Chapitre 4 - L'éveil - Partie 3

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Après avoir bu quelques gorgées à une source d’eau, Celet observait prudemment une des énormes salamandres. Le corps de l’animal ruisselait d’humidité. Elle semblait assoupie. Il hésita, puis la curiosité étant trop forte, s’approcha à une distance de plus en plus réduite. La peau de la salamandre n’était pas constituée d’écailles, ni de peau. Elle était comme une toile tissée. Il commençait à en deviner la texture. D’un seul coup, d’un mouvement rapide, la salamandre se hissa sur ses pattes. Celet était absorbé par son observation minutieuse. Son état d’enregistrement mémoriel n’eut pas le temps de le mettre à l’abri. Il se sentit agrippé et tiré violemment en arrière sur quelques mètres.

« Je ne pense pas que le moment soit opportun pour se livrer à ce genre d’étude. De plus, je ne souhaite pas que ma décurie figure comme celle ayant enregistré sa première perte accidentelle, lança Lekia.

La salamandre s’éloigna rapidement. L’archiviste, le souffle court, se releva en frottant machinalement sa combinaison.

— Leur vitesse est stupéfiante, dit Celet après s’être rapidement excusé.

— Oui, comparé à leur masse et à la gravité de Rød, c’est d’autant plus étonnant, répondit Lekia.

— Je ne pense pas qu’elles soient agressives. D’ailleurs, je n’ai pas ressenti d’appréhension à l’approcher. Quelle sensation étrange…, fit remarquer Celet.

— C’est ce que je pense également. Cet environnement ne nous est pas hostile. Je le sens, ajouta pensivement Lekia en balayant du regard la grande plaine. Rejoignons les autres décuries », conclut-elle.

Après une courte pause, leur nouveau centurion, Jobias, en profita pour faire le point sur leur progression. Quelques instants plus tard, L’ensemble des colons reprirent leur procession dans la direction que leur avait indiquée Meltia. La faune locale montrait une indifférence paisible envers leur présence. À chaque tentative d’approche, les animaux firent signe de désintérêt et s’écartèrent de leur chemin. Toute la vallée regorgeait de créatures plus ou moins grandes. Certaines ressemblaient à des espèces déjà connues, marquant certaines régularités dans les choix de la nature. D’autres, au contraire, semblaient comme des assemblages anarchiques. Ils faisaient éclore d’infinis débats entre les différents biologistes et exobiologistes du groupe. Une constante se détachait. L’ensemble de la flore et de la faune avait une partie plus ou moins marquée de son corps noir. Même les algues au sol laissaient paraître un filament sombre en leur centre. Une autre singularité interrogeait au plus haut point les différents experts ou non. Pas d’oiseaux, ni d’insectes volants. Rien ne semblait avoir pris possession du royaume des cieux. D’ailleurs une des biologistes, dont la spécialité était l’ornithologie, fut la cible de quolibets plus ou moins agréables. « Tant d’études pour arriver sur une planète dépourvue d’oiseaux », avait-elle entendu à plusieurs reprises.

Au fur et à mesure de leur progression, les colons furent saisis par une autre particularité. La faune semblait approcher régulièrement des piliers. Une fois à leur contact, ils étaient engloutis avant de ressortir, après un certain temps, comme ils y étaient entrés. Les piliers, en eux-mêmes, imposaient silencieusement une forme de respect en soutenant la voûte céleste. Les colons voyaient parfois sa luminosité croître et décroître légèrement.

« Je ne pense pas qu’il y ait de rythme circadien, s’interrogea à voix haute Celet.

— Non, je n’ai pas remarqué d’animaux au repos. Apparemment, la journée risque d’être longue », répondit Trabo sur le ton de la plaisanterie.

Tout ce qui les entourait donnait aux colons l’impression d’une randonnée pédestre irréelle. Ils avançaient toujours dans la même direction. La faune continuait d’adopter à leur égard la même stratégie d’évitement. La progression n’était pas fastidieuse. L’ensemble du groupe, dans un bon état physique général, progressait donc sans peine. Quelques pauses furent marquées, ici ou là, pour s’abreuver au bord du lac. Autre point qui commençait à percer dans les discussions : l’absence de faim. Pourtant, cela devait faire plusieurs heures qu’ils arpentaient ce monde caché. Mais personne ne sentait, pour l’instant, cette sensation. La soif était pourtant bien présente mais les réserves de chacun et le lac à proximité permettait de l’étancher. Le chemin qu’ils empruntaient les menait droit vers un pilier. Ces derniers étaient répartis de façon aléatoire. Cependant, ils pouvaient aisément en distinguer trois dans leur champ de vision. Et ce quelle que fut la direction dans laquelle on observait. À son approche, le pilier montrait toute sa majesté. La base sombre comme l’ébène s’éclaircissait au fur et à mesure de sa hauteur. Son sommet brillait d’une douce lumière en s’évasant tout en se fondant dans sa cime. La base elle-même était légèrement évasée, mais dans une moindre proportion que son sommet. Les colons pouvaient désormais apercevoir la faune s’approchant du pilier. Une salamandre, bien qu’énorme, entra sans peine et y disparut. Après quelques minutes de marche supplémentaires, les premiers colons arrivèrent à moins de trente mètres de la base du pilier. Ce furent les premiers à ressentir la faim.

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