Chapitre 17

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Je suis dans une pièce sombre, seule. L’unique sensation qui me parvient, c’est le petit courant d’air froid qui passe sous la rainure de la porte qui me fait face, et qui me glace les os. De l’autre côté, je peux percevoir des voix aussi fortes que graves et puissantes mais une seule me terrifie : la sienne. Je ne l’ai pas vu, je ne le connais que peu mais alors comment est-ce possible que je sois certaine que mon père se trouve, là, à quelques mètres derrière ce paravent de bois ? D’un coup, tout s’accélère, il entre, tenant fermement un Jonathan défiguré par les coups qu’il a reçus. Les larmes inondent mon visage lorsque je prends conscience que tout cela est ma faute. Je l’implore à grands cris de le laisser partir mais Samuel m’ignore. Au lieu de ça, il sort une arme qu’il positionne sur sa tempe gauche et tire de sang-froid. La dernière chose que j’entends est le bruit sourd de la détonation.

- NON !

Je me redresse, pétrifiée de peur et les yeux complètement dans le brouillard. Il me faut un bon moment avant de prendre conscience de l’endroit où je me trouve. Je déteste ce genre de sensation, celle-là même où l’on se sent complètement déboussolée, comme lorsqu’on fait une très longue sieste et que l’on ne sait plus quel jour on est quand on se réveille.

- Cara, tout va bien ?

Alors que les paroles de Mathieu intègrent mon cerveau, je réalise que tout cela n’est qu’un putain de mauvais rêve et je m’effondre, la tête enfouit dans le t-shirt de mon meilleur ami.

- Ce n’est rien, ce n’est qu’un cauchemar, comprend-il en resserrant ses bras autour de moi tout en posant son menton sur le sommet de mon crâne. Je suis là.

Au même moment mon téléphone se met à sonner. Une lueur d’espoir pointe en moi. Je me jette dessus et réponds à toute hâte, sans faire attention au numéro qui s'affiche sur l'écran.

- Jonathan ! Enfin ! m’exclamé-je avec soulagement. Tu n’as pas idée à quel point je me suis faite du souci pour toi.

Un silence s'installe et j'entends finalement.

- Allô Cara ? C'est bien toi ? C'est Nate à l'appareil, m'annonce la voix du combiné.

Dans un premier temps, un profond sentiment de déception m’envahit, j’espérais tellement être rassurée une bonne fois pour toutes quant à la bonne sécurité de mon voisin mais, très vite, la curiosité me gagne. Que peut bien me vouloir mon jumeau qui prend bien soin de faire comme si je n’existais pas depuis notre face à face dans le parc ? Franchement, s’il vient une nouvelle fois me sermonner ou me menacer d’en parler à notre père, je ne suis pas d’humeur.

- Écoute, Nate, je n'ai pas passé une super journée, donc tu comprendras que je ne suis pas en état de me disputer une nouvelle fois avec toi, l'informé-je sèchement. Tu peux bien penser ce que tu veux de mon rapprochement avec Simon, cela m’est complétement égal. Il y a bien assez de Samuel qui me pourri la vie, je n’ai pas besoin d’ajouter un second adversaire à ma liste. Maintenant, si tu veux bien, j’ai d’autres choses à faire.

Je m’apprête à raccrocher mais un « NON ! » tout droit sorti du haut-parleur me dissuade de le faire. À côté de moi, Mathieu me fait ses gros yeux désapprobateurs :

- Tu peux au moins écouter ce qu’il a à te dire, me chuchote-t-il discrètement.

Je lève les yeux au ciel et remets le téléphone à mon oreille.

- Je t’écoute, Nate.

- Avant toute chose, Cara, je voulais que tu saches que je n’ai rien dit à notre père te concernant.

- Je…

- Laisse-moi finir, poursuit-il fermement. J’ai vu Simon, mardi soir, et il m’a fait part de tes doutes me concernant. J’ai conscience que j’ai été dur avec toi le week-end dernier et, bien que mes paroles aient complètement dépassé mes pensées, je ne suis pas le genre de personne qui fait appel à « papa » pour régler ses différends.

- Mais alors qui l’a fait ? arrivé-je à placer entre deux phrases.

- Justement, j’y arrive. Qu’est-ce que tu peux être impatiente !

Mathieu, qui est très concentré sur la conversation, éclate de rire. Nate, n’en fait pas cas et enchaîne.

- Hier soir, en rentrant j’ai surpris mon père… notre père, se rattrape-t-il, en plein entretien avec un certain monsieur Lemeurte, ça te parle ?

Sur le moment, ce nom me dit vaguement quelque chose mais je ne parviens pas à trouver d’où je peux le connaître. C’est finalement Mathieu qui recolle les morceaux :

- C’est notre propriétaire, informe-t-il à Nate.

- Inutile de chercher plus loin, conclut mon frère. On sait à présent comment notre père t’a retrouvé. Il avait sûrement dû faire le tour des agences immobilières en distribuant des pots de vin en échange d’informations te concernant.

- Ta théorie tient la route, mais nous ne sommes pas passés par une agence mais par une annonce internet, rectifie mon ami.

- Ah…

Alors que les deux jeunes hommes continuent à chercher une théorie plausible, de mon côté je bouillonne depuis que Mathieu a fait le lien entre le nom et la personne. Quel sale type ! Je suis sous le choc.

- Attendez ! les coupé-je. Vous êtes en train de me dire que je vis l’enfer depuis une semaine à cause de notre propriétaire trop bavard ?

- Bienvenue dans le monde de Samuel Lafont, confesse amèrement mon frère.

- Merci Nate, lui dis-je, ne sachant trop quoi ajouter. Donc, tu es en train de me dire qu’en fait je dois me méfier de tout le monde ?

- Crois-moi, je suis navré pour toi, Cara, mais oui.

- Génial !

Cette découverte me sidère tellement que je ne suis même plus en capacité de faire la conversation. Mathieu semble percevoir ma frustration car il me prend la main et me chuchote tout bas

- T’en fait pas je suis là moi.

Je lui adresse un léger sourire de reconnaissance. Nous voilà de retour à la case départ, lorsque je n’avais que lui comme seul confident. Enfin, j’ose quand même espérer que Simon, Elodie, Nate et Jonathan fassent partie de ces rares personnes qui n’ont pas été corrompues. De toutes façons, ils en savent déjà beaucoup trop sur moi, donc ils ont clairement toutes armes pour me détruire s’ils le souhaitent.

- Ecoute, Cara, si notre père est sur tes côtes, il va te falloir beaucoup de soutien et des personnes sur qui t’appuyer.

C’est un peu contradictoire avec le raisonnement que je me fais depuis une bonne minute. Je jette un coup d’œil à Mathieu qui semble comprendre le dilemme.

- Je sais ce que tu penses, Cara, dit-il alors. Tu es en train de dresser la liste de toutes les personnes que tu as rencontrées, pour les mettre dans la case des suspects. Sauf qu’à part t’isoler, cela ne va pas beaucoup t’avancer. Et puis, si Elodie, Simon est Jonathan, sont des traitres alors il est déjà trop tard.

C’est marrant, c’est exactement ce que je me disais plus tôt.

- Je ne connais pas votre Jonathan, intervient Nate. En revanche il n’y a aucun doute à avoir concernant les deux tourtereaux. Simon est clairement aux anges depuis qu’il a appris la vérité. Il a même passé la semaine à me harceler pour que je change mon fusil d’épaule et que je t’appelle. Je ne pense pas que ce soit le comportement d’un traître. Quant à Elodie, n’oublie pas qu’elle a voulu nous caser ensemble.

- Quoi ? s’insurge Mathieu.

Je rigole face à l’expression écœurée qui s’affiche sur son visage. De son côté, Nate poursuit, imperturbable :

- Et je veux que tu saches que si tu as besoin, tu peux compter sur moi.

WOW… Est-ce que j’ai bien entendu ? Est-ce que Nate vient de me proposer une alliance ? Je mets un temps fou à intégrer l’information mais mon frère ne laisse pas le silence s’installer :

- J'ai mis du temps à avaler la pilule, je le sais, mais tu es ma sœur jumelle et je ne peux pas te tourner le dos indéfiniment, confie-t-il d’une voix douce que je ne lui connaissais pas. Quand je t’ai vu la semaine dernière chez Simon, j’ai su qui tu étais à l’instant même où je t’ai aperçue. On se ressemble tellement que cela ne pouvait faire aucun doute. Seulement, toutes ces années j’ai grandi avec cette rancœur incompréhensive que mon père te voue et très vite un conflit s’est joué en moi. Je sais pertinemment de quoi le paternel est capable pour arriver à ses fins et le danger que tu encoures si Simon et moi nous te faisons une place dans nos vies. Mais après réflexion, je préfère être ton allié, on a déjà tant de chose à rattraper.

L'émotion me submerge et je me bats contre quelques larmes qui viennent me piquer les yeux. Les paroles de Nate me font prendre conscience que pendant tout ce temps, je n'ai pensé qu'à moi. Je ne me suis jamais projetée à la place de Nate ou même de Simon. Imaginer un instant qu'ils aient pu souffrir de la situation aussi me semblait inenvisageable, car après tout, ce n'est pas eux qui ont dû tout quitter du jour au lendemain.

- Merci, Nate lui répondis-je fébrilement encore sous le coup de l'émotion. Cela me touche.

- Maintenant, Cara, je t’en prie, raconte-moi tout, implore-t-il déterminé. Que t'a fait notre père ?

J'hésite au début, car je sais que ça ne va pas lui plaire, mais je finis par me lancer.

- Ça a débuté le week-end dernier, commencé-je d'une voix peu confiante. Il est venu à l'appartement, il m'a attrapé par le cou en exigeant que je m'éloigne de Simon et toi. Il a insisté sur sa volonté que je ne reprenne pas contact avec vous. Je pense qu'il ne savait pas que l'on s'était vu la veille. Puis j'ai commencé à le voir tous les matins à la Fac et à recevoir des textos de menaces.

Je marque une pause pour reprendre ma respiration.

- Enfin, ce soir, en rentrant, il y avait dans une enveloppe à mon nom dans la boîte aux lettres. Quand je l’ai ouverte, elle contenait des photos de Jonathan et moi. Elles étaient accompagnées d'un mot qui disait « S'est soit lui, soit tes frères. Choisis bien ». Et depuis, je n'ai pas de nouvelles de mon voisin.

Alors que je finis de parler, le silence s'installe, mais j'entends la respiration saccadée de Nate.

- Je savais que notre père pouvait être cruel, mais là, il dépasse les bornes, s'énerve-t-il finalement.

- Je pense que c'est ma faute, Nate. Je l’ai contrarié.

- Mais, ne dit pas n'importe quoi, s'indigne-t-il durement. Tu ne peux pas toujours être responsable de tout. Je veux dire, qu’as-tu fait de mal si ce n’est de vouloir renouer contact avec nous ? N’importe quelle personne à ta place aurait fait de même. Ce n’est pas une raison valable pour condamner ses amis.

- Eh bien notre père n’a pas l’air du même avis. Et, quand il s'agit de moi, il semblerait qu’il soit prêt à tout pour me faire du mal, expliqué-je incapable d'en dire plus.

- Oui, et d'ailleurs, je n'ai jamais compris son comportement à ton égard, avoua-t-il tout en réfléchissant. Depuis petit, je cherche une bonne raison qui l'a poussé à t'éloigner de moi. Mais je suis toujours sans réponse.

Il semble dépité.

- Moi aussi, réponds-je sur le même ton.

D’un coup, sa voix change de tonalité.

- Le principal, c'est que l'on soit réuni Simon, toi et moi et que l'on se serre les coudes à partir de maintenant, se réjouit-il soudainement ramenant un peu de gaîté à notre échange.

- Tu as raison, répliqué-je ravie de constater qu'il s'implique dans le trio.

Nous discutons encore un moment pour tenter d'élaborer un plan. On ne doit pas être très doué, car finalement rien de concluant ne sort. Nous nous sommes tout de même mis d'accord pour se donner régulièrement des nouvelles tout en continuant de s'éviter à la FAC. Cela paraît plus sage car, notre père ayant déjà état de ma relation avec Simon, il vaut mieux éviter de le contrarier encore plus qu’il ne l’est déjà.

Un bruit finit par se faire entendre dans le téléphone de Nate.

- Je te laisse, il rentre, dit-il précipitamment en chuchotant. On fait comme on a dit. À bientôt.

Sur ces mots, il raccroche brutalement.

Cet appel aussi inattendu que réconfortant a au moins le bénéfice de m’avoir changé les idées pendant quelques minutes. Mon cœur se gonfle quand je prends conscience que ça y est, j’ai atteint mon objectif, j’ai repris contact avec mes deux frères. Mon bonheur pourrait être tellement complet s’il n’y avait pas cet affreux point noir au tableau. Cela me semble difficile de contrer mon père, tant il semble avoir la mainmise sur toute cette ville. Mais, maintenant que l’on est trois à se serrer les coudes, on va bien trouver une solution.

Reste plus qu'à savoir laquelle.

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