7/10. Le stagiaire

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 De retour dans la sobre réalité du box 38, le débranchement machinal des électrodes se fait avec jubilation pour Darius. Il trouve enfin sa mission palpitante pour une raison imprévisible : ses plongées dans le métavers conspirationniste se prolongeront dans le monde réel ! Ce n’est pourtant pas dans ses attributions. Il s’agit bel et bien d’une entorse majeure aux pratiques normées.

 Mais son euphorie subit une douche glaciale quand Thaïs s’approche pour lui annoncer :

— C’est peut-être une blague votre message ? Sachez que mon cœur est pris ! Je ne porterai pas plainte, mais je garde la lettre comme preuve, au cas où vous compteriez me harceler.

Ébo est témoin du passage du grand sourire à la mine défaite de son collègue. Cela l’attriste, d’autant plus qu’elle se voit contrainte de repousser sa requête :

— Je vais avoir besoin de converser avec ma meilleure amie pour m’en remettre, bougonne Darius.

— Pas ce soir, j’ai mon dernier entrainement de boxe avant ma prochaine compétition.

— Alors tu es ma meilleure amie ?

— Là tu m’as eue ! Cède-t-elle par compassion, ne souhaitant pas l’accabler davantage.

— Une fois prochaine, tu me raconteras ta vie passée ? tente-t-il, soudain ragaillardi.

— On verra, ne t’emballe pas !

— Tu m’apprendras à boxer ?

— Avec plaisir ! Un jour, je t’inviterai sur un ring pour te massacrer.

— Tu sais pour la boxe, j’ai dit ça sans réfléchir. Je ne suis pas pressé.

— Dommage !


 Dès le lendemain, Darius retrouve sa bonhomie en se rendant au Louvre, équipé d’une caméra discrète et d’un micro. Au menu, du concret, pas de virtualité, de vraies personnes à rencontrer en ce lundi pas banal. Pourtant ce n’était pas gagné d’avance, des réticences furent émises. Il ne faut pas confondre les agents de terrain avec ceux qui animent les avatars enquêteurs ! Sans autre choix pertinent, les décideurs ont pris un risque certain.

 Dans le jardin des Tuileries, Darius a rendez-vous à 8h45. Il y rencontre le restaurateur d’œuvres d’art qui se cache derrière Gavroche, et récupère sa carte d'accès magnétique. La réalité est d’abord décevante, car le jeune garçon du métavers n’est qu’un quinquagénaire aussi insipide que mal peigné. Pour autant, la journée se révèle chargée pour le stagiaire qui se promène sans retenue, notamment dans les annexes interdites au public. Sa montre connectée signalera dix-sept kilomètres de marche en fin d’après-midi. Divers métiers lui sont présentés lors de ses prises de contact, dont certains qu’il oublie presque aussitôt comme les assistants et les attachés territoriaux aux qualificatifs liés au patrimoine.

 Ainsi, dès le premier jour, l’infiltré a pu croiser et reconnaitre une grande partie des salariés du musée mobilisés par REVOLU. Le Havre est satisfait. La particularité des acteurs identifiés tient en une attitude commune : ils sont tous aigris ! Leur obsession partagée consiste à en faire le moins possible, puis quitter les lieux au plus tôt chaque jour. Désenchantés, ils finissent tous acariâtres par mimétisme. Affligeant !

 Lors de la pause méridienne, Darius est sujet à l'envie irrépressible de satisfaire sa curiosité, une futile promesse qu’il s’était faite. Il se dirige vers la salle des Cariatides située dans l'aile Sully au niveau zéro. Une surprise l'y attend...

— Que fais-tu là ? Tu as perdu ton déguisement de panthère et tu le cherches partout dans le musée ? demande Darius à Ébo.

— Je me doutais que, plutôt que de déjeuner, tu viendrais vérifier si l’Hermaphrodite se repose toujours au Louvre.

— Tu ne réponds pas à ma question.

— En ton absence, on m’a donné ma journée. C’était plus fort que moi cette envie de jouer les touristes. Tu aurais fait pareil !

— Bien vu, mais avec toutes ces caméras, ce n’est peut-être pas une bonne idée de poursuivre notre conversation.

— Je suis tout à fait d’accord.

 Souvent, quand Ébo commence à s’éloigner après avoir clos une conversation, Darius relance le dialogue sur un autre sujet :

— As-tu remarqué nos progrès ?

— Quoi ? Dit-elle en se tournant, les mains sur les hanches.

— On vient d’avoir une conversation presque normale.

— C’est vrai ! D’habitude, j’ai toujours envie de répliquer avec mon majeur. Chaque fois, je t’épargne cette familiarité, car je dois ménager mon outil de travail.

— Et en plus tu as de l’humour. J’adore !

 D’humeur maussade, Ébo se laisse submerger par une impression agaçante en quittant les lieux. Elle se sent inutile. Sa répartie sur le doigt d’honneur réclame un éclaircissement. Cela faisait référence à l’un des douze raccourcis gestuels de déambulation dans le métavers. En effet, quand on ramène son majeur droit vers la paume de sa main, l’avatar accélère.

 Les jours suivants, le stage de Darius tourne vite à l'ennui, faute d'occupations stimulantes. Quand arrive le jeudi, REVOLU offre sa sixième immersion à la Vénus de Milo et sa panthère fureteuse. La séance fut avancée d'une journée, car le lendemain, tous les participants seront indisponibles puisqu'ils se retrouveront au Louvre pour la grande répétition. Depuis deux jours, l’état-major du Havre montre une forme d’effervescence avec l’apparition de têtes nouvelles plutôt sinistres. Des costumes sombres qui ne savent pas dire bonjour aux subalternes se mêlent à des hauts gradés en uniforme au regard condescendant. Il y a du monde ce soir dans la salle des superviseurs. C'est ici qu'on peut assister en direct à ce qui se passe dans les divers scénarios du métavers. Cinquante écrans sont répartis sur trois des quatre murs de la salle des scruteurs, dont un géant sur le mur central pour mettre en avant une scène choisie. La pièce est surnommée Big Brother.

 L’attaque est toujours prévue dimanche soir prochain, dans deux jours. L'agitation au Havre s’explique. Ce soir, les nouveaux venus regardent un spectacle en temps réel sur le grand écran. Ils découvrent REVOLU en direct à travers les images transmises par les opérateurs en action. Mona y assène ses ultimes recommandations pour la répétition dans 24h. Pour conclure, elle s’adresse à Milus de façon abrupte, devant tout le reste de l’auditoire, pour lui annoncer une bien mauvaise nouvelle. Une personne délicate aurait choisi de s'entretenir en aparté en de telles circonstances. Bref, il est écarté du complot...

 Le motif invoqué résulte de son métier d'emprunt associé à sa fausse identité. Sa carrière d'actuaire le destine à s’impliquer dans un autre projet plus consistant, promet Mona Lisa à son partisan zélé. Cela ressemble à une promotion qui commence par la mise à l’écart de l'intéressé pour le préserver. Par conséquent, Darius devra attendre d’être prochainement invité à participer à une tout autre aventure. Il sera membre d'un métavers plus ambitieux dont le déploiement est déjà planifié. S'y prépareront des attaques contre les services publics, en embrigadant des fonctionnaires revêches.

 L’attaque du Louvre n'est qu’une mise en bouche en attendant le plat de résistance.

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