L'ultime nuit

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La patience est la plus grande des vertus, la plus grande des qualités et qui soit la plus judicieuse, quelque soit la nature de l'objectif fixé. Et quand il s'agit d'entrer dans l'intimité de la vie et de l'esprit d'un enfant, la patience revêt de toute son utilité. La terreur se situe principalement dans la tête et c'est avant tout là qu'elle doit commencer. Quand le nom d'un enfant s'ajoute à ma longue liste de nom, je sais alors qu'un long parcours s'annonce. Un long parcours où un seul objectif m'obsède.

Le plus gros problème de l'enfant, ce sont ses parents. Créer la confusion entre parents et enfant et briser le lien de confiance. L'enfant doit être seul face à sa détresse. C'est une observation minutieuse, étendue sur de longues semaines qui s'opère donc. Il me faut observer les habitudes, les routines, de chaque membre de la famille. Connaître quels sont les moments où l'enfant est seul, où les autres membres de la famille sont occupés. Les familles sont routinières, il n'y a pas de secret. Les semaines sont réglées comme des horloges, à mon grand avantage. Après quelques semaines d'observation attentive, on devient capable de prédire à la minute près chaque action de chaque personne présente dans la maison.

Les parents du petit Ben sont réglés comme des horloges. Le diner à 18h tapante, la douche à 19h tapante. Une éducation stricte à l'image de leurs horaires. Ainsi, malgré ses cauchemars récurrents, le petit Ben ne va jamais rejoindre le paisible lit de ses parents et ils répondent rarement aux pleurs du jeune garçon timide, à mon grand avantage.

Ainsi chaque soir, à la respiration profonde du sommeil imperturbable de ses parents, le petit Ben est réveillé par mes grognements. Il est reveillé par des mouvements secs de son lit. Jusqu'à ce qu'il ouvre les yeux, tremblants. Encore incertain de ce qu'il vient de se passer. Le 1er jour, il est curieux, il regarde autour de lui. Dès les 3ème et 4ème jour, il sort à peine les yeux de sous la couverture. Il gémit. Le créneau horaire est précis. Assez tard pour que ses parents ne soient pas réveillés par le bruit du lit. Ben s'en plaindra à ses parents, qui ne l'écouteront pas. L'enfant fait des cauchemars, quoi de plus naturel chez un jeune garçon solitaire. Mais des cauchemars, il n'en fera plus, non, bien trop occupé à ne pas pouvoir trouver le sommeil, paralysé par la peur. La peur qu'Il soit là. Qu'Il l'observe. Ben a raison. Je l'observe. Je sors du lit, je me poste dans un coin de la chambre ou entre 2 portes de placard et je l'observe attentivement. De longues heures de fixation sans cligner des yeux, au regard sombre et perçant. Ben distinguera les yeux de temps en temps. Un reflet rougeâtre à la lueur du clair de lune, l'esquisse d'un sourire. Il verra ce grand être, cette ombre térrée dans le coin, derrière la porte jusqu'au petit jour, où je retourne à ma position initiale d'où je ne sortirais qu'à l'aube.

Les parents de Ben viendront vérifier. Ils viendront regarder furtivement en dessous du lit, derrière les portes. Ils perdront patience. Voilà 5 mois que le garçonnet fond en larmes chaque soir avant de rejoindre son lit. Ils savent éduquer leur enfant et savent qu'ils ne doivent pas craquer. 5 mois que les parents subissent des insomnies aux pleurs de leur rejeton. 5 mois de trop. Cette nuit, ils ne craqueront pas, ils ne se lèveront pas. Tous les enfants passent par là n'est-ce-pas ?

Lors de ce que j'appelle "l'ultime nuit", Ben va hurler, s'époumonner. Il va pleurer toutes les larmes de son corps à chaque pas que j'effectuerais dans la direction de son lit. A chaque gloussement que je ferais, à la hauteur de l'excitation d'achever ma longue mission. Ben va hurler. Quand le bout de mes longs doigts trapus tirera délicatement la couette du morpion pour la jeter à l'autre bout de la chambre, Ben va hurler. Ses parents ne craqueront pas, comme prévu. Ils sont bien trop épuisés et la dose de somnifère qu'ils se sont offerts était bien trop forte pour pouvoir venir en aide à leur fils expérimentant la terreur nocture. Quand mes mains glacées vont entourer la gorge du gosse pendant que son corps tremblant se laisse aller à tout les dérangeants besoins du corps humain, Ben va hurler. Et quand il sera soulevé assez haut pour toucher pour l'unique fois de sa vie le plafond de la chambre dans laquelle il se croyait en sécurité, Ben n'arrivera plus à hurler. C'est dans un silence étouffé qu'il sera emmené. Silence étouffé par une gorge lacéré et par des gloussements de victoire qui rebondissent sur les murs. Les voisins finiront bien par voir leur curiosité attisée et une lumière se reflètera sur la vitre de la chambre possédée. La sonnette de la maison résonnera entre chaque mur. Mais les parents ne se réveilleront pas. Quand bien même... Ben n'est plus là.

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