Chapitre 4 - L'éveil - Partie 1

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La première sensation fut un léger picotement au bout des doigts. Lekia se tourna machinalement sur la droite pour dégager son bras. Le fourmillement qui s’ensuivit la réveilla brusquement. Elle regarda autour d’elle. Encore un peu groggy, le bruit de l’eau lui rappela sa sensation de soif. Curieusement, elle ne se sentait pas inquiète. Son esprit s’aiguisa de plus en plus. Elle prit quelques secondes pour observer son environnement. Elle se trouvait au bord d’un ruisseau. La végétation lui était totalement inconnue, mais sa couleur verte laissait penser à l’utilisation de la chlorophylle. Le ciel n’existait pas. Il se résumait à une sorte de plafond très élevé. Le regard de Lekia fut attiré par de hautes colonnes partant du sol vers le plafond à intervalles presque réguliers et ce à perte de vue. Sombre à la base, elles s’illuminaient de plus en plus dans leur partie supérieure. Passé ce rapide tour de situation, elle remarqua que sa combinaison était éteinte, tout comme le PIM à son bras. Ils étaient comme vidés de leur énergie. Elle se retourna et le spectacle lui fit marquer un brusque coup d’arrêt. L’ensemble des colons étaient là. Certains encore allongés, tandis que d’autres se levaient et marchaient doucement. On remarquait, tout de suite, une certaine fébrilité. Se redressant légèrement, Lekia chercha à utiliser le système pour s’abreuver via sa combinaison et son écharpe de respiration. Ces deux systèmes de survie, passifs, ne nécessitaient pas d’énergie électrique ni d’électronique pour fonctionner. Elle but quelques gorgées, se rationnant d’elle-même. Puis elle se leva lentement. Ses sens encore perturbés lui imposaient une certaine retenue.

Un peu plus loin, Celet s’occupait déjà de plusieurs colons. Il n’y avait pas de blessé. Tous semblaient se réveiller d’un long sommeil. Voyant Lekia debout, il s’assura de la condition du colon dont il s’occupait puis se dirigea vers sa décurion. Il marchait d’un bon pas en veillant à ne pas bousculer ou marcher sur un de ses semblables.

« Je dois avoir les mêmes questions que vous, Lekia, mais d’abord comment vous sentez-vous ?, demanda Celet en arrivant à sa hauteur.

— Plutôt bien, bizarrement. Je ne sais pas encore pour vous, mais cet endroit me semble familier. Pourtant, il est forcément nouveau pour nous, répondit-elle calmement en balayant les lieux les entourant d’un regard.

— Pareil pour moi. J’ai seulement eu une sensation de soif que j’ai pu étancher par mes réserves. Et machinalement, en l’absence de ma combinaison, j’aurais pu aller boire à ce ruisseau. Je sens ou plutôt, sais, que cette source est potable, dit Celet à son tour, l’air songeur.

— Oui, j’ai aussi cette sensation. Nos équipements semblent hors-service, ajouta Lekia.

Elle marqua un temps d’arrêt, puis, regardant par-dessus l’épaule de l’archiviste, elle aperçut Trabo au loin, qui s’attelait à remettre sur pied plusieurs de ses camarades.

— Allons rejoindre Trabo. J’étais en communication avec lui et Phel quelques secondes avant d’arriver ici. Peut-être pourra-t-il nous en apprendre plus, lança la décurion.

Trabo ne portait pas son écharpe de respiration. Ce détail intrigua Lekia.

— Comment vous sentez-vous, Trabo ? Et Phel ?, demanda Lekia en l’aidant à assoir un colon.

Trabo s’enquit de lui retirer son écharpe. Il remarqua le regard surpris de Lekia.

— Que faites-vous ?, dit-elle.

— Pas d’inquiétude, vous pouvez enlever, vous aussi, votre écharpe de respiration. C’est elle qui nous rend un peu hagards et nous donne soif. Je vais beaucoup mieux depuis que je m’en suis débarrassé. Mais surtout, regardez mes lèvres, dit Trabo.

— Vos lèvres ? Elles sont…, » commença Lekia. Mais sa phrase resta en suspens.

Trabo leva légèrement la tête et fit un cul-de-poule avec ses lèvres. Bien que son visage ait pu faire sourire la plupart des humains, la réaction suscitée n’en fit rien. De légères saillies apparaissaient. Puis, il ouvrit grand la bouche. Elles s’étalaient jusqu’au fond de la gorge.

Lekia eut d’abord un léger mouvement de recul qui faillit la faire basculer. Celet la retint de justesse.

« Incroyable ! réagit-elle, sa voix mêlant l’étonnement et l’effroi.

— Et c’est pour tout le monde pareil », ajouta-t-il d’un geste qui embrassait l’ensemble des colons.

Lekia et Celet enlevèrent leurs écharpes et touchèrent du bout des doigts ces mêmes saillies. Aucune douleur. Juste une sensation nouvelle, comme s’ils avaient de nombreuses gerçures indolores.

« Et Phel ?, demanda de nouveau Lekia avec une pointe d’inquiétude dans la voix.

— Phel doit encore être là où je l’ai laissé la dernière fois. Je me rappelle juste avoir fermé le conteneur hermétique avant que les algues ne rentrent dans la soute du transporteur. C’est même d’ailleurs mon dernier souvenir. Je me rappelle vaguement qu’elles m’ont causé de l’effroi. Mais étrangement, je ne les crains plus. Je me suis réveillé seul un peu plus loin. Un peu avant vous tous. Je ne l’ai pas aperçu jusqu’ici, expliqua Trabo d’un ton calme.

— Des sondes ou une équipe de sauvetage ont dû être envoyées sur le camp embryonnaire et votre zone depuis que nous avons disparu. L’équipage du Markind doit être à notre recherche. Je vais essayer de trouver Meltia et les autres décurions pour définir nos prochains objectifs », dit Lekia.

Un peu en retrait pendant la discussion entre les deux colons, Celet observait avec avidité l’environnement autour d’eux.

« Cet endroit est fascinant. Regardez cette végétation. On se croirait presque dans une immense prairie où de légères collines viennent casser la ligne d’horizon. Et ces immenses colonnes, elles semblent soutenir le ciel », intervint l’archiviste de la décurie.

— Il vous faudrait de quoi noter toutes ces nouveautés, Celet. Et là, sans PIM, votre mémoire va être mise à rude épreuve, dit Trabo.

— Ne sous-estimez pas un archiviste et sa mémoire. Ils ont été entraînés à cela », lança Lekia à Trabo sur un ton léger.

Mais Celet ne répondit pas. Il restait, là. Immobile. Fasciné.

« Ils sont si grands », dit-il.

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