ce chapitre de ma vie avant d'envisager une nouvelle histoire. Et pour ce faire, il va falloir que j'accepte que Jay et moi sommes amoureux de la même femme. Je dois lui laisser une chance de la rendre heureuse. Tous deux le méritent. Les yeux embués par les larmes, je caresse le tatouage à l'intérieur de mon bras.

Peu importe où et avec qui tu te trouves, tu resteras toujours dans mon cœur, Jenny Hollister. Je ne cesserai jamais de t'aimer.

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