Chapitre 1 - L'aboutissement - Partie 2

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Le chemin qui menait au centre décisionnel de l’ensemencement passait par une longue coursive mêlant reflets métalliques et parois blanches. Les parois opaques devenaient transparentes lorsque l’on arrivait à leur niveau, permettant d’observer l’intérieur d’une salle, d’un atelier ou encore du vide spatial. Elle facilitait aussi la vie des techniciens et mécaniciens du Markind. Ils pouvaient vérifier l’état du matériel sans avoir à enlever ces plaques. Au passage, cela permettait de maintenir l’étanchéité et l’intégrité de ces espaces souvent critiques. Leur activation prenait en compte les autorisations du colon ou du membre d’équipage. Seuls quelques–uns, liés à la sécurité, avaient la possibilité d’observer par n’importe quelle paroi.

Au travers d’une d’entre elles, à sa droite, Meltia pouvait observer Parelas-d. Elle présentait une face plus sombre que dans la matinée, ce qui rendait son observatrice songeuse. Est-ce là un mauvais présage ? Son éducation balaya tout de suite cette pensée négative. Elle avait passé plusieurs années à se préparer à commander, à jouer et composer son rôle de centurion, et, comme les autres colons, à agir dans l’intérêt de tous. L’esprit humain est toujours aussi prompt à voir des signes dans des détails banals, se dit intérieurement Meltia.

Elle croisa plusieurs colons et décurions qu’elle salua d’un rapide mouvement de la tête. Plusieurs membres d’équipage vaquaient à leurs différentes tâches tandis que d’autres observaient l’immense sphère immobile devant eux. Le vaisseau mère s’était placé en orbite stationnaire au-dessus d’une zone rougeâtre bordée de larges taches sombres. La manœuvre avait été assez rapide malgré la taille imposante du vaisseau mère. Cette formidable réalisation humaine présentait son flanc abritant la graine. Cette longue et large plaine serait le premier endroit qui recevrait les colons. Elle était au centre de toutes les conversations. Mais son choix fut soumis au consentement de chaque colon. Le lieu, peu accidenté, permettait un déchargement et une installation aisée. Sa situation sur une latitude assez élevée permettait un accès facilité aux sources d’eau bordant la calotte glaciaire qui seraient exploitées dans un second temps. Les températures étaient plutôt fraîches mais supportables avec un équipement assez léger.

Les larges portes du centre de contrôle de l’ensemencement étaient grandes ouvertes. Meltia pouvait voir Milo Vard qui se tenait auprès des grands écrans représentant la surface de la planète. Il se trouvait au milieu d’une nuée de subordonnés qui se relayaient pour lui faire part de nouveaux éléments non encore disponibles sur le réseau. Se frayant un chemin, elle arriva à son niveau.

D’un geste de la main, le responsable de l’ensemencement fit comprendre qu’il ne fallait plus l’importuner. La nuée se dispersa aussitôt. Meltia lui fit un large sourire.

« Il n’est parfois pas nécessaire de parler pour se faire obéir, engagea-t-elle sur un ton léger.

— Vous avez raison, nous avons passé tellement de temps ensemble qu’ils connaissent mes pensées. Même ce geste était superflu, sourit-il en retour. Comment les futurs Paréliens se sentent à quelques heures de l’ensemencement ?, demanda Milo Vard.

— Impatience, nervosité et entraide dominent., répondit Meltia.

— Avec une pointe de nostalgie, j’imagine, enchaîna Milo Vard.

— Oui, le rythme de vie du vaisseau mère va nous manquer. Même si vous nous observerez de haut », dit Meltia.

Depuis le début du voyage, membres d’équipages et colons avaient vécu l’humaniformation. Même si leur mission première était différente, ils étaient liés par un destin commun. Les ensemencements se déroulaient généralement en trois actes. Une première centurie établissait un camp de base dit embryonnaire. Elle serait la future tête de pont pour l’arrivée de la deuxième centurie. Une fois une colonie solide établie, le transport de la dernière centurie s’établissait via des navettes entre le Markind et les installations au sol, sans le recours de la deuxième ou troisième graine. Enfin, les décuries se relayaient, alternant présence sur le Markind et la projection sur des sites de la planète colonisée.

Au départ, chaque ensemencement était à sens unique. Une fois la graine lâchée, seules les communications techniques, visuelles et audios s’établieraient avec le vaisseau mère. La forte gravité de Parelas-d ne permettrait pas, en effet, pendant les premières années, de retourner à son bord.

« Votre zone d’implantation est toujours aussi propice. Les drones d’exploration nous remontent des données en continu. Rød est étonnante, cette végétation noire semble se retirer de votre future zone d’impact. Nous avons hâte d’avoir plus d’éléments la concernant pour faire travailler les archivistes », dit Milo Vard.

Durant un instant, le responsable de l’ensemencement se remémora l’enthousiasme qui régnait lors des premiers relevés concernant Parelas-d. Il fallait parfois plusieurs générations de colons pour découvrir un astre présentant les critères minimaux à l’installation humaine. Mais les données ne mentaient pas. De l’eau en abondance, une atmosphère respirable mais qui demandait une phase d’adaptation. Il en allait de même pour sa gravité légèrement plus élevée que celle de Baure. Des traces de composés organiques avaient achevé d’attiser les désirs les plus fous. Les artistes finirent d’établir autour d’elle un imaginaire si réel par leurs œuvres. Aux yeux de Milo, désormais, force était de constater qu’elle était pourtant si loin de sa réalité rêvée.

« Nous allons bientôt pouvoir l’admirer de près. Nul doute que de nombreuses surprises nous attendent », conclut-il, souriant à la décurion.

Meltia connaissait chaque compétence des colons. Une multitude de spécialistes allaient scruter, creuser, étudier, cultiver Parelas-d. Elle avait passé deux années à échanger avec chacun d’entre eux. Entre les colons, des liens plus ou moins étroits s’étaient liés. Cependant, les romances naissantes étaient stériles. Les colons eux avaient vu leur libido totalement supprimée par des traitements divers et variés. Aucun enfant ne devait naître avant l’établissement d’une colonie solide.

« Meltia, je ne doute pas des capacités de vos équipes. J’espère sincèrement que cette planète ne provoquera pas trop de souffrances, dit Milo Vard.

— Nous serons fixés dans quelques heures », lui répondit Meltia.

Sur ces mots, Meltia prit congé et se dirigea vers la coursive pour rejoindre ses quartiers. La nuée se reforma autour de Milo Vard qui leva les yeux une dernière fois vers Meltia. Cette graine présente le meilleur de l’humanité… en espérant que Rød acceptera cette offrande, pensa Milo Vard.

Ces dernières heures avaient exténué la centurion. Prendre un peu de repos n’était plus une option. Dans quelques heures, elle devrait être en pleine possession de ses moyens pour assurer la réussite de cette première phase de l’ensemencement. Elle traversait les coursives. La phase critique approchant, elle sentait, autour d’elle, une émulation de plus en plus importante entre les colons et les membres d’équipage, certains profitant des derniers instants avant d’être séparés pour une période minimale de quelques mois.

Les espaces communs étaient disséminés un peu partout sur le Markind. Mais certains étaient devenus plus courus que d’autres sans réelle explication tangible. Peut-être une implantation à la croisée de chemins. Ou encore la présence de quelques hommes ou femmes dont l’influence amenaient à ces cas de figure.

Meltia affectionnait particulièrement une salle où l’on pouvait s’installer et se relaxer au rythme de musiques typiques et enivrantes de Marnis, la capitale baurienne. Les parois rejouaient les plus célèbres lieux culturels de Baure. Elle s’y dirigea. Une fois installée dans un siège qui s’adaptait pour assurer un maintien optimal, un membre d’équipage vint lui apporter une de ses boissons et plats favoris. Un mélange qui s’inspirait de plats colorés de la période pré-extra-expansionniste humaine. Mais qui n’avait plus les mêmes compositions que les originaux. Les produits frais issus de la faune ou de la flore avaient disparu de la plupart des régimes alimentaires courants. L’évolution des techniques alimentaires, les contraintes des voyages spatiaux, de la colonisation et en partie l’humaniformation en avait accéléré la disparition. La production alimentaire était synthétique. L’aspect et le goût n’avaient rien à envier aux plats les plus fins des anciens Terriens. Elle permettait une adaptation efficace et une liberté totale dans la création. Pourtant, ici ou là, pouvaient résider quelques amateurs de techniques anciennes. Elle trempa ses lèvres dans le nectar où apparaissait une pointe d’amertume qui la faisait toujours un peu grimacer. Elle en profita jusqu’à la dernière goutte en dégustant son plat. Elle se perdit quelques instants dans les projections qui habillaient les parois de la salle. Devant elle, se développait Marnis, la capitale, dont elle connaissait une grande partie, baignée d’une douce lumière. Elle reconnaissait au loin l’immeuble et le quartier où elle avait grandi. Plus à droite, l’institut de l’ensemencement où elle avait postulé. Sa famille l’avait toujours soutenue dans son choix. Devenir colon assurait de laisser une marque forte dans l’Humania 55 Cancri, l’encyclopédie qui relatait un nombre incalculable d’entrées sur l’histoire de la lignée du Markind 55 Cancri. Les archivistes bauriens courtiseraient sûrement la famille de chaque colon et leur offriraient une renommée presque éternelle. Cette dernière vision la ramena au présent. Elle ressentit de nouveau la fatigue et, jetant un dernier regard autour d’elle, elle salua chaleureusement le membre d’équipage en charge de la salle. Enfin, elle quitta cet endroit.

La cabine de Meltia ne correspondait pas à l’image que l’on pouvait se faire d’une centurion : froid et rempli de pupitres divers et variés affichant les paramètres de l’ensemencement. Non, ici, les murs luisaient de couleurs vives, adoucies par de larges portions claires ou sombres. Leur mouvement se calait sur de douces musiques qui remplissaient le fond sonore. Elle était l’œuvre d’un artiste d’Harriot-a, un des satellites naturels orbitant autour de la géante gazeuse 55-Cancri-f, la première planète colonisée par cette lignée. L’artiste se serait inspiré, selon les archivistes, des images mentales que lui provoquaient les effets de marées entre les deux astres durant sa phase d’endormissement. Meltia se sentait ressourcée dès qu’elle y pénétrait. Lovée dans son siège, elle fermait les yeux, profitant de ces derniers instants au creux de son cocon. Ce sera l’une des premières choses que je répliquerai sur Parelas-d. L’ensemble de ses effets personnels était déjà dans un des cubes chargés dans la graine. Il ne restait plus que son PIM posé sur une tablette à proximité d’elle. Beaucoup d’événements allaient se dérouler avant de pouvoir réaliser son vœu. Le premier d’entre eux allait se produire dans quelques heures. La musique et l’ambiance lumineuse commençaient à faire leur œuvre. Elle ferma les yeux, sentant le sommeil l’envahir peu à peu.

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