Je me retrouve dans le parc de notre enfance, notre terrain de jeu et repère.

Il est assez minable et pas aussi grand que dans mes souvenirs. Il me paraissait être un monde entier faisant la liaison entre nos deux quartiers, pile au milieu. Je m’aperçois aujourd’hui qu’il s’agit d’un simple espace vert, ni laid ni beau. Un rectangle d’herbe verte tout juste aménagé, de l’herbe envahie par la pousse des plantes non désirées. Quelques arbres par-ci, par-là enlèvent à l’aspect négligé de l’endroit et y ajoutent une touche de naturel.

Même si j’ai grandi et même s’il est minable et loin d’être exceptionnel, je trouve l’endroit agréable. Car c’était le seul près de chez moi où je pouvais trouver un coin de nature et une herbe agréable. Mais surtout car y flottent nos souvenirs, notre présence existe encore dans l’air et sous la terre. L’arbre qui nous accueillait a repris ses droits mais on devine à l’inclinaison de ses branches qu’il a accueillis de nombreux enfants dans ses bras feuillus et rassurants.

Nous y étions encore hier et une partie de nous restera à jamais attaché aux milles merveilles qu’offre cet endroit. Pour les enfants à l’imaginaire débordant que nous étions il regorgeait de trésors et de découvertes à faire. Nous l’explorions et même si nous y étions passé des milliers de fois, chaque jour nous le percevions d’un œil différent. Nous inventions et sculptions à notre manière ce simple décor. Nous trouvions des centaines de cachettes, plus improbables les unes que les autres. Les arbres se transformaient en château, les restes en métal d’une ancienne cage de football devenaient des montagnes que nous pouvions escalader pour y faire des acrobaties. Sur l’étroitesse de ses deux cents mètres nous pouvions parcourir des kilomètres et des kilomètres.

Il y a aussi les longues heures assis à discuter de choses intenses et passionnantes qui s’écoulaient toujours beaucoup trop vite.

Les oiseaux étaient nos colocataires. Et ils se souviennent encore de nos rires qui résonnaient et de la joie qui inondait les lieux. Les arbres, eux, sont les témoins des promesses éternelles. La promesse de ne jamais oublier et de rester à jamais ensemble.

La nature était présente au moment du pacte. Mais ils l’ont tous oublié. Et qui pourrait leur en vouloir ? Ainsi va la vie. Un jour les enfants sont partis, vers d’autres horizons, dans des villes plus grandes où le temps file à toute allure. Ils se sont aperçus que jusqu’à lors tout était petit, ce terrain de jeu face aux immenses parcs urbains. Et alors les cercles de connaissances et d’amis se font de plus en plus larges. Et petit à petit ils oublient leur premier refuge, les moments passés. Ils ont d’autres choses auxquelles penser.

Pourtant ces sentiments si intenses qu’ils éprouvaient ont bel et bien existés. Ce sont les souvenirs d’enfance. On n’y pense plus et un jour alors que par hasard on traverse un petit parc tout nous reviens… La mélodie des oiseaux nous rappelle nos premières joies, les moments de bonheur les plus intenses que l’on ait jamais eu. Comme un coup de poignard on se souvient de l’amusement qui nous a quitté pour laisser place aux responsabilités. Et il y a surtout le manque de ces amis que l’on aimait si fort et que l’on aimera toujours. On voudrait les appeler, les revoir une dernière fois mais on sait que rien ne pourra plus jamais être pareil, que sans ces souvenirs communs ces personnes seraient des étrangers. Alors plus que tout on souhaite remonter le temps et comme c’est impossible, on quitte le parc pour retourner chez soi avec un pincement au cœur. Puis le soir on se réjouit d’autres préoccupations, on se dit que c’est ainsi, on y pense déjà un peu moins. Jusqu’à ce que l’on repasse à nouveau des années plus tard dans ce même parc.

Les arbres ont vu défiler des générations d’enfants et chaque fois l’histoire s’est répétée.

Et pourtant…

Encore aujourd’hui je peux entendre le frémissement des feuilles quand souffle légèrement le vent. Et encore aujourd’hui je peux m’allonger à l’ombre d’un arbre à écouter le chant harmonieux des oiseaux.