18 - Shawn part 1

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Être pris pour un con une fois, ça peut passer. Être pris pour un con toute la journée, impossible d'encaisser.

Ce salopard veut me faire croire qu'elle ne lui plaît pas ? Qu'il m'explique dans ce cas ce qu'il fout dans sa suite ! Et surtout qu'il ne me raconte pas de bobards, car je l'ai vu y entrer. Pas de bol, je suis monté à cet instant. Si je n'avais pas été encore sous le choc de ma conversation avec Jen, je lui serais rentrer dans le lard, avant qu'il franchisse cette foutue porte !

Saleté de vie !

Assis en tailleur sur mon lit, ma folk à la main, je gratte quelques accords en pensant à tout ce foutoir. Les mots de Jen se répercutent dans mon esprit, à la manière d'une balle de tennis. Son accident, sa colère et sa haine à mon encontre. Tout ça me fait un putain de mal de chien. Sans compter la trahison de Jay, la pire chose de toute ma satanée existence !

Je suis furieux contre lui, contre elle et contre moi-même ! Mon sang bouillonne dans mes veines, à tel point que je vais tout exploser ! À commencer par sa sale gueule d'ange ! Qu'est ce qu'il a de plus que moi ce con ?

Bordel ! J'en peux plus !

Tout tourne dans ma tête. Encore et encore. Sans me laisser une seule minute de répit. Même la musique ne m'apaise plus.

Pourquoi ne m'a-t-elle pas dit qu'elle portait mon enfant ? Pourquoi a-t-il fallu que je redevienne ce putain de junkie, camé jusqu'à la moëlle ? J'aurais mieux fait de sauter dans le jet de mon père et de traverser l'Atlantique pour aller la chercher, au lieu de franchir ce putain de désert chaotique ! Pourquoi mon frère de cœur continue-t-il à lui tourner autour, en essayant de me faire croire qu'elle n'était qu'une passade ? Il faut qu'il cesse de me mener en bateau. Je le connais par cœur et c'est la première fois que je le vois comme ça. Lui et moi sommes accros à la même fille et ça me file la haine !

Furax, je pose ma gratte sur le lit, me lève et quitte ma suite. Autant aller se noyer dans quelques verres de whisky, plutôt que de broyer ainsi du noir. De toute façon, je ne parviendrai pas à dormir en les imaginant allongés nus sur la même surface. Lit, sol, canapé, je m'en tape ! Le résultat est le même, il continue de coucher avec elle !

Au moment où je sors, un bruit de porte, qui se referme, attire mon attention. Miller avance dans le couloir, tête baissée. En le voyant ainsi, on pourrait croire qu'il porte tout le poids du monde sur ses épaules. Foutaises ! Même si ça semble avoir été très rapide pour une partie de jambes en l'air, je suis sûr qu'il a dû prendre encore son pied, le salopard ! Une gâterie, peut-être ?

D'un regard, je le transperce de toute part. Cet enfoiré a encore obtenu ce qu'elle me refuse, alors que je l'aime plus que tout au monde. Pourquoi me fait-il un coup pareil ? Qu'est-ce qu'il cherche ? Et elle ?

Quand il remarque enfin ma présence, il relève la tête, plante son regard dans le mien, en glissant une main dans ses cheveux. Pris sur le fait, mon gars, comment tu vas expliquer ça ? Je suis impatient de le savoir.

En deux enjambées, je suis sur lui. J'attrape son pull et le plaque contre le mur. Mes yeux remplis de haine le foudroient.

— Elle ne te plaît pas, hein ? Comment t'expliques que t'étais dans sa suite ? D'ailleurs, elle est où l'autre ? Elle était tellement nulle au pieu qu'il a fallu que t'ailles retrouver MA Jen ? vociféré-je.

Dans un mouvement brusque, il retire mes mains de leur emprise, puis retourne la situation à son avantage. À présent, c'est moi qui suis adossé au mur. Son regard me laisse comprendre que ce n'est pas le moment de le faire chier et que je commence à aller vraiment trop loin.

— Évite de me chercher, je ne suis pas d'humeur ! me lance-t-il d'une voix sortie d'outre-tombe.

L'entendre ainsi me dit que tout ne s'est pas passé comme il le désirait avec Jen, cependant je ne peux pas m'empêcher d'en rajouter une couche. Ce qu'il m'a fait est pire qu'une arme de destruction massive. Je ne vois pas pour quelles raisons, je me montrerai sympa à présent avec lui.

— Jen serait-elle devenue une piètre suceuse ? Pourtant, je...

Son poing dans ma gueule m'empêche de finir ma phrase. Trente-six chandelles s'illuminent aussitôt. Recevoir un coup d'un ancien boxeur c'est comme se faire percuter par une batte de base-ball. Une violente douleur retentit dans ma pommette.

Il ne m'a pas raté le con !

— Je m'écrase pour ta gueule, Blake, mais ne t'avise plus jamais de l'insulter devant moi ! Compris ?

La colère qui gronde en lui me pousse à hocher la tête. De toute façon, je ne suis pas stupide au point de me prendre un coup supplémentaire. Je sais que j'ai été beaucoup trop loin. Si Jen apprend ce que j'ai dit, elle m'en voudra encore plus.

Parfois, je ferais mieux de ravaler mes mots avant de les lâcher. Mais depuis que je les vois se tourner autour, j'en suis incapable. Si je continue sur ma lancée, il est clair que je ne la récupérerai jamais.

Encore sonné, je reste appuyé au mur et tente de remettre en place mes esprits. Sans même me prêter plus d'attention, Miller pose son badge sur le lecteur et pénètre dans sa suite. Avant de refermer la porte, il me jette un dernier regard dans lequel j'ai l'impression de lire tous les malheurs du monde. C'est toi qui a cherché à ce qu'on en arrive à ce point, mon gars ! J'aurais pu pardonner la première incartade, mais là c'en est vraiment trop pour moi.

Dès qu'il referme la porte, je descends au bar. Peu de personnes y sont encore présentes. Vu l'heure, rien d'étonnant. Je remarque au fond de la salle un gars de notre staff et décide de le rejoindre. Plus qu'une cuite, il pourrait me fournir ce dont j'ai besoin. Un bon joint devrait m'aider à oublier que Jen couche avec celui que je considérais comme mon meilleur pote. Si les gars apprennent que je touche à cette merde, je vais me faire incendier. Qu'est-ce que ça peut me foutre ? De toute façon, au point où j'en suis, rien ne peut plus m'atteindre.

— T'en as sur toi ? lui demandé-je en tirant la chaise pour m'y asseoir.

Il hausse un sourcil comme s'il ne voyait pas de quoi je parle. Mais bien sûr ! Tout le monde sait qu'il en fume deux, trois par jour.

— Je ne vois pas de quoi tu parles, Shawn.

Désabusé, mes yeux roulent sur leur orbite et j'émets un lourd soupir.

— Je te parle de joint. Alors oui ou merde ?

— Si les autres apprennent que je t'en ai filé un, je vais me faire virer.

— Ils n'en sauront rien ! Je ne vais pas replonger dans mes conneries juste pour un.

Il hésite un long moment, avant de m'en glisser un, en toute discrétion, sous la table. Une fois en main, je quitte l'hôtel et me trouve un endroit, à l'écart des regards indiscrets, pour le fumer tranquillement. Assis sur un banc, je contemple les étoiles, en portant à plusieurs reprises mes doigts vers ma bouche. La nuit calme m'apaise au fur et à mesure de mes inspirations. Lorsque je regagne ma chambre, les premiers effets de la substance inhalée se font déjà ressentir. Je me sens bien plus léger et bien moins maussade. Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est la joie de vivre, mais j'arrive à affronter toutes les merdes qui me sont tombées sur la gueule depuis deux jours.

Je reprends ma folk et rejoue quelques accords au hasard. La mélodie n'est pas des plus somptueuses, elle m'apaise néanmoins. Je gratte encore et encore, jusqu'à ce que, lessivé, je pose ma guitare au sol et m'endorme tout habillé.

Lorsque je me réveille, le jour n'est pas encore levé.

Durant mon sommeil, j'ai rêvé de Jen, de ses paroles et de cette colère que j'ai ressenti à mon égard. En ouvrant les yeux, l'idée d'une nouvelle chanson m'est apparue. Sans perdre de temps, je file récupérer mon calepin dans mon sac de voyage et griffonne des mots les uns à la suite des autres. À travers eux, je veux que Jen sache à quel point je suis désolé et combien je m'en veux. Comme dans cette loge, je lui demande pardon et lui dis une nouvelle fois combien je l'aime. Je veux qu'elle comprenne que je serais toujours présent pour elle désormais, quoi qu'il arrive.

Dès que j'ai fini d'écrire, je cherche les accords adéquats pour donner naissance à ce nouveau titre. Parfois je rature et renote de nouveaux mots, afin que mélodie et phrases concordent. C'est un travail de longue haleine, mais tellement passionnant, surtout lorsqu'on veut faire passer un message qui ne sortirait pas dans un face à face.

Trois heures viennent de s'écouler sans que je ne les vois passer. Fier de cette nouvelle composition, je file prendre une douche et me changer, avant d'aller toquer à la porte de la suite de Jen. Au moment où elle ouvre la porte, elle affiche un magnifique sourire, qui la rend resplendissante. Dès qu'elle réalise qu'il s'agit de moi, il s'efface, pour laisser place à une expression dédaigneuse, comme si elle faisait face à une créature abjecte.

— Shawn Black ! Que me vaut cette honneur de si bon matin ? me questionne-t-elle, acerbe.

Quelque chose me dit qu'elle aurait largement préféré que ce soit notre bassiste qui se tienne derrière cette porte. Pour éviter de lui répondre une connerie, que je risque de regretter, je me mords la langue. Le goût métallique du sang emplit aussitôt ma bouche et m'aide à réfléchir avant d'ouvrir ma gueule.

— Je n'ai pas toute la journée ! Mon père m'attend, ajoute-t-elle en me regardant de travers.

Vu sa tenue, je ne pense pas qu'elle aille le rejoindre de suite. Sauf si elle a envie que tout son personnel mate ses tétons, qui pointent derrière son t-shirt un peu trop grand pour elle.

Sans scrupule, je me rince l'oeil. Elle n'avait qu'à foutre un soutif avant d'ouvrir ! N'importe qui aurait pu se tenir derrière cette porte.

Putain, je pourrais foutre ma carrière en l'air, juste pour avoir droit de soulever ce haut et me délecter de ses seins.

— Si tu continues à me regarder comme ça, je te jure que je te ferme la porte au nez ! grogne-t-elle en croisant ses bras sur sa poitrine pour m'empêcher de continuer à la zieuter de la sorte.

— Tu préférerais peut-être que ce soit Miller ? lui demandé-je en ancrant mes iris aux siennes.

Abasourdie, elle écarquille les yeux, avant de me tuer sur place d'un simple regard.

— C'est bon, Black ! Dégage, je ne veux plus te voir !

Putain, je suis vraiment le roi des cons ! Pourquoi je lui ai sorti ça aussi ?

Exaspérée, elle met sa menace à exécution. Avant même qu'elle referme complètement la porte, je cale mon pied dans l'embrasure.

— Laisse-moi tranquille ! Pourquoi tu ne me fous pas la paix ? s'emporte-t-elle en se tournant avec vivacité vers moi.

Je lui montre ma guitare, en signe de paix, tout en me morigénant. Si je veux la moindre chance avec elle, il va falloir que je me calme. Sinon c'est perdu d'avance. Déjà que je marche sur un fil tendu, si j'en rajoute, c'est mort. Face à cette évidence, je préfère faire profil bas.

Cinq ans que je l'attends et je risque de la perdre encore si je fais le con.

Jamais de toute ma vie, je n'ai autant patienté pour obtenir quelque chose. Il m'a toujours suffit de claquer des doigts pour l'obtenir. C'est ça d'être né une cuillère en or dans la bouche. Mes vieux étaient tellement occupés, que pour se racheter, ils nous offraient tout et n'importe quoi, même si ça coûtait une blinde. C'est pareil pour les filles, depuis mon plus jeune âge elles me sont toujours tombées dans les bras sans que je ne fasse quoi que ce soit.

Jen, elle, c'est un putain de challenge. Pour le remporter, je me battrais sans relâche, même contre Miller. Pour elle je suis prêt à tout, y compris à composer un nouveau morceau à cinq heures du mat' pour le lui chanter à huit. Je relèverai chacun des défis qu'elle mettra sur notre route pour lui prouver que je l'aime comme un fou.

— T'attends quoi pour dégager ? me questionne-t-elle, vu que je reste planter sans rien lui dire.

— Je veux juste te faire écouter une chanson que j'ai composée ce matin, finis-je par lâcher... S'il te plaît.

Mes yeux s'ancrent aux siens, afin de la supplier d'un simple regard d'accepter. Mon pouls bat au même rythme que les baguettes de Dan sur l'un de nos morceaux déchaînés. Si elle ne répond pas vite, je vais finir par faire une syncope.

Après avoir poussé un profond soupir de lassitude, elle me laisse entrer en se décalant légèrement.

— Tu as cinq minutes. Pas une de plus.

— Quatre me suffiront amplement, lui souris-je en refermant la porte derrière moi.

D'un coup, la pression retombe. Je suis enfin là où je désirais être.

Tandis qu'elle part s'installer sur le divan, je ne peux m'empêcher de la suivre des yeux. Elle est tellement belle. Jamais, je ne pourrais trouver quelqu'un qui lui ressemble. Même au naturel, elle a un charme de dingue qui éveille en moi toute sorte d'émotions. Laura, aussi, est jolie, mais elle n'a pas ce petit truc en plus qui la rend unique. De toute façon, peu importe les moyens qu'elle se serait donnés, elle n'aurait jamais réussi à rivaliser avec mon grand amour.

La femme parfaite existe, elle se trouve dans la même pièce que moi. Jenny Hollister. Aucun nom ne peut résonner à mes oreilles aussi délicatement.

Si seulement, je pouvais la prendre dans mes bras, la toucher, la caresser...

Les yeux sur elle, je reste debout à bonne distance, dans l'attente qu'elle m'invite à m'asseoir quelque part. Près d'elle, si possible. Malheureusement pour moi, les secondes s'écoulent sans qu'elle ne fasse ou dise quoi que ce soit qui va dans ce sens.

— Je t'ai déjà dit, Black, je n'ai pas toute la journée. Alors, c'est quand tu veux !

Les diverses mimiques d'agacement qui passent sur son visage me prouvent que ma présence la dérange. Il vaut sûrement mieux que je reste debout, loin d'elle, pour ne pas en rajouter. Je passe la sangle de ma guitare autour de mes épaules et commence à gratter les premières notes. Jouer un nouveau morceau devant un public n'est jamais évident. Ça passe ou ça casse ! Et c'est encore plus vrai, lorsque le-dit public se nomme Jenny Hollister. Troublé, je me perds dans les paroles à plusieurs reprises. Trois heures pour être au point, c'est un peu court. J'aurais peut-être dû répéter un peu plus, mais je voulais être certain de la trouver ici. Je prends un putain de sale risque. Si bien que j'ai l'impression d'être un débutant, bourré de tract.

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