Chapitre 2 : Zéphyr

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“La ripaille est la fête de l'affamé comme l'évasion est la fête du prisonnier et l'insurrection la fête de l'opprimé.”

Je marche dans les rues, ne sachant pas trop où aller. Mon envie de fête demeure, malgré qu’elle ait bien diminué depuis l’incident avec le gosse. Fais chier. Je me suis encore laissé dominer par mes émotions. Ces souvenirs qui font de moi un prisonnier, enchaînant une partie de mon âme.

Mon cœur se serre.

Je shoote dans une canette vide qui valdingue un peu plus loin dans le caniveau. Il est une heure du matin et à cette heure-ci, il ne reste plus grand monde. Hormis les putes, les dealers et leurs clients, ou bien les fêtards de dernière minute. Je tâte la poche arrière de mon pantalon, il y reste un sachet d’évasion ainsi qu’un peu de quoi fumer. Cela me permettra de finir la soirée en beauté. J’avance sur le bitume humide de la pluie qui a dû tomber plus tôt dans la soirée. Mon cerveau cogite, réfléchit à l’endroit où je pourrais finir ma nuit.

Hésitant entre le Banshees et le Devil’s Bars, deux endroits que j’affectionne particulièrement. La débauche y règne, il n’y a que peu de limites entre leurs murs et j’adore cela. Je m’y sens chez moi et ils me connaissent maintenant. Ils savent mes vices, mes penchants. J’y ai aussi mes pantins, un dans chaque établissement. Au Banshees, il y a Mathéo, un homme qui sait satisfaire mes besoins, répondre à mes attentes. Il me connaît et j’aime danser charnellement avec lui. J’aime le pénétrer, entrer dans son corps alors qu’il se rebiffe, lutte. Il savoure ma violence autant que je me délecte de sa révolte. C’est comme j’aime, sauvage, brutal.

Au Devil’s, j’aime retrouver Evans, un homme exsudant la virilité. Lui j’aime qu’il me prenne. Qu’il s’enfonce en moi avec puissance et sans concession. C’est généralement douloureux, mais cela me rend à chaque instant tellement vivant.

Malgré tout cela, je contrôle chaque seconde de ces débats, les autorisant à vivre ce moment d’intimité. Leur permettant de voir un peu les démons qui me possèdent, à envahir mon corps, toucher cette part de moi qui est si sensible, si fragile. Ils savent tous deux mes limites, et surtout connaissent les risques qu’ils encourent à les franchir.

Je songe donc à la façon dont j’ai l’intention de niquer ce soir. Ai-je envie de me faire prendre violemment ou bien de posséder quelqu’un avec sauvagerie ? Cruel dilemme…

Je repense au gars qui m’a sucé. Il était si bon d’être dans sa bouche. Je revois son apparence un peu fragile, ses cheveux blonds un peu longs, son visage presque angélique… J’avais le désir de le prendre, d’entrer en lui avec violence, voir s’il était capable d’encaisser. Voir si ma folie pouvait le corrompre. Ah, c’est de cela dont j’ai envie…

Je vais donc aller au Banshees, et me défouler sur mon beau Mathéo. En plus, ça fait longtemps que je ne lui ai pas rendu visite. Il sera encore plus teigneux que d’habitude. Rien que d’y penser, ma queue se réveille.

Le Pub n’est qu’à quelques rues de là en plus, c’est parfait. J’accélère le pas, sinuant dans ce quartier que je connais par cœur, croisant les habitués qui y sont présents depuis ma jeunesse.

J’ai toujours habité ici. Vivant de famille d’accueil, en foyer. Enfant orphelin de mère et au père inconnu. J’ai été jeté dans le système de la protection de l’enfance. Un engrenage qui m’a tellement coûté.

Je passe devant un bâtiment aux murs encore noircis d’un incendie. Un feu que j’ai allumé, il y a douze ans. Dans ce passé, tous les détails de cet incident demeurent dans mon esprit.

Je vivais chez un couple, où le mec avait tendance à venir me voir la nuit, mais pas vraiment pour me raconter une histoire. Je me souviens de tout, toutes les sensations, ses mains sur mon corps, ses doigts sur moi, son sexe en moi, sa main sur le mien.

La douleur que j’ai ressentie aux moments où il perforait mon corps, cela reste gravé en moi. Ça déchirait mon âme, mais aussi mon esprit. Laissant des cicatrices, attisant ma colère, ma honte, ma haine.

Un jour, n’en pouvant plus de ses incessantes visites, j’ai piqué un de ses briquets. J’ai attendu qu’il dorme, j’ai foutu le feu à mon matelas. Mais les flammes ne se propageaient pas assez rapidement, je suis donc alors parti chercher de l’huile alimentaire dans la cuisine, tout le monde dormait, je n’ai donc pas été stoppé dans ma quête, j’ai ouvert le placard de la cuisine et me suis dirigé vers le feu débutant. Je l’ai versé dessus et il s’est tellement développé que je me suis brûlé une partie du bras, y laissant une cicatrice éternelle. Je ne ressentais pas la douleur à ce moment-là, que m’importait hormis les cris de l’homme de mes cauchemars, ses hurlements de souffrance, si salvateur. Je suis resté devant la porte de la chambre, à admirer ce monstre couvert de flamme, puis le feu a pris possession des murs de la maison, brulant tout sur son passage.

Je me souviens avoir ri, un rire dément, alors que je me sauvais par la fenêtre en passant par l’escalier de secours. Je riais, mais des larmes inondaient mon visage. J’avais douze ans.

Je détourne les yeux de ces briques noircies. Signature d’un passé aussi sombre qu’elles. Je regarde la naissance de la cicatrice qui débute à l’orée de mon bras, me rappelant cet instant, à jamais. Je trace vers le Banshees, je veux m’évader. Mathéo, la poudre et la musique satisferont ce besoin quelques heures.

J’arrive rapidement devant l’entrée de l’établissement, la musique s’entend déjà de l’extérieur. Une symphonie étouffée par les murs, mais qui montre que l’ambiance bat son plein.

Des mecs sont dans la file d’attente, impatients de pouvoir rentrer à l’intérieur. Je ne perds pas de temps à faire comme eux, j’ai mes entrées VIP. John le vigile me connaît et me laisse d’office pénétrer dans l’Antre du Banshees. La chaleur étouffante du lieu commence à envahir mon corps, la musique prend de plus en plus d’ampleur à mesure que je m’approche de la salle principale. J’avance dans cette pièce immense, les corps se collent, se frottent et se désirent. Des femmes avec des hommes, mais aussi des couples ayant le même sexe. C’est sensuel, la tension sexuelle qui règne entre ses murs est tellement agréable.

Je me fraye un chemin parmi les corps en surchauffe. Je me retrouve devant le bar et m’assois sur l’une de ses chaises.

Je vois les trois serveurs s’activer, répondre activement aux demandes qui les envahissent. Un frisson parcourt ma nuque, je sens que quelqu’un m’observe, me reluque. Je tourne la tête vers cette sensation et découvre mon futur amant du jour, dans un coin de la salle. Il est assis sur une des banquettes, à siroter un cocktail. Il me salue en levant son verre, un sourire chargé de vices sur les lèvres. Ma queue se tend, m’en demande plus. Mais plus tard, patientons. Je lui rends une mimique similaire, promettant des choses, puis me détourne pour demander un whisky pur avec glaçon.

Dans ce Pub, tout le monde est libre de fumer, sniffer, ou bien baiser. Je sors donc mon matos, et prépare mon rail devant moi. Ma poudre contraste avec la couleur noire du bar. J’inspire vivement la substance dans chacune de mes narines, la montant droit vers mes neurones. L’effet est presque immédiat, l’euphorie me prend, m’envahit. Je l’apprécie encore plus à l’heure actuelle. Elle tue la noirceur de mon âme quelque instant. Des moments de répit. Mon esprit est dynamisé, reboosté. Ressentant une décharge de joie, de rire. J’ai envie de me laisser posséder par l’ambiance, la musique, le rythme. Malgré mes faibles compétences en danse. Je me détourne donc du bar afin de contempler la piste de danse. Les corps ondulent, s’échauffent encore plus qu’ils ne l’étaient. La chanson Devil Eyes de Hippie Sabotage résonne dans mon esprit. Je kiffe cet instant, profitant de cette montée.

Soudain, les gens s’écartent, mettant fin à leurs frivolités. Un groupe envahit le centre du Banshees. Curieux de voir ce qui s’y passe, je décide de m’avancer afin d’avoir une vue plus confortable. Je tangue un peu en descendant de ma chaise, avec mon verre d’alcool à la main, mais je reprends vite le contrôle de mon corps. Je me dirige vers l’attroupement, histoire d’y découvrir cette nouvelle animation. La musique se coupe, et cela m’irrite un peu. Que l’on remette cette musique, elle m’est nécessaire pour mon évasion.

J’observe la scène qui se passe devant moi, en son centre, l’attraction de la soirée est là. C’est un groupe composé de trois hommes et d’une femme. Ils sont habillés assez sobrement : jean, sweat. Sans artifices. Comme s’ils étaient venus armés uniquement de leurs corps.

L’homme du centre porte une large capuche sur son crâne, si bien que je ne peux distinguer les traits qui l’habillent. Il dégage quelque chose, ça m’attire.

Une musique démarre fort, me déconcentrant de ma fixation. Je la reconnais tout de suite : Hystéria de Muse.

Bon choix musical.

Elle pulse dans mes oreilles et, dès les premières notes, la troupe se met à se mouvoir, mais cette fois cela n’a rien à voir avec les danseurs de bas étage que nous avions plus tôt. C’est une chorégraphie transcendante que j’admire à présent. C’est renversant !

Je sirote mon verre en savourant la qualité de ce qui se passe devant mes yeux, c’est beau, sensuel…

Cela provoque en moi des émotions. Je les ressens avec force, comme si les sentiments de la personne qui a créé cette danse m’apparaissaient. S’imposaient à moi, en moi. Ça vibre dans mon corps, pulse dans mon âme. Un seul d’entre eux aimante mon regard, l’homme à la capuche. Il danse comme si sa vie en dépendait, la danse semblant être vitale pour lui. Insufflant à son corps, un battement à chaque instant. Il exsude la douleur, la souffrance, la brisure. Et je m’en délecte.

Je le veux, cet homme m’attire. Irrémédiablement. Mais pourquoi ? Il danse, danse, danse. Et moi je l’admire, le désir… Je veux le posséder, le déchirer afin de voir si son âme a autant souffert qu’il le danse.

Je sens mes lèvres s’étirer en un rictus, un sourire que je ne peux réprimer. Cela fait longtemps que je n’avais pas souri aussi naturellement. La mélodie touche à sa fin, et avec elle la danse qui se trouve sous mes yeux. Mon cœur se serre et j’ignore pourquoi. Pourquoi le fait de ne plus le voir danser atteint mon organe vital ?

Le silence envahit désormais la pièce, suivi rapidement par des applaudissements puissants, amplement mérités. Les membres du groupe saluent leur public sauf un, comme si peu lui importait d’avoir des personnes qui le regardent. Il se met d’ailleurs en retrait et file droit vers le bar. Je ne peux empêcher mon corps de le suivre. Son visage, je veux voir son visage ! Voir ses traits, pénétrer son regard. Je le suis lorsqu’il slalome habilement entre les corps. Il est assez grand, son dos semble musclé sans trop d’excès. Il s’accoude au bar, demande une bière, et frotte son visage de ses mains.

De grandes mains.

Je m’installe à quelques sièges de lui, l’observant. Je me retiens d'aller lui parler, de le questionner. Je n’ai toujours pas vu à quoi il ressemblait de près. Mais quelque part peu m’importe son apparence, c’est son aura qui m’attire. Il cesse ses gestes pour se saisir de la bière que lui tend le serveur. Son visage apparait lorsqu’il réalise se geste, et c’est une claque que je me prends dans la face.

Cet homme est beau, terriblement beau. Il ôte sa capuche, pour révéler une chevelure mi-longue d’un blond assez foncé, nouée en une queue de cheval d’où sortent plusieurs de ses mèches, c’est diablement sexy. Ma queue frémit, provoquant des frissons irradiant dans le bas de mon dos. Une réaction épidermique que j’apprécie particulièrement.

Devant ressentir l’intensité de mon intérêt, il tourne la tête vers moi, je croise son regard. Deux prunelles sidérantes, particulièrement atypiques. Deux couleurs magnifiques possèdent son regard, un œil bleu très clair et un autre vert très pâle.

C’est hypnotisant, et je suis pourtant assez loin de lui, trop loin. Il me fixe avec la même intensité que moi, m’examinant, m’étudiant attentivement. Les frissons ressentis plus tôt parcourent dorénavant l’intégralité de mon corps, ma queue est désormais à l’étroit.

Je le veux, et je l’aurais.

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